dimanche 6 avril 2008

Ostrov - L'île, de Pavel Lounguine

Quand je crie, réponds-moi, Dieu de ma justice, dans l'angoisse tu m'as mis au large: pitié pour moi, écoute ma prière!
Ps. 4, 2
Pour ce vieil homme, le monde se réduit depuis des années à quelques aller-retours quotidiens. Vers une carcasse de bateau, qu'une passerelle bancale relie à une cahute de pierre effroyablement austère, où brûle un feu infernal. Vers une île, au large de son monastère de cette hallucinante terre de Sibérie. Un décor dostoïeskien pour un film qui se lit comme un grand roman russe, centré sur le péché et la rédemption, tout imprégné de la parole de Dieu, de la beauté du monde, du tragique de l'existence humaine, de la force de la foi, de la constance de l'espérance et de l'infinie miséricorde divine.
Yahvé, ne me châtie pas dans ton courroux, ne me reprends pas dans ta fureur. En moi tes flèches ont pénétré, sur moi ta main s'est abattue, rien d'intact en ma chair sous ta colère, rien de sain dans mes os après ma faute. Mes offenses me dépassent la tête, comme un poids trop pesant pour moi; mes plaies sont puanteur et pourriture à cause de ma folie; ravagé, prostré, à bout, tout le jour, en deuil, je m'agite. Mes reins sont pleins de fièvre, plus rien d'intact en ma chair; brisé, écrasé, à bout, je rugis, tant gronde mon coeur. Seigneur, tout mon désir est devant toi, pour toi mon soupir n'est point caché; le coeur me bat, ma force m'abandonne, et la lumière même de mes yeux. [...] Or, je suis voué à la chute, mon tourment est devant moi sans relâche. Mon offense, oui, je la confesse, je suis anxieux de ma faute.
Ps. 38, 1-11, 18-19
Le péché, le père Anatoli commence à en avoir fait le tour. Il le connaît si bien qu'il y habite chaque jour, depuis des années; depuis ce jour de la "grande guerre patriotique" où les allemands ont pris son bateau et l'ont obligé à tirer sur son capitaine. Il semble n'avoir alors échappé à la mort que pour porter cette faute impardonnable. Il connaît si bien sa faute! Elle se dresse chaque jour devant lui, chaque jour il lutte contre ses démons, dans la fournaise de la chaufferie du monastère dont il a la charge. Qu'il alimente en charbon sur la carcasse de son ancien bateau, échoué. Dans le gel de cette île où chaque jour il va errer, le coeur grondant de douleur, les tempes battant des paroles du psaume, le corps emprunt d'une angoisse terrible.

Yahvé, ne me châtie point dans ta colère, ne me reprends point dans ta fureur. Pitié pour moi, Yahvé, je suis à bout de force, guéris-moi, Yahvé, mes os sont bouleversés, mon âme est toute bouleversée. Mais toi, Yahvé, jusques à quand? Reviens, Yahvé, délivre mon âme, sauve-moi, en raison de ton amour. Car, dans la mort, nul souvenir de toi: dans le shéol, qui te louerait?
Ps. 6, 2-6
Le père Anatoli connaît si bien ses démons, il est si familier dans leur promiscuité terrible, qu'il est capable d'affronter ceux des autres. Affluent à sa cahute malades et inconsolables. Il les accueille avec malice, avec rudesse, il les brusque et les exorcise. Tout comme il malmène ses frères moines! Le royaume de Dieu n'est pas dans la demi-mesure. Thaumaturge, et devin, exorciste, confesseur qui ne réussit pas à recevoir lui-même l'absolution; le père Anatoli est un fol en Christ, magnifiquement incarné par Piotr Mamonov, qui dérange et effraie.
Dieu, crée pour moi un coeur pur, restaure en ma poitrine un esprit ferme; ne me repousse pas loin de ta face, ne m'enlève pas ton esprit de sainteté. Rends-moi la joie de ton salut, assure en moi un esprit magnanime. Aux pécheurs j'enseignerai tes voies, à toi se rendront les égarés. Affranchis-moi du sang, Dieu, Dieu de mon salut, et ma langue acclamera ta justice; Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange.
Ps. 50, 11-17
Magnifiquement construit vers une délivrance finale dont l'intensité est bouleversante, long, lent, contemplatif, irrationnel; on retrouve dans l'Île le caractère extrême des grands personnages de la culture russe - Dostoïevski revient forcément en mémoire. Ce film fonctionne comme un roman russe, mais aussi comme une parabole évangélique qui serait longuement et superbement déployée à partir de deux petites lignes de texte... L'erreur à commettre serait d'en faire une définition de la sainteté, à l'instar des injonctions des évangiles, et de rester choqué devant l'absolu renoncement que demanderait le salut. Il suffit seulement de se laisser habiter par l'image, le visage, le verbe qui s'incarne au fur et à mesure de la trame du récit, et d'en laisser sourdre la voix dans son âme.
Heureux qui est absous de son péché, acquitté de sa faute! Heureux l'homme à qui Yahvé ne compte pas son tort, et dont l'esprit est sans fraude! Je me taisais, et mes os se consumaient à rugir tout le jour; la nuit, le jour, ta main pesait sur moi; mon coeur était changé en un chaume au plein feu de l'été. Ma faute, je te l'ai fait connaître, je n'ai point caché mon tort; j'ai dit: J'irai à Yahvé. Confesser mon péché. Et toi, tu as absous mon tort, pardonné ma faute.
Ps. 32, 1-5