dimanche 30 mai 2010

Le manuel du parfait petit chercheur, 2 : les Archives nationales.


Les archives. Quand vous laissez tomber négligemment, lors d'un dîner en ville, que vous passez une bonne partie de vos journées aux Archives nationales, vous êtes quasiment sûr de remporter votre petit succès.

Personnellement, je n'y mets les pieds que sous la contrainte du délai de fin de thèse se rapprochant, c'est-à-dire moins d'un an et demi maintenant.

Le bizutage des Archives est moins violent que celui de la BnF-Richelieu, car on vous délivre une carte de lecteur plus ou moins sans conditions (si ce n'est celle de casquer quelques dizaines d'euros), et en général, avec le sourire. Evidemment, vous ferez forcément la grimace en contemplant la photo prise par la webcam sous une lumière glauque, qui vous donne, sur votre belle carte bleue de lecteur, un air de psychopathe ou de monstre né au fond d'une galaxie inconnu - bref, pas votre meilleur profil.

Une fois que vous avez pigé le truc - salle des inventaires au premier, salle de lecture au second, salle des microfilms au troisième et, le plus important, machine à café au rez-de-chaussée, c'est relativement simple. Il vous reste à affronter l'épreuve du feu, je veux parler du casier où vous devez flanquer toutes vos petites affaires avant de pénétrer dans le Saint des Saints (la salle de lecture, donc). Ces casiers, aux délicates couleurs rouge, jaune, bleue, framboise écrasée, saumon pas frais, fonctionnent avec un code. Ceci en replacement des anciens casiers qui fonctionnaient avec une pièce d'un euros (ou de dix balles, pour ceux qui ont connu le temps que les moins de vingt années de thèse ne peuvent pas connaître), car tout le monde, bien évidemment, oubliait sa pièce et devait aller pleurer au guichet d'entrée pour faire de la monnaie. Il y avait aussi des petits jetons de la taille idoine et congruente qu'on vous prêtait, mais les Archives ont arrêté d'en prêter car les gens repartaient avec. J'ai entendu dire un conservateur, pourtant homme d'un grand sérieux, expliquer que c'était "probablement en lien avec un trafic de métaux" (si si, Khadafi y est pour quelque chose, en plus).

Bref, vous choisissez un casier, vous mettez votre manteau sur le cintre qui est dedans, vous prenez le sac poubelle qui va avec, vous mettez les (rares) trucs autorisés en salle dedans et ensuite, vous essayez de fermer votre casier en appuyant sur un bouton, vous composez un code de votre choix (en tenant le bitonio appuyé), vous relâchez le bitonio, vous brouillez le code et normalement, c'est fermé.

J'ai bien dit normalement.

En salle de lecture, vous pouvez entrer avec votre ordinateur, un crayon et des feuilles de papier. Et votre carte de lecteur. Vous pouvez également rentrer avec la lèpre, une angine, la peste, le choléra, la phtisie galopante, mais surtout pas une bronchite ou un rhume. Car le Ventoline destiné à réouvrir vos poumons engorgés de la poussière des Archives y est fermement proscrit pour des raisons de sécurité - vous n'avez jamais entendu parler de l'histoire du mec qui a pris en otage les Archives nationales avec du Ventoline ?
Idem pour les paquets de mouchoirs.
En revanche, on peut y entrer avec des guirlandes de Noël et les boules associées. Testé et approuvé il y a quelques années, un jour de décembre, à la suite d'un pari débile à l'issue duquel mon gage a été de décorer festivement ma table d'archives pendant la semaine précédent Noël.

Donc, le Ventoline et les mouchoirs, non, mais les guirlandes, vous avez le droit. N'ont pas encore été testé : un python, une machine à café nespresso, une console de jeux vidéos, un raton laveur, une boîte de raviolis, mon neveu de sept ans (je n'ai jamais lu nulle part une limite d'âge pour entrer dans les archives).


Les Archives, c'est chouette, parce qu'on peut commander à l'avance, de chez soi, en prenant son bain de pieds. L'ennui, c'est que passé 15h, votre carton n'arrivera que dans l'après-midi. Et que pour commander le jour-même, il faut quand même être sur place. Chaque commande mettant en moyenne une heure et demie à arriver. Avec des amis, nous avions une théorie là-dessus : en fait, chaque fois qu'une commande arrive dans les réserves, les magasiniers ont pour consigne d'attendre une heure et quart de voir si des petites pattes poussent au carton d'archives. Si des petites pattes poussent, le carton montera tout seul. Dans le cas contraire, il faudra que l'un des magasiniers se colle de le remonter avec ses petits bras musclés.


Aux Archives, vous vous heurtez parfois à des réponses assez impayables de la part des présidents de salles, supposés vous fournir une réponse précise sur tout sujet se rapportant plus ou moins à leur bureau : "vous êtes sûr que cela existe ?" (en parlant du Châtelet de Paris) ou "je ne vois pas en quoi ça peut être important pour vous" (en parlant d'un document essentiel de votre état des sources). Mais dans l'ensemble, le personnel y est plutôt réjouissant. D'ailleurs, il se marre beaucoup, le personnel. Tout le temps. En prenant des cafés assis sur une chaise. Si vous avez une place proche de la banque des communications, laissez un peu traîner vos oreilles, vous aurez probablement droit à l'intégralité des peines de coeur de l'un et du processus de poussée des dents du neveu de l'autre.
Si vous êtes une fille, vous avez nombre de chances de taper dans l'oeil de l'un d'entre eux, voire de plusieurs, ce qui est plutôt bon pour vous car on se précipitera pour prendre vos commandes et vous refiler votre carton. Vous pourrez même négocier pour avoir une place où l'on capte un réseau wifi du quartier.


Enfin, aux Archives, il y a quelques survivances rigolottes destinées à vous faire faire des cheveux blancs. Par exemple les insinuations du Châtelet de Paris - pour vous la faire courte, c'est là qu'on trouve rassemblés tous les contrats de mariage et tout ce qui a trait aux donations. Vous devez 1. aller en salle des inventaires 2. demander au monsieur le classeur derrière lui, celui des tables des insinuations 3. à l'aide de la date et du nom des personnes recherchées dans les archives, noter une série de microfiches à commander 4. demander les microfiches en question au monsieur 5. aller au fond de la salle, jusqu'à la machine qui sert à lire les microfiches 6. sur lesquelles on repère les noms qui nous intéressent, et le numéro qui leur est attribué. 7. noter soigneusement ces numéros-là 8. retourner au bureau du monsieur et lui demander un autre classeur, là-bas, derrière lui 9. Dans lequel on trouvera une référence en face des mêmes numéros précédemment notés 10. qui correspondent à d'autres microfiches 11. qu'il convient de commander 12. et d'aller consulter au même endroit 13. et dans laquelle on trouvera la référence du carton d'archive souhaité.

Elémentaire mon cher Watson.

Bien évidemment, en général, il faut savoir que l'année que vous recherchez fera partie des années non inventoriées, "pour lesquelles il n'existe pas d'instrument de recherche", vous répondra-t-on. Que faire dans ces cas-là ?
Rien. Ils sont plus fort que vous.




mercredi 26 mai 2010

Le manuel du parfait petit chercheur. 1, La Bibliothèque nationale de France, rue de Richelieu, ou "le bizutage n'est pas mort".

Imaginez. Vous êtes un jeune étudiant fringant (fringant étudiant jeune êtes-vous, dirait Jean Raspail - bon ça va, j'arrête de m'acharner), dans une matière classée dans ce qu'on appelle les Sciences humaines. On va dire en histoire, pour simplifier un peu.

Vous avez un sujet de recherche. C'est déjà un bon début. Vous avez même une vague idées des sources que vous allez rechercher pour pondre votre chef d'oeuvre. C'est encore mieux. Vous avez même un début de bibliographie sous la main - là, c'est carrément du délire !

Bref, vous commencez par le commencement : aller faire un tour à la Bibliothèque nationale de France, l'originelle, rue de Richelieu à Paris. Car vous avez noté (vous êtes déjà brillamment organisé) qu'il y a des trucs susceptibles de vous intéresser, dans de multiples départements : manuscrits, manuscrits orientaux, estampes et photographie, arts du spectacle, monnaies-médailles z'et antiques, que sais-je. Si vous réunissez tous ces départements, vous êtes drôlement chanceux, du reste.

Vous devez pour cela vous faire faire ... UNE CARTE DE LECTEUR ! Soyez prévenus : ça va vous coûter cher, et en plus, la plupart du temps, on vous la refusera. Même si vous proposez de payer le double. Car voyez-vous, pour avoir accès à la vénérable institution, il faut se munir d'un CV, d'une facture d'électricité (c'est sûrement pour vérifier si vous êtes honnête et que vous vous acquittez de vos créances à EDF, j'imagine). Et aussi d'une lettre de recommandation de votre directeur de thèse, dans laquelle ce dernier explique que pour vos recherches, vous avez besoin de chercher. Ne riez pas. J'ai déjà vu un vieux professeur et historien d'une grande université se faire refuser le renouvellement de sa carte, car il n'avait pas de lettre de recommandation de son directeur de thèse. J'étais affreusement gênée d'assister à cette séance d'humiliation que le fonctionnaire en poste semblait se faire un plaisir d'infliger à cet honorable personnage.

On va admettre qu'on vous a accordé le Saint Graal - sinon on ne va jamais s'en sortir - et qu'on vous a remis une carte avec une immonde photo de vous prise avec la webcam de la Bibliothèque, photo sur laquelle vous avez au mieux l'air d'un tueur sanguinaire.

À partir de là, je vais vous guider dans le saint du saint - j'ai nommé le département des manuscrits occidentaux. J'ai choisi celui-là parce que c'est celui que je connais le mieux - j'effleurerai quand même un peu, pour la déconne, celui des estampes, où il faut se balader armé. Les autres, je ne sais pas, je n'ai jamais eu le courage.


Poussez la porte des Manuscrits. Adressez-vous au guichet à gauche en entrant. Demandez une place. Donnez votre carte et prenez l'air "au courant", sinon on vous collera aux places des bleusailles, près des baies vitrées, où il fait très froid en hiver, et où l'on cuit à l'étuvée en été. On vous remet, en échange de votre carte, une plaque verte, un bout de papier bristol et une clé avec un numéro. Très important : chacun de ces trois éléments est très important, voire indispensable à votre survie.
Maintenant, ressortez du département et allez planquer vos affaires dans l'un des casiers, celui dont le nombre correspond à ce qui est écrit sur la clé. Attention : rien à voir avec le nombre inscrit sur la plaque verte : ça, c'est votre numéro de place. Si les deux ne correspondent pas (alors que ça vous faciliterait l'existence), c'est normal, c'est fait exprès pour vous embrouiller.

Dans votre casier, vous laisserez tout votre barda. Vous ne rentrerez dans le département qu'avec votre ordinateur, un crayon à papier (jamais de stylo plume, malheureux, ou vous serez brûlé vif), du papier, éventuellement un petit cahier. Les classeurs et les pochettes sont interdits. Ainsi que les manteaux ou les trop grands pulls. Et les bouteilles d'eau ainsi que toute forme de boustifaille, bien évidemment.

Retournez dans la salle des manuscrits. Repérez le numéro inscrit sur votre plaque verte et cherchez la place qui correspond. Installez-vous. Ensuite, on va imaginer que vous avez déjà la cote du manuscrit que vous cherchez (je développerai une autre fois les joies des catalogues de la BnF). Allez au fond de la salle et remplissez une fiche par cote demandée. Sur chaque fiche, on vous demandera votre nom complet, votre adresse (code postal compris), la cote du manuscrit (ou vous fera éventuellement grâce de l'auteur) et la raison qui vous pousse à avoir l'outrecuidance de déranger du personnel compétent pour si peu.

C'est là que commence un des plus infâmes bizutages que je connaisse. Vous faites la queue pour donner votre petite fiche au préposé. Là, les moins méchants vous engueulent sévèrement parce que vous n'avez pas vérifié si la cote est microfilmée (espèce de pauvre imbécile). Les plus vicieux vous rendent votre fiche sans rien dire et vous devez deviner tout seul ce qui ne va pas, et c'est très inquiétant quand ça vous arrive. Tous finissent par vous renvoyer vers le système de concordance des cotes des manuscrits et des microfilms (car ils n'aiment pas vous voir traîner devant eux).

Le système de concordances consistait encore l'an passé en une série de petits fichiers papier dans de petits tiroirs conçus expressément pour vous tomber sur les pieds. Maintenant, c'est dans un ordinateur, vos pieds ne risquent plus rien. En revanche, l'ordinateur, lui, est facile à identifier, c'est le seul de la salle qui porte un post-it avec "hors service" marqué dessus. Vous aurez donc, seconde étape du bizutage, à demander à la "présidence de salle" qu'ils vous donnent eux-mêmes les cotes des microfilms, et croyez-moi, ils n'aiment pas beaucoup ça.

Allez, on va dire que c'est votre jour de chance : pas de microfilm (on en reparlera, ne vous inquiétez pas). Vous aurez le droit d'avoir sur votre table un manuscrit tout beau. Retournez au fond de la salle et tendez de nouveau au bibliothécaire votre fiche. Il ne réagira pas. C'est en effet la seconde étape du bizutage.

Pourtant, je vous avais bien dit de ne PAS lâcher la plaque verte. Vous n'écoutez rien. Bon. Retournez la chercher à votre place.

En effet, avec la fiche remplie, il faut donner la plaque verte. C'est histoire de vérifier qu'on ne vous a pas laissé entrer comme ça, des fois que.

Retournez ensuite à votre place. On vous apportera votre manuscrit... quand on vous l'apportera. Non, il n'y a pas de temps déterminé. Cela peut prendre 20 minutes comme deux heures et demie. Pensez à prendre de la lecture.

Quand on vous apporte vos manuscrits : on vous les apporte tous en même temps. Ce qui fait que bien sûr, vous les empilez, car les tables sont fatalement limitées dans l'espace. Vous commettrez sûrement l'erreur irréparable d'en ouvrir un sur deux ou trois autres. Vous vous ferez bien engueuler et franchement, vous l'aurez bien mérité. N'essayez pas d'arguer du manque de place ou vous vous ferez définitivement exclure de la salle.

Ah oui : pendant votre journée de recherches, vous voudrez sûrement sortir pour prendre un café ou allez aux toilettes. Les toilettes existent, elles sont au sous-sol auquel on accède en allant à droite à l'entrée de la BnF (les manuscrits, eux, sont au premier étage, sur la gauche, donc à l'opposé). Vous sortirez donc de la salle. Malheureusement, vous ne pourrez jamais rentrer, sauf à parlementer un quart d'heure avec le nouveau préposé à l'entrée (encore moins susceptible de vous reconnaître que celui qui était là quand vous êtes arrivé). Car vous avez en effet oublié... si, rappelez-vous... vous avez oublié de prendre avec vous la petite fiche bristol qui est un laissez-passer de sortie temporaire, et que vous devez exhiber quand vous rentrez de votre pause-pipi. Je vous avais bien dit que chacun des trois éléments qu'on vous délivrait au début était essentiel.


Voilà, maintenant, vous êtes globalement paré. Pour sortir, sachez que vous devrez rendre votre plaque orange, on vous rendra votre plaque verte, vous passerez en présidence de salle pour que le conservateur vérifie vos petites affaires (des fois que vous ayiez tenté de piquer une enluminure) et vous délivre un laissez-passer de sortie définitive. Rendez le (avec la plaque verte à l'entrée et le fameux laissez-passer de sortie temporaire, car ils font de la récup'), sortez récupérer vos affaires dans le casier et re-rentrez avec vos affaires pour rendre la clef ... N'oubliez pas de récupérer votre carte car je vous rappelle que pour l'obtenir, c'est très difficile.


Variantes :
vous avez un microfilm . Inscrivez sa cote sur la petite fiche de commande. Tendez-la au préposé avec la plaque orange. On vous attribuera (plus ou moins rapidement, parfois il y a une liste d'attente) une place de microfilms avec le microfilm idoine et congruent. Quand vous aurez terminé avec, n'oubliez pas de récupérer votre plaque orange ! Sauf si vous avez fini votre journée, auquel cas vous pourrez demander directement votre plaque verte.

autre variante :
vous voulez mettre vos manuscrits de côté pour le lendemain : la demande se fait avec de petits papiers jaunes sur lesquels vous devez écrire les mêmes renseignements que pour la demande. Oui, votre adresse et tout le barda, exactement. Normalement, si vous faites ça bien, il y a des chances pour que le manuscrit soit encore là demain.


Autres éléments en guise de vade-mecum :

- les estampes, c'est difficile à trouver. Au second étage au fond d'une cour par laquelle on accède à une petite porte au fond à droite pas loin de la machine à café : trop facile. En revanche, il est quasi impossible d'y obtenir ce que vous demandez.
- encore plus fort, si vous franchissez cette première étape : accéder à la réserve du cabinet des estampes, un endroit où l'on examine votre bobine par une caméra avant de vous ouvrir la porte. je ne déconne pas - c'est au cas où vous auriez l'idée de piquer une estampe de Dürer représentant la bombe atomique. Là, avant même qu'on vous dise bonjour, on vous demandera sur un ton sans équivoque "ce que vous cherchez là". Au demeurant, si votre tronche leur revient, il y a des gens charmants qui n'ont pas l'habitude de voir du monde (car leurs collègues des estampes, par lesquels vous devez passer avant d'arriver là, refusent en général de vous laisser passer) et qui sont prêts à se mettre en quatre pour vous rendre service, et ce n'est pas si courant dans une institution de conservation.


Sinon, on peut toujours aller voir le trône de Dagobert au Monnaies, médailles et Antiques. Là, pas de laissez-passer. En revanche, les horaires d'ouverture sont... épisodiques.


Et si le soir même vous cauchemardez à propos d'un bibliothécaire qui vous hurle dessus pour des histoires de plaques en plastique vert et orange, sachez que nous sommes tous passés par là. Et que moi-même, il m'arrive régulièrement d'oublier ma plaque verte. On n'en sort pas.







Parfois, j'envie les copains qui bossent dans UN labo avec, en tout et pour tout, UN microscope, du papier, un crayon gris et douze tubes à essais.



La merditude des choses.


Dans les blogs "qu'aiment pô les progressistes ces responsables de la décadence de la France", on vous cite en général trois auteurs : Léon Bloy (j'ai déjà dit ailleurs et en d'autres temps tout le bien que je pensais de cet auteur pompeux, chiant et paranoïaque), Philippe Muray (qui a eu de la chance de trouver le truc de l'homo festivus, parce que sinon, il tourne quand même bien en rond), et surtout Jean Raspail.

Que ce soit sur l'immigration, les joies du vouvoiement au sein du couple et de la famille, l'Occident (qui va mal depuis que les méchants z'étrangers y font rien qu'à nous envahir). Paf, on vous inflige dix lignes de Jean Raspail.

Au point que je songe, du reste, à inventer le "point Artémise" (en hommage à Godwin, notre ami à tous), qui marquera d'un bon point la référence à Jean Raspail, arrivant dans n'importe quelle conversation avec n'importe quel type pas trop de gauche sur n'importe quel sujet. La référence à Bloy ou à Muray ne compterait que pour un demi-point.

Bref, la semaine passée, à la bibliothèque, voilà que je tombe sur une étagère pleine de bouquins du bonhomme. Ah me dis-je, je vais feuilleter ça, pour voir si c'est si brillant que ça. Cela dit, quand aucun des livres d'un auteur n'ont été emprunté, et quand ils l'ont été, c'est rarement (aisément visible quand on a l'oeil de lynx de l'ex-apprenti-conservateur), eh bien ce n'est pas bon signe - car je me refuse à croire que ce soit par manque de types pas trop de gauche dans ma banlieue pour riches.

J'ai donc emprunté Le Camp des Saints. Truc vachement réaliste qui vous dépeint la réaction de divers personnage à l'arrivée en une nuit de centaines de milliers de z'étrangers sur des bateaux tout moisis, sur la Côte d'Azur. Cela commence par le vieux schnock intello et pseudo-aristocrate (portrait hautement modeste de l'auteur, à mon avis), ensuite il y a le vilain évêque progressiste qui a le mauvais goût de penser que si, on peut sauver les âmes des gens basanés, et que leur donner à bouffer n'est pas forcément un acte immonde. Ensuite, il y a d'autres trucs que je n'ai pas lus puisque le bouquin m'est tombé des mains à la page 76.

Car non, je ne supporte pas le racisme primaire grand teint, pur jus, qui rétrécit pas au lavage. Je ne supporte pas les auteurs pompeux qui se croient obligés d'employer des mots comme jusant ou psychopompe et mystagogue, et d'inverser les mots dans une phrase (courent les bondissants lémuriens, par exemple). Je ne supporte pas non plus qu'on réduise le christianisme à la simple dichotomie "tradis-nationalistes = bien, pas tradis pas nationalistes = pas bien. Je supporte encore moins qu'on se contente de penser que le Tiers Monde c'est des cons, la preuve, ils font pipi dans le Gange et ils ne mangent rien, alors qu'il suffit de se forcer, c'est pourtant simple.
Et je supporte encore moins qu'on fasse de grandes dissertations sur la Vérité de l'Occident Infiniment Supérieur Et Glorieux en se fondant sur les trois pauvres brochures de l'époque coloniale glorieuse française (1880-1920, pour l'apogée, quand même, c'est peu à l'échelle de l'histoire du monde), car cela vous conduit très rapidement à émettre les pires conneries. Voir du reste à ce sujet le risible bouquin de Zemmour sur l'histoire de France - je l'ai feuilleté au Monoprix et finalement, j'ai préféré racheter du débouche-évier, c'est moins cher et plus utile.


J'avais promis à cette chère Sémiramis de ne pas écrire ce billet. Mais ma rancoeur explose, que voulez-vous. Je déteste perdre mon temps à lire des âneries.


Note à l'attention de ceux qui aiment : c'est votre choix, hein. Je conçois qu'on puisse aimer le style - même si ça me dépasse largement. Je conçois qu'on puisse adhérer à certaines des idées du bonhomme.
En revanche, je ne conçois pas qu'on accepte de lire que les enfants pas blancs sont des monstres et que tout ça c'est la faute aux vilains cathos qui sont contre le massacre généralisé que prônent les mecs, les vrais, comme Jean Raspail.
Et tant qu'on y est : non, je n'ai pas vu le second degré dans ce bouquin. S'il y en a (comme on me l'a déjà expliqué, merci), c'est bien caché.

jeudi 13 mai 2010

Le XVIIe siècle en film. 2. Louis, Enfant Roi, de R. Planchon (1993).


Louis Enfant Roi fait partie de ces films qu'on a du mal à comprendre. Parce qu'il est éminemment foisonnant, mot gentil qui m'épargnera le "bordélique" qui vient spontanément aux lèvres. En gros, vous avez intérêt à réviser les événements de la Fronde avant. Sinon, on ne pige globalement pas grand-chose.

L'histoire, donc, est fondée sur ces quelques années de déchaînement politique qu'on appela, dès ce temps, la Fronde. Révolte de grands princes mais aussi de parlementaires voire d'autres franges de la population. La Fronde est un cauchemard à étudiants, dans la mesure où personne n'y comprend rien, et ce n'est pas les rares manuels qui risquent de résoudre le problème.

Donc, à période bordélique et incompréhensible, un film bordélique et incompréhensible.

Vous me direz, voilà qui part mal, alors qu'elle était censée nous parler d'un chef d'oeuvre absolu.

Eh oui. Cela part mal.

J'aurais tendance à penser qu'il s'agit d'un "film à historiens", et même d'un "film à chartistes". Car oui, le chartiste regarde des films historiques, en les ponctuant de remarques incongrues ("tu as vu, c'est pas mal fait, la représentation du lit de justice ?" - "oui mais regarde ces reliures, XVIIe siècle alors qu'on est en pleine 6e guerre de religion, c'est portnawak"). Cela dit, le chartiste est souvent bon public car c'est au fond un grand enfant, venu à faire de l'histoire parce que petit, il aimait Thierry la Fronde et les soldats de plomb. Ce qui constitue, à mon sens, la grande différence entre le chartiste et le normalien. Un jour, j'y reviendrai.

Bref. Louis Enfant Roi raconte la Fronde vu du côté de deux enfants, Louis XIV alors âgé de 10 ans (au début du film) puis jeune adolescent, et son jeune frère Philippe, duc d'Anjou (puis plus tard d'Orléans), qui ponctue l'histoire de remarques directement adressées au spectateur.

La bonne idée du film, c'est d'être une série de sketches filmés. Vous n'y comprenez rien ? Peu importe. Laissez-vous emporter. Quand on y réfléchit, ces deux enfants royaux, ballotés d'un château à l'autre, entre une mère régente et un cardinal, tous deux redoutables politiciens, face à une série de nobles et de politiques déchaînés, se sentirent probablement davantage des jouets plutôt que des princes, du moins au départ, car à la fin, ils deviennent les maîtres du jeu.

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Louis Enfant Roi, c'est l'apprentissage de la vie par un jeune garçon qui doit devenir maître du royaume et de ses sujets. Parfois tourmenté par le souvenir de son défunt père, dont il n'a gardé qu'une image de vieillard maladif, il l'invoque et le rencontre en rêve. Il est surtout en adoration devant sa mère. Et là, il faut mentionner la très bonne idée du film, celle de faire incarner Anne d'Autriche par Carmen Maura. D'abord, elle est espagnole, comme son personnage. Ensuite, elle est mûre mais encore très belle. Ce qui change des représentations traditionnelles d'Anne d'Autriche, qui apparaît d'habitude comme une vieille chieuse aigrie, moche et grosse. Or ici, Carmen Maura l'interprète sur un mode subtil, rendant à merveille ses crises d'autorité et l'habileté politique, son désespoir d'être une femme dans cette société de brutes guerrières, son désir amoureux interdit car porté sur un inférieur, son amour passionné pour ses enfants.

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Rien à dire sur les prestations des différents acteurs : Jocelyn Quivrin, alors âgé de treize ans, fait ses débuts et on y voit déjà toutes ses qualités apparaître - moues ironiques, rires sardoniques de l'éternel second, écrasé d'admiration pour son grand frère mais devant rester confiné à sa place de second, déjà pris dans les contradictions d'une sexualité ambiguë (pour ceux qui ne connaissent pas, lisez Saint-Simon sur Monsieur frère du roi, c'est tout à fait désopilant). Maxime Mansion est un adolescent qui passe de l'indolence à la virilité royale, qui découvre sa fonction et apprend à la remplir avec la majesté requise. Sa voix, d'abord hésitante, de petit garçon timide, prend de l'éclat et de la chaleur pour asséner les maximes du pouvoir : "Au roi, on ne tient pas la main".


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Carmen Maura est parfaite, et la cohorte des nobles de la cour du roi est incarnée par une série de visages plus ou moins connus : Michèle Laroque, Serge Dupire en Grand Condé, Aurélien Recoing en cardinal de Retz, que du bon. Les costumes et les reconstitutions sont impeccables, crédibles et d'une grande finesse. J'avoue avoir versé des larmes lors de la scène où la fine fleur de la noblesse se fait allègrement tuer lors de l'entreprise désespérée pour entrer dans Paris du côté des fossés du faubourg Saint-Antoine.

Le côté film à sketches, alternant scènes de guerre, scènes d'attente avant la bataille, scènes où les alliances politiques se nouent et se dénouent au gré des coeurs et des intérêts, rend parfaitement compte de la multiplicité des virtualités politiques de chaque instant. Vous n'avez pas compris pourquoi le massacre de l'Hôtel de ville ? Personne ne l'a compris, tout est allé si vite.

Au sortir de ce film, vous aurez davantage une "impression de XVIIe siècle", qu'un traditionnel film en costumes. Louis Enfant Roi est un film baroque dans le sens où c'est l'illusion, le foisonnement, l'impression et l'émotion qui priment. Il s'agit bien du meilleur film baroque de toute l'histoire du cinéma, qui montre aussi la fin de l'enfance du XVIIe siècle et annonçant le début du Siècle de Louis XIV. Fin du théâtre baroque, début de l'âge de la raison classique où le roi est le seul maître du jeu, et les autres acteurs très loin en-dessous. L'enfant des baroques, c'est Louis XIV, dont la majesté naît de la volonté de dominer les excès, les éclats, les révoltes, les tumultes des coeurs et des esprits.

Louis Enfant Roi, c'est la "dramatique naissance de l'absolutisme" telle que l'a théorisée Yves-Marie Bercé : je fais ici allusion au titre choisi par cet illustre historien pour son volume de la Nouvelle histoire de la France Moderne (Le Seuil) : dramatique prend ici tout son sens, à la fois théâtral et douloureux, dans l'histoire politique, sociale et culturelle de son temps. L'enfant grandit au travers de traumatismes personnels (la scène du dépucelage du roi, en public, par une femme borgne, est un grand moment) et politiques (devenir chef de guerre, devenir le roi et non plus un enfant) pour devenir le Roi-Soleil, celui qui sera le seul maître du jeu.



lundi 10 mai 2010

Don Ottavio, la civilisation des moeurs et les contresens des modernes.




Parmi les trucs crispants des intellectuels des dix dernières années, il y a la mauvaise lecture freudienne, et pire encore, la mauvaise lecture du Sur Racine de Roland Barthes. Je ne dis pas que j'aie bien digéré mon Sur Racine, et encore moins que j'aie lu tout Freud (ma connaissance de Freud se résumant aux trente-cinq lignes que j'ai dû lire en cours de philo il y a... vache, sept ans).

La mauvaise lecture de ces deux pointures consiste à plaquer tout et n'importe quoi sur toute et n'importe quelle oeuvre. Le grand jeu consistant en particulier à tout ramener à des histoires de sexe - le sommet du raffinement étant de réussir à prouver que tel personnage est homosexuel. Britannicus de Racine : Britannicus, impuissant. Néron, homosexuel. Agrippine, mère incestueuse. Et vlan. La mise en scène devient super-fastoche à mettre en place et consiste à demander aux comédiens de se rouler un maximum de pelles entre eux.
Alors par exemple, le Don Giovanni de Mozart. Don Giovanni, homosexuel, paf ! Dona Elvire ? Frustrée et hystérique. Dona Anna ? Fantasmant sur son père, appelant de tous ses voeux d'être violée par don Giovanni. Et don Ottavio, un impuissant - re-paf.

Je n'ai jamais bien compris l'acharnement des critiques, du reste, sur le malheureux Don Ottavio qu'ont créé Mozart et da Ponte. Sous leur plume, don Ottavio est une espèce de lavasse, "toujours fidèle, toujours vertueux", impuissant (P.J. Jouve). Selon E.T.A. Hoffman, qui n'est pas toujours à une connerie près, "il est froid, efféminé et vulgaire". Et pan dans les dents. Évidemment, cette image pitoyable vient de l'idée que nos psychanalystes du dimanche se font de donna Anna. Si cette dernière cache bien sous sa (juste) haine pour l'assassin de son père, un amour secret pour le séducteur, alors don Ottavio n'est qu'un rival, un repoussoir.

Ouais. Jusque-là, ça se tient. Reste juste à essayer d'arrêter le délire et d'écouter un peu la musique (et les paroles) de l'opéra. Rien, pas la moindre note, pas la moindre phrase, qui puisse étayer ces belles constructions. Et bien entendu, nos amis critiques ne pigent absolument rien à la société dont il est question dans le Don Giovanni. Il s'agit d'aristocrates (espagnols, en l'occurence). Et que la toute jeune fille unique d'une famille aristocratique du XVIIIe siècle a peu de chance d'avoir lu Freud, que son créateur a encore moins de chance de connaître et d'analyser les mécanismes du subconscient et de l'inconscient, et que personne au temps de Mozart n'a pu avoir ne serait-ce que le soupçon d'une telle interprétation.

Donna Anna se conduit sans équivoque : elle aime don Ottavio parce qu'il est hautement respectable, que sa conduite est celle du parfait gentilhomme. En retour, elle se conduit selon les règles de l'aristocratie : la dernière aria (Non mi dir), considérée souvent comme le moment où donna Anna est bien obligée de se "résoudre" à épouser don Ottavio après la mort du séducteur, et tente de se donner un bref sursis d'un an, me paraît au contraire être LE grand chant d'amour de cet opéra. Le délai d'un an qu'elle demande n'est pas un signe de son peu d'enthousiasme à devenir la femme de don Ottavio, mais une convenance élémentaire dans les pratiques et les manifestations du deuil dans l'aristocratie européenne.

Pourtant, nous trouvons tous (enfin, plutôt toutes) que don Giovanni est quand même bien plus attirant que don Ottavio. Evidemment. Surtout que chez Losey, don Giovanni, c'est Ruggero Raimondi et son sourire carnassier. C'est la raison pour laquelle il est tentant de céder à la facilité de dire que don Ottavio ne vaut rien dans cet opéra.

Alors, que représente don Ottavio ?
Tout simplement le vrai gentilhomme du XVIIIe siècle. Le pur produit de la civilisation des moeurs en train de se parfaire en ces années qui voient l'apothéose et la fin de l'Ancien Régime en France. Des hommes de culture, de distinction, de bonnes moeurs. Ce que n'est pas don Giovanni, ce personnage tout entier dans la recherche égoïste du plaisir, au long d'une vie qu'il ne pense pas (qu'il refuse de penser ?) comme préparation à la mort. Pour lui, le cimetière n'est pas l'occasion d'une méditation, mais plutôt de faire des plaisanteries de collégien en invitant la statue de sa victime à dîner chez lui. Don Giovanni, c'est aussi l'homme tourné du côté de la brutalité : il se bat (et tue) en duel, n'hésite pas à tenter d'entrer en douce chez les femmes, séduit puis abandonne celle qu'il épouse et qui a tout abandonné pour lui.



Le problème avec Luigi Alva, c'est que ce fabuleux ténor louche un peu.
Mais c'est pas grave, il a une classe folle quand même.
Quant à son aria, eh bien, c'est un des plus beaux (et difficiles) airs de ténors au monde.




Pour comprendre le personnage de don Ottavio, il convient de regarder de plus près sa deuxième aria, Il mio tesoro intanto. L'opposition Ottavio/Giovanni devient plus claire. En effet, Ottavio explique qu'il refuse de se venger de don Giovanni avec les mêmes armes que celui-ci. Ottavio a certes promis à donna Anna de la venger, mais il veut le faire officiellement, en traînant l'infâme séducteur devant un tribunal, et le faire juger par ses pairs. Il cherche à enquêter dans les formes du droit ("dopo eccessi si enormi, dubitar non possiam che Don Giovanni non sia l'empio uccisore del padre di Donn' Anna"). Il est évident que lorsqu'il déclare "un ricorso vo'far a chi si deve", il est question d'aller chercher des gens de justice. La traduction française de l'opéra, du reste, devient carrément "la justice du roi va le poursuivre".

Notre ami Jouve a beau jeu de déclarer que Mozart se moque de son personnage en lui faisant exposer ses projets de vengeances. Il ne s'agit pas de paroles en l'air de la part d'un velléitaire qui veut refiler l'affaire à des hommes de main. Au contraire, c'est le gentilhomme raffiné, du côté de la civilisation des moeurs (telle que théorisée par Norbert Elias), qui est du côté du bien, de la justice organisée. Don Giovanni, lui, est plutôt du côté de l'homme sauvage, brutal, conduit par la recherche du plaisir et par un instinct violent, transgressant les lois humaines et divines (adultère, convoitant la femme d'autrui, assassin, etc).
Si don Ottavio refuse d'aller provoquer en duel Don Giovanni, ce n'est pas par lâcheté mais parce qu'au XVIIIe siècle, le vrai gentilhomme est au contraire celui qui a le courage d'y renoncer pour préférer la voie de la justice et de la pacification, au lieu de la violence qui appelle encore la violence. Ce choix de la justice et de la loi écrite plutôt que de la justice privée fait écho aux réformes de Joseph II, visant à limiter les privilèges et les libertés de la noblesse d'Empire, via des réformes destinées à abolir les tribunaux féodaux et le servage en particulier, et à interdire le duel - les privilèges du noble n'étant justifiés que par le fait que le noble doit verser son sang pour son souverain uniquement.


Quant à l'amour supposé d'Anna pour Don Giovanni... bof... au début de l'opéra, on vous dit quand même que don Ottavio était attendu par elle dans sa chambre en pleine nuit... bref, tout semble indiquer que celui qu'on présente comme un mari imposé ne lui est pas si déplaisant que ça.


Voir à partir de 2 : 15.
Évidemment, Anna éclipse un peu le personnage de don Ottavio...
chez Losey, Edda Moser se compose une telle figure de tragédienne avec tant d'énergie qu'il est difficile de faire le type viril à côté, mais bon...



Bilan : la psychologie appliquée aux oeuvres d'une époque où la psychologie n'existait pas aboutit aux pires contresens. Je préfère oublier que j'ai vu, un jour, la mise en scène pitoyable du Don Giovanni par Michael Haneke, qui mériterait vraiment qu'on l'interdise de séjour à l'opéra Bastille, pour nous avoir infligé un décor d'arrière cour avec techniciennes de surface en guise de choeur de demoiselles (mais quelle poésie...) et une morale à deux balles sur don Giovanni égale lutte des classes et apologie de la sexualité débridée. Après, ce ne serait pas la première fois que M. Haneke nous servirait un ramassis de conneries en guise de spectacle, mais ceci est un autre sujet.

Donc, bref, la psychanalyse, je me demande encore à quoi ça sert.

lundi 3 mai 2010

Le XVIIe siècle en film. Molière, Ariane Mnouchkine, 1978.


Molière de Mnouchkine. Je vous vois arriver avec vos gros sabots : "film à profs de français".

Ouais. J'assume. En même temps, on pourrait considérer ça sous l'angle qui veut qu'avoir été engendré par des parents professeurs de lettres classiques permet de faire des découvertes précoces en terme de septième art (mais n'allez pas croire n'importe quoi, j'ai aussi vu Austin Powers au cinoche avec mon papa).



Molière de Mnouchkine, donc. Film fulgurant de beauté, un de mes premiers vrais émois cinématographiques (avant même Errol Flynn, c'est dire. Le script n'est pas bien compliqué, c'est l'histoire de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière, "le baladin qui a fait le succès du théâtre français" comme dit la chanson de ce dessin animé pour enfants de profs de français.

çuilà :



(série hautement recommandable même si un peu vieillotte, mais on ne s'en lasse pas).


Molière, dans le film, est interprété du début à la fin par Philippe Caubère, ce qui implique essentiellement de ne pas avoir peur du maquillage à la truelle pour les dernières séquences sur les dernières années de la vie du grand homme. Les autres acteurs sont essentiellement des gens issus du monde du théâtre, pas très connus, sauf Roger Planchon et Daniel Mesguich qui campe un duc d'Orléans assez impayable. Mention spéciale aux rôles d'enfants et d'adolescents qui ajoutent une touche émouvante au film...







Les reconstitutions de costumes sont excellentes, soignées, léchées, comme on peut le voir. La photo et la lumière font qu'on se croit dans un tableau du plus pur style clair-obscur à la Caravage (César de la meilleure photographie et du meilleur décor, quand même). Mise en scène baroque, acteurs de théâtre jouant du théâtre dans un film sur le théâtre, amis de la mise en abyme et du jeu de miroirs, bonjour !

Si les scènes d'intérieur sont de parfaits petits tableaux baroques, les scènes d'extérieur, en particuliers celles de la période où Molière est lancé sur les chemins de France avec ses petits camarades de l'Illustre théâtre, sont parfois à couper le souffle. Je pense notamment où les comédiens courent après un décor de théâtre en pleine cambrousse. Et ça court, et ça rit, et on rit, et on a envie de participer à la folie du théâtre. Et les gondoles de Venise dans la neige, que c'est beau !

Si j'ai une grande tendresse pour ce film, c'est aussi à cause de sa grande intelligence dans la manière dont il prend en compte les rapports humains et sociaux au XVIIe siècle. Bien sûr, il fait la part aux clichés (mariages arrangés, médecins-bouchers à trognes patibulaires, bouillasse sur les chemins et Molière-qui-est-mort-en-jouant), mais on est bien éloignés de la réalité froide avec laquelle on nous décrit les hommes et les femmes de ce temps. Quelques exemples : une scène du début montre le petit frère de Molière la tête posée sur les genoux de sa mère qui le câline. Le grand frère arrive, chasse le petit frère, pose la tête sur les genoux de sa mère à son tour, se fait câliner. Arrive le père, qui a tout du gros bourgeois pas très aimable... il chasse son fils de la pièce... et s'agenouille à son tour pour poser sa tête sur les genoux de son épouse et se faire cajoler.

Une autre scène : celle où Jean-Baptiste pas encore Molière annonce à son papa (qui a toujours une trogne de bourgeois pas aimable) qu'il veut devenir comédien. Et ça s'engueule à tout va entre père et fils... et ça ne tarde pas trop finalement à aboutir à un silence gêné (passage hilarant), puis à une réconciliation - où papa finit par aider fiston à monter son affaire de théâtre.
Et enfin, la scène impayable où les collégiens élèves des jésuites (plus ou moins pilotés par des laïcs de la future Compagnie du Saint-Sacrement) font tout ce qu'ils peuvent pour pouvoir faire leur carnaval et embêter leurs professeurs.


Trois scènes qui chassent les visions froides de l'homme d'aujourd'hui qui veut absolument nous faire croire qu'avant, les gens n'aimaient pas leurs enfants, que les hommes n'aimaient pas leur femme, que les mariages dits arrangés n'étaient que des symboles de l'oppression, et que les enfants étaient prisonniers de leurs parents - et où l'Église oppressait les gens qui étaient tous très malheureux, il faut bien le dire.
Trois scènes merveilleusement émouvantes (dommage que je ne les aie pas retrouvées sur youtube, mais ça vous fera une bonne raison d'acheter le DVD) qui rendent ces hommes de l'époque classique, que l'on veut volontiers raides, tous confits dans le jansénisme et l'obsession patrilinéaire, proches, touchants, attachants.


http://www.youtube.com/watch?v=S-dJx0w6VhA&feature=related


La scène en lien ci-dessus (désolée, pas insérable) alterne avec bonheur l'évocation de l'intimité et de la sensibilité de l'époque baroque, puis les trucculentes réalités du monde du théâtre au XVIIe siècle, finalement peu différentes de celles d'aujourd'hui ("mais pousse - j'arrête pas de pousser mais ça démarre pas - mais pousse j'te dis !".

Des petits bémols, un surtout : c'est long, très long, surtout vers la fin où Molière n'en finit pas de mourir. Et on s'amuse surtout dans la première partie - en fait, la gloire, c'est beaucoup moins rigolo que la dèche et que la conquête du public. Et oui, c'est un film à profs de français, c'est-à-dire qu'il pèche légèrement par excès de pédagogisme - faut pouvoir le montrer à des élèves et qu'ils comprennent tout. Enfin, la seconde partie insiste lourdement sur la querelle du Tartuffe (comme tous les manuels d'histoire littéraire... à croire qu'il n'y a que ça d'intéressant chez Molière) et puis paf, on passe quasiment directement à la mort de notre grand homme, ce qui ajoute des lourdeurs au scénario.

Mais j'aime la grâce légère des acteurs, l'élégance des choix de lumière, de musiques et de costumes, et le soin apporté à la reconstitution du parler du XVIIe siècle. Et j'aime l'idée de me sentir proche, une fois de temps en temps, de ces hommes d'avant.



Note : paraît que c'était un des films favoris de François Mitterrand. En ce moment, je me découvre plein de goûts en commun avec notre défunt président, je trouve ça plutôt rigolo outre que ça prouve que la Mite avait de bons goûts.