mercredi 28 juillet 2010

L'expérience de la mélancolie. La route du col de Larche.


Il se trouve que de ma naissance et jusqu'à mes dix-huit ans, j'ai passé la quasi-totalité de mes vacances dans la vallée de l'Ubaye, été comme hiver. L'hiver, j'ai eu le grand désarroi d'être contrainte par mes ascendants à faire du ski, ce qui n'a eu pour résultat que de me faire prendre en profonde horreur tout ce qui touche aux "sports d'hiver" (que voulez-vous, je n'aime pas avoir les pieds froids, et en outre je n'aime pas le concept de sport en général).

L'été a été en revanche source d'inépuisables joies. Randonnées en montagne, visites diverses et variées, escalade et baignades dans les lacs de montagne - vous savez, là où l'eau est à moins de quinze degrés.
Aussi ai-je une totale méconnaissance des joies de la station balnéaire. En revanche, je pense avoir vu plus de marmottes et de chamois que quiconque - montagnards résidents exclus, bien entendu, sinon ça ne vaut pas.
Un jour, je vous parlerai aussi du bonheur qu'il peut y avoir à quitter un sentier sur la pointe des pieds, sur l'injonction du Père, ancien chasseur alpin, un doigt sur les lèvres, pour aller s'accroupir un peu plus loin et surprendre, derrière un talus que les touristes habituels n'ont même pas idée d'aller voir, une colonie de marmottes en train de s'ébattre.

Je suis infichue de conduire sans me perdre en Ile de France, en revanche, je connais toujours par coeur, au virage près, la route qui va de la vallée de l'Ubaye en Italie, en passant par le col de Larche. Petite route sinueuse autrefois bien plus stratégique que l'autoroute qui passe sur la côté. La gloire locale est de dire qu'Hannibal est passé par là avec ses éléphants. Ce n'est pas vrai, mais en revanche, François Ier et Napoléon, eux, sont bien passés. Quant à la vallée, elle a été hautement mise en valeur aux glorieuses heures de Vauban puis de la ligne Maginot. On peut encore visiter ces énormes forts-bunkers, derniers bastions quasi-inexpugnables des Allemands au printemps 1945.

Allemands qui ne se gênèrent point pour raser les villages et hameaux environnants lorsqu'ils décidèrent de rentrer chez eux. Sur la route du col de Larche, on traverse encore des villages en ruines, comme Certamussat, dont il ne reste que la petite chapelle et le cimetière, parce que personne n'a eu le courage de reconstruire.



Le col de Larche n'est guère plus riant, de même que la descente vers l'Italie, une fois le col passé. Les plaies de la guerre sont encore visibles dans les ruines des maisons abandonnées et des villages martyrisés.



Quand vous êtes sur cette route, tôt le matin ou tard le soir, vous êtes seul. En hiver, vous n'êtes clairement pas le bienvenu. Les rares tentatives de construction de station de ski ont avorté, et rien n'est plus triste de voir les pylones de remontées en train de rouiller, et le seul hôtel construit abandonné.


Ces paysages de montagnes mal connues, mal aimées - pas assez glamour pour les Parisiens qui veulent leur dose de neige et de fun et se fichent totalement de la montagne le reste du temps - sont de loin les plus tristement beaux que je connaisse.

mardi 20 juillet 2010

L'histoire à l'école, une affaire de modes.





Encore une fois, les vertueux connaisseurs ayant une Certaine Idée de la France poussent les hauts cris. Voyez-vous, c'est que les programmes d'histoire-géo sont manipulés par les vilains gauchistes, corps professoral compris. Ces derniers voudraient qu'on cesse de voir Louis XIV et Napoléon en cours et qu'on les remplace par l'étude du Sichuan et du Monomotapa, qu'on zappe la guerre de Sept Ans au profit des traites négrières. Les petits canaillous.

Oh, je ne vais pas vous faire une liste de liens, mais cherchez un peu sur internet, vous trouverez votre bonheur en matière de déploration sur le cadavre de l'histoire à l'école.

De l'autre côté du pont, on glapit parce que les manuels scolaires seraient discriminants : pas assez d'Indigènes de la République, pas assez de demande de pardons, pas assez de pleurs et de grincements de dents sur l'esclavage.


Lamentations d'Artémise sur un paquet de copies.


Parlons peu, parlons bien. Comme je l'ai déjà raconté il y a peu, pour des raisons un peu compliquées, je travaille en ce moment avec abondance de manuels du secondaire - donc seconde, première et terminale, toutes sections confondues.

Eh bien, je maintiens que beaucoup de manuels sont bons et amibitieux. Oui. Je suis désolée, mais j'irais même jusqu'à dire que certains sont excellents. J'ai sous les yeux celui de chez Hatier, pour les classes de première, et je maintiens qu'il est intelligent, fin et ambitieux. Abondamment illustré, et à bon escient. Posant des questions justes sur l'Europe du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale, sur l'âge industriel, sur le travail, sur les échanges, sur la colonisation, sur les nouvelles cultures politiques.

Savez-vous, ce n'est pas facile de faire entrer dans le crâne d'un gosse de 16 ans, ce que c'est qu'une culture politique. Le travail à l'heure de l'industrialisation. Les pesanteurs et les archaïsmes face à la modernité. Ce que c'est que la République au XIXe siècle. Le nationalisme en Europe. L'essence du totalitarisme.

Oui, le programme est ambitieux. Et oui, il met de côté les aspects chiant-tifiques, et ce parce qu'honnêtement, les dates des batailles de Napoléon, on s'en tamponne le coquillart. Allez, j'avoue, moi aussi je vérifie régulièrement mes dates de la guerre de Trente Ans, afin d'éviter l'anachronisme flagrant qui guette tout thésard. Je ne les connais pas par coeur et je pense qu'il est plus important, par exemple, de poser des questions du style "qu'est-ce que le roi de guerre au XVIIe siècle ?", plutôt de se contenter de faire de la chronologie de la guerre de Dévolution à nos mioches. De même, peut-être est-il plus important que les lycéens planchent sur "l'âge d'or de l'impérialisme colonial : qu'est-ce que la domination européenne", plutôt que de leur asséner la liste des pitoyables aventures de Napoléon III - ce grand comique devant l'éternel.

Et à ceux qui glapissent que le programme est discriminant, que c'est pas assez coloré et trop "petit blanc", je me contenterai de dire que si vous pensez qu'on ne vous a jamais parlé des tirailleurs sénégalais, c'est juste que vous avez séché vos cours d'histoire, parce que les tirailleurs sénégalais, c'était déjà dans le manuel d'histoire de ma mère dans les années 1970, alors vous êtes gentils, vous retournez réviser avant de vous plaindre. Non mais ho.

Enfin, soyons honnêtes : oui, l'histoire est utilisée, manipulée, par l'éducation nationale. Sans blagues : mais que croyez-vous ? Qu'elle n'était pas manipulée, avant mai 68 ? Vous savez vraiment à quoi ça ressemble, un manuel d'histoire de l'entre-deux-guerres (sans même parler de ceux d'avant 1914) ? Vous en avez déjà vu un ? ça consiste essentiellement à montrer que depuis Charlemagne, il y a les bons (les Français) et les vilains (les Allemands), et que l'Alsace, au milieu, elle appartient aux gentils, pas aux méchants. Ah, bien sûr, il y en a, de la chronologie, de l'anecdote truculente... N'empêche que le principe est le même : tout enseignement de l'histoire est toujours un effet de mode.
Oui, en ce moment, c'est le Sichuan et le Monomotapa.

Ne me faites pas rigoler avec l'Identité nationale. Les élèves ne connaîtraient plus leur histoire, ça les empêcherait d'être des bons français ?
Je me permets de vous rappeler que ceux qui sont morts pour la France en 1914 et suivantes, j'suis pas sûre qu'ils auraient tous réellement su placer dans l'ordre François Ier, Charlemagne, Napoléon et Jules César.

Et puis, à ce rythme-là, on devrait expulser de France tous les historiens qui travaillent sur d'autres pays, parce que c'est des traîtres vendus à l'étranger ? Tant qu'on y est, hein.


Alors oui, les programmes, même s'ils parlent du Sichuan et du Monomotapa, sont ambitieux, car l'enseignement de l'histoire n'a rien à voir avec l'Identité nationale - déjà qu'on ne sait même pas ce que c'est c'te bête-là...
L'enseignement de l'histoire dans le secondaire, c'est la formation de l'esprit critique et la sensibilité au passé. Pour moi, c'est toute l'histoire de l'humanité qui m'émeut. Les Assyriens comme Napoléon. Le Néolithique comme les Lumières. La mort de Louis XIII autant que les récits de l'arrivée des Croisés par les Orientaux. Je n'ai, finalement, que faire des gloires militaires françaises, si elles ne doivent prouver que le génie d'un pays.

Alors, pourquoi pas le Sichuan et le Monomotapa ? Si c'est bien enseigné, que les bonnes questions sont posées, que les bons documents sont étudiés, pourquoi cela ne serait-il pas profitable à la formation des jeunes esprits ?


Mais, m'objecte-t-on, les élèves ne connaissent plus l'histoire de France ! Par la faute des immondes gauchistes, ils ne connaissent plus l'histoire de leur pays.

Bah oui, ça, évidemment. Mais ça, c'est parce que, encouragés à ne rien foutre par leurs parents qui préfèrent "leur épanouissement personnel au bourrage de crâne", les petits chenapans n'en branlent plus une en général. Remarque à portée générale qui vaut autant pour les dates des batailles de Napoléon que pour les tables de multiplication.

Oui, je sais, mais que voulez-vous, je n'aime pas cette engeance qui s'appelle les parents d'élèves. N'en étant pas encore une, j'en revendique le droit.


Mais si c'est vraiment pour l'identité nationale, hein, allez-y, indignez-vous et menacez de mettre vos moutards dans le privé. Où, de toute façon, soit ils auront les mêmes bouquins que ceux du public, soit ils auront les vieux manuels de l'ère Giscard et là, je les plains, parce qu'ils ne vont pas rigoler tous les jours.

Mais pardon, j'oubliais, c'était mieux avant.





lundi 19 juillet 2010

Dormir, mourir, rêver peut-être.


Encore aujourd'hui, à la radio, j'ai entendu parler de la volonté de certains de "lever le tabou sur l'euthanasie". Comme d'hab', pour et contre s'étripent sans réfléchir, servant l'un comme l'autre les exemples les plus terribles, les plus pathétiques, pour dire tout et son contraire.

Ce qui me surprend, dans tout ça, c'est la profonde naïveté du débat - déjà qu'en soi je ne considère pas que le "débat" soit chose forcément positive...

On veut une loi. On veut l'abrogation d'une loi. On veut "combler un vide juridique" (ah, cette expression qui fait hurler à la mort les juristes...).

C'est bien beau tout cela. Ces prétendues associations de "droit à mourir dans la dignité". Ces vertueuses indignations contre la "culture de mort". Mais, mis à part déballer de façon assez peu pudique des vies privées de gens qui n'ont rien demandé (ou au contraire, demandent un peu trop à être mis sur le devant de la scène, dans certains cas, allez savoir ?), c'est encore la preuve que le "débat d'idées", tellement à la mode aujourd'hui, n'a aucun sens.

Vouloir "ouvrir le débat" sur l'euthanasie, c'est découvrir que le feu ça brûle et l'eau, ça mouille.

J'avais déjà fait un bout de réflexion du temps que mon snobisme téléramesque me poussait, à 18 ans, à regarder des trucs du Cinéma de minuit, sur la 3 (le snobisme téléramesque, je l'ai toujours, mais comme je n'ai plus la télé, ça limite les occasions de le manifester). Une fois, je suis tombée sur un film avec Fernandel. Pour une fois, c'était du Fernandel pas marrant, où le grand homme jouait un type dont la femme, atteinte d'une maladie incurable, supplie son époux de la tuer. Le type s'exécute mais la famille refuse d'en entendre parler. Quand le type va jusqu'à s'accuser publiquement, dans le but d'expier juridiquement le crime qu'il a commis, la famille tente de le faire enfermer.

1950, hein, le film. On disait quoi, déjà, sur ce débat, qu'il était "signe de notre époque" ? Brûlant d'actualité ? En outre, film tiré d'un bouquin écrit en 1939 et 1940.

Parce que ce vieux film de 1950 dit exactement ce qu'il y a à dire de l'euthanasie : oui, cela existe. Mais s'il s'agit toujours d'un drame, la société n'en veut pas sur la place publique. Et du reste, il n'est peut-être pas bon de vouloir à tout prix en faire une affaire publique.


Mes humbles réflexions ont été complétées par ma sortie toute récente de la lecture des Thibault, de Martin du Gard. Pour ceux qui ne savent absolument pas ce qu'il y a dans le bouquin, très rapidement, il y a deux frères, un médecin, Antoine Thibaut, et son frère, Jacques, un bon à pas grand chose mais socialiste et révolutionnaire. À plusieurs reprises, dans les scènes où intervient Antoine, il apparaît clairement que l'idée d'abréger les souffrances de certains malades par une piqûre létale, est parfaitement admis par les médecins, mais même plus généralement par la société. Antoine injectera une dose mortelle à son père - comme il se suicidera, pour abréger ses souffrances à lui, gazé pendant la Grande Guerre.
Ce qui m'a frappée dans la scène où Antoine tue son père (ne soyons pas naïfs : bien sûr que l'euthanasie est un meurtre), c'est que si l'acte se fait hors de la vue du personnel de la maison, il me paraît assez peu vraisemblable que les gens ne se doutent pas de ce qui vient de se passer. Ben tiens, l'instant d'avant il n'était pas frais, certes, mais vivant, et juste après que le docteur s'est retrouvé seul avec lui, il est mort ? Tout le monde sait parfaitement quel a été le geste d'Antoine, fils et médecin.

Et pourtant, personne n'ira protester contre ce qui s'est passé et qui restera dans le secret de la famille - et, peut-être, un moment douloureux dans la conscience d'Antoine (qui du reste ne semble absolument rien regretter).

Allez, pour mémoire, "La mort du père", vol. 6 des Thibault, 1929. Hein, quoi, "question d'actualité" ?



La seule chose qui soit d'actualité sur ce thème, c'est la crispation. La volonté de déballer. De nous raconter des histoires plus dégueulasses les une que les autres - comme si la dégueulasserie de la vie de tous les jours ne suffisait pas. De traîner des gens devant les tribunaux, ou de s'ériger en apôtre du Bien sous prétexte qu'on vend à des désespérés des petites pilules qui font mourir relativement rapidement. De réclamer. De faire d'une question de liberté individuelle une affaire de lois - en niant, de l'affaire, la liberté des individus et des familles.

Aussi, faut-il autoriser l'euthanasie ? Non. Mais faut-il vouloir dénoncer, durcir la répression de celle-ci ? Je ne crois pas.

Je crois que les choses étaient plutôt bien faites au temps de Martin du Gard : on savait, on n'était pas dupe, mais de là à ce que la Société intervînt dans l'intérieur des chambres de mourants et des consciences...


Malheureusement, au nom du Bien dont divers camps se disputent l'interprétation, la liberté s'amoindrit. Et ça, c'est vraiment d'actualité.

Et le gros avantage de penser à se tourner vers le passé, ça permet de comprendre notre vraie nature. Non, nous ne sommes pas si actuels, si modernes, que nous croyons. Sur la liberté, sur la vie et sur la mort, personne n'invente rien - ou si rarement...



J'aurais bien, du reste, des parallèles à faire avec la question de la burqa : au nom d'un Bien, on se mêle de ce qui ne nous regarde pas. J'en aurais même avec l'avortement, mais comme mes idées sont encore fumeuses, je les garde pour moi, excusez.Pour vous la faire courte et afin que les "pro-vie" comme les pro-euthanasie ne me tombent pas sur le râble en réclamant que je me positionne, je clarifie : en tant que catholique, je crois au péché et au libre arbitre. Pour moi, l'euthanasie est un meurtre, donc un péché, point. Pas à tortiller des plombes là-dessus. Mais que c'est le libre arbitre, et lui seul, surtout pas une loi, qui doit me faire aboutir à un choix. Et en tant qu'épouse de juriste, je commence à comprendre des trucs sur le droit, et j'estime que pour le moment, les choses ne sont pas si mal foutues que ça. Pour les catholiques comme pour les autres.



jeudi 15 juillet 2010

La neutralité en histoire.


Si vous êtes historien et que vous avez un tant soit peu de reste de vie sociale, il doit vous arriver de temps à autres d'être invité chez des gens. Si vous êtes historien avec vie sociale et relations chez des gens bien, vous verrez que la conversation arrive fréquemment, dans des milieux où qu'on a de la culture historique que c'est pas comme chez les bobos de gauche qui ne jurent que par Benjamin Biolay et Libération, sur l'Histoire de France. En général, pour s'affronter à coup de dates et d'assertions glanées sur Radio Courtoisie ("et comme disait Robert Faurisson citant les Mémoires sur le Déclin de l'Occident pour moi-même et mon berger allemand d'Otto von Apfelstrudelsglücksdorf, Dachau, 1933, le 8 septemre 1875 à Issoudun, on a le premier exemple de Juif ayant uriné en-dehors d'une vespasienne, ce qui est la première manifestation publique du complot judéo-maçonnico-républicain contre la France"), à propos de sujets aussi passionnants que

- fallait-il réhabiliter Dreyfus (et n'était-il pas un petit peu coupable, quand même, celui-là ? - vaut également pour Roger Salengro, vous savez, le socialiste qui s'était suicidé en 1936) ?
- fallait-il assassiner Jaurès (la réponse est souvent oui) ?
- sait-on vraiment si les chambres à gaz ont existé ?
- Louis XIII était-il vraiment homosexuel ?
- fallait-il guillotiner Louis XVI (la réponse est souvent non) ?
- pouvait-on éviter la révolution ?
- les révolutionnaires étaient-ils des gros salauds (la réponse est souvent oui) ?
- Hitler était-il si méchant que ça ?
- Marie-Antoinette couchait-elle avec Fersen ?
- toutes les calamités en ce bas monde sont-elles dirigées depuis la nuit des temps par les Francs Maçons, volcans islandais compris ?

et ainsi de suite. Notez bien que personne ne se demande jamais si on pouvait éviter la guerre de Trente Ans, ce qui est ma foi fort dommage.


Si vous êtes historien, que vous avez une vie sociale, que vous êtes invité et qu'en plus, vous êtes poli, vous faites un effort pour participer à la conversation en vous contentant de corriger les dates avancées par vos commensaux. Jusqu'au moment où l'on vous pose la question fatale :

- et toi, tu en penses quoi ?

En règle générale, je réponds un "oh ben moi, je m'en balance un peu, quand même".

Suivent des regards horrifiés. On sent bien dans les yeux de mes interlocuteurs que là, s'ils pouvaient, ils me dénonceraient bien au rectorat pour révisionnisme sauce jemenfoutiste. Puis arrivent les questions inquisitrices : serais-je négligente ? serais-je une vilaine gauchiste ? ou ne ferais-je que peu de cas de l'objectivité de l'historien ?

Sauf que.

La neutralité de l'historien, ce n'est pas de pondre des réponses de social-démocrate ("p'tet bien qu'oui, p'tet ben qu'non") à chaque question historique plus ou moins à la mords moi le noeud. Honnêtement, on s'en fout, de savoir si Louis XVI aurait pu éviter la révolution. Vu que la révolution a bien eu lieu. On s'en fout, de savoir si untel était méchant ou si tel épisode est regrettable. Sans déconner, bien sûr qu'un massacre, qu'un lynchage politique, c'est dégueulasse. Bien sûr que les guerres, dans l'absolu, faudrait éviter.
La neutralité de l'historien commence en évitant les jugements de valeurs. Déjà au collège, mes professeurs d'histoire sanctionnaient les copies qui portaient des mentions du style "l'horrible guerre de Vendée", "les terribles révolutionnaire", "le malheureux Louis XVI", "le pauvre Dreyfus", et ainsi de suite. Quel que soit le personnage, quelle que soit la période, on doit garder sa réserve. Ses émotions. Son petit jugement personnel.

Aussi l'Ancien Régime, le Moyen-âge, la Révolution, l'Affaire Dreyfus, la Première Guerre Mondiale, ne sont ni bons ni mauvais en soi. Ils ont été, cela suffit. Comprendre ce qui s'est passé me paraît déjà une mission de haute volée, alors juger... D'autant que pour ce que je connais du droit, la justice ne juge que les vivants, pas les morts...



lundi 12 juillet 2010

Histoire de la médecine et quelques éléments de réflexion historique pour l'été.

À chaque fois que j'ai la migraine - en moyenne une fois par semaine, du genre à se taper la tête contre le mur - et que j'avale frénétiquement une surdose d'anti-douleurs, je me pose la même question : mais comment faisaient-ils, avant ? Je veux dire, comment faisaient-ils pour supporter la non-découverte de l'aspirine, l'absence de traitement contre les coliques néphrétiques et de cette chose fascinante qu'est l'anesthésie ?

Aussi l'histoire de la médecine est-elle un truc passionnant. J'aime beaucoup les musées d'histoire de la médecine - et en plus, ça tombe bien, il y en a plein à Paris. Voici donc quelques idées pour un parcours estival et muséographique :


Le musée d'histoire de la médecine

Celui-là, il est tout petit. Situé dans l'école de médecine de Paris (rue de l'Ecole de médecine, Paris Ve), on le trouve après avoir erré bien dix minutes dans les couloirs en suivant avec application les panneaux idoines et congruents (mais non sans se dire deux ou trois fois mais je ne serais pas déjà passé par là ?). Une grande salle avec des vitrines anciennes - quelques instruments de médecine égyptienne et grecque, quelques éléments médiévaux, mais ça commence à être vraiment amusant à partir de l'époque moderne. Il y a même le trépan d'Ambroise Paré et le bidule avec lequel on a opéré la fistule de Louis XIV, c'est vous dire. Pour trois euros, vous pouvez avoir une visite guidée plutôt bien fichue même si très old school - ne vous attendez pas à ce qu'il y ait des animations pour les petits enfants.


Le musée d'histoire de la médecine militaire

Au Val-de-Grâce, place Alphonse Laveran, Paris Ve. Se visite sur rendez-vous ou pendant les journées du patrimoine. Remarquables collections, tableaux, instruments, pots d'apothicaires, moulages - attention, il est fortement déconseillé de prendre un café au lait avant d'entrer dans les salles consacrées aux gueules cassées de la Première guerre mondiale.
Et en plus, vous passez par les appartements d'Anne d'Autriche au Val de Grâce, et vous terminez la visite par la chapelle qui vaut à elle seule le détour (si vous voulez du baroque, vous en aurez à la pelle).


Le musée d'anatomie Delmas-Orfila-Rouvière.

Rue des Saints Pères. Femmes à barbes, moulages de têtes de suppliciés du XIXe siècle, statue du nain de Stanislas Lesczinsky, et le moulage des os d'un Kalmouk qui mesurait plus de deux mètres cinquante.
Une vraie rigolade.


Le musée Dupuytren.

Également rue de l'Ecole de médecine, Paris Ve. Pour le coup, ce n'est pas le café au lait qui est déconseillé, c'est d'avoir mangé, tout court. À vous les veaux à deux têtes, les colonnes vertébrales dédoublées et tordues, les malformations diverses et variées, les tumeurs en bocaux. Visites limitées, seulement l'après-midi. En plus, c'est souvent désert parce que personne ne sait que ça existe.
En outre, ce musée vit quasi-seulement avec les sous que rapportent les quelques milliers de visiteurs annuels, donc soyez sympa, contribuez à la vie de la muséographie française.


Le musée Fragonard de l'école vétérinaire de Maisons-Alfort.

Le plus épatant, découvert très récemment. Rien à voir avec le peintre spécialisé dans la scène de drague - encore qu'en réalité si, puisqu'Honoré Fragonard était le cousin du peintre. Chirurgien, puis professeur d'anatomie dans l'école vétérinaire d'Alfort, fondée par Louis XV, Fragonard, en bon homme du XVIIIe siècle, était atteint de collectionnite aiguë, et rêva de fonder un Cabinet national d'Anatomie. Il se spécialisa en particulier dans la réalisation d'écorchés, les plus célèbres étant le Cavalier, le Singe, l'Homme à la mandibule, et surtout le Groupe de foetus dansant la gigue.

Oui, vous avez bien lu, un groupe de trois foetus - humains, si, si - dansant la gigue. Réalisé non pas pour une exposition au parfum vaguement scandaleux du début du XXIe siècle, mais bien à des fins scientifico-artistiques, entre 1766 et 1771. Cela dit, il paraît que le truc eut un succès fou auprès de la bonne société qui se précipitait pour voir les foetus de Fragonard.
On sait par les inventaires que Fragonard s'intéressait particulièrement à la mise en scène de la mort, et qu'il réalisa d'autres compositions à base d'écorchés montés sur des chevaux entourés de foetus humains montés sur des moutons pour faire l'armée de l'apocalypse.


Moyennant quoi il me paraît difficile de ne pas réfléchir aux prétendus débats de notre temps. Régulièrement, je reçois dans ma boîte mail des propositions pour apposer ma signature au bas d'une pétition pour un énième débat éthique, contre l'utilisation des cellules souches, ou pour retirer du marché la prétendue crème à base de cellules dérivées de foetus avortés - et là, du reste, je serais curieuse de savoir dans quelle mesure c'est vrai, le coup des cellules de foetus.

Quand on fréquente ces musées, on est bien obligé de se dire que finalement, les hommes des siècles précédent étaient bien plus décoincés que nous. Chez eux, point de débat bioéthique à n'en plus finir - et qui, au final, tournent au dialogue de sourds. On lançait sa petite affaire à base d'écorchés, sa petite recherche à base de cadavres récupérés un peu n'importe où, et ensuite, certes, on pouvait avoir de graves ennuis avec la justice si celle-ci estimait que là, ça déconnait sévère, mais sinon, on vous foutait la paix. Et on pouvait même se tailler son petit succès de société.

Aussi me paraît-il curieux de dénoncer le décadentisme de nos moeurs actuelles. Ce genre de semi-plaisanteries à vocation scientifique n'est pas une nouveauté. Au contraire, nous avons beaucoup à apprendre, encore, sur les siècles qui nous ont précédé. Qui étaient ces hommes qui n'étaient pas choqués par des foetus mis en scène, dans une Europe pourtant encore massivement chrétienne et que l'on croit verrouillée par l'Église et le pouvoir monarchique ? Qui étaient ces hommes qui ne croyaient pas au débat et que cela n'empêchait pas d'avancer et de rester à l'affût de la nouveauté sans que ce fût pour eux une valeur positive ?

Ces hommes du passé n'ont pas fini de nous surprendre et de nous donner des leçons d'humilité sur la complexité de la nature humaine.

lundi 5 juillet 2010

Libération.

Étant d'une crédulité désarmante dans le domaine de la cosmétique et des trucs-de-fille, j'ai lu récemment dans Elle que, quand on avait les mains sèches, un bon truc consistait à s'enduire les mains de cold cream, d'enfiler des gants de vaisselle et de faire la plonge. Les gants en caoutchouc faisant effet occlusif et l'eau chaude accélérant le processus de pénétration de la crème dans l'épiderme.

En bonne andouille qui croit dur comme fer que cette nouvelle crème de jour va la faire rajeunir d'au moins deux semaines, j'ai essayé. Pour une fois, je fus ravie, car cela fonctionna au poil. J'avais les mains parfaites (mes gants de vaisselle, en revanche, sont inutilisables). J'en tressaillais de joie.

Cette note absurde était donc, de manière parfaitement discriminatoire, destinée à mon lectorat féminin.

Mais qu'est-ce qu'elle nous gonfle avec ses histoires de filles, vous demandez-vous un poil agacé - et vous avez raison, car vous êtes habitués à mieux.

En fait, je me disais aussi que cette information pouvais aussi t'intéresser, ô toi le mâle soumis et symboliquement castré par ta femme qui t'oblige à faire la vaisselle et qui ne va pas tarder à te demander le droit d'aller bosser (et de montrer ses cuisses en mini-jupe dans le métro, ah, la perfide !). Montre-lui cet article et tu vas voir qu'elle va y retourner fissa, à la plonge.

Mais, vas-tu m'objecter, ça va me coûter cher en cold cream et en gants de vaisselle, cette affaire.

Eh oui, mon brave, tout a un prix, y compris la non-libération de la femme.

Et toc.

jeudi 1 juillet 2010

Faudrait penser à pas voir des génocides partout, à la longue c'est lassant.

Parfois, je reçois des trucs rigolos, comme des liens vers des librairies catholiques. C'est plutôt amusant parce que je fous rarement les pieds en librairie vu que je déteste ça (je me fournis à la bibliothèque municipale de ma banlieue pour riches, chez Gibert parce que raspi un jour, raspi toujours, et le reste sur internet).

(Un jour, je vous dirai pourquoi je déteste les librairies. Encore que, pour ceux qui me connaissent, vous devinez probablement la raison essentielle : les libraires prennent les gens pour des cons et je n'aime pas ça).

Bref, je reçois des publicités pour acheter des trucs sur la mystique de sainte Radegonde, l'histoire des Templiers, la vraie histoire de Jeanne d'Arc (mais la vraie histoire, hein, pas l'histoire des vilains universitaires gauchistes), et en général, il y a toujours un bouquin sur le génocide vendéen.

Une fois, j'en ai acheté un, pour la déconne (à l'époque y'avait pas encore les traites de l'appartement à payer). Ouragan sur la Vendée, que ça s'appelait - rien à voir avec la tempête de 1999, je précise. J'ai dû payer ça une douzaines d'euros pour cinq cent pages, soit un bon rapport poids-qualité-prix.
Le truc avait été écrit dans les années 1980, au moment où on a commencé à se rouler par terre dès qu'on parlait de la Révolution - j'étais encore petite mais entre les aficionados du Bicentenaire et les types à peine remis de l'émigration (deux cent ans quand même pour s'en remettre, hein), je me souviens qu'à l'école, ça s'accrochait déjà beaucoup entre instits.
Je précise que j'ai eu des instituteurs gratuits, laïcs, barbus et obligatoires, et que dans le tas, on comptait probablement une bonne moitié d'anti-révolutionnaires, et qui en faisaient en cheval de bataille personnel, à croire que tout ça avait encore un sens deux cent ans plus tard.

Bref, le type du bouquin, il s'appuie sur les épisodes bien larmoyants de la guerre de Vendée pour vous expliquer tranquillement que tout ça, c'est rien qu'un génocide comploté par les vilains francs-maçons et les proto-communistes contre la Vraie France fidèle à Dieu et à son Roi. C'est très rigolo parce que ce n'est absolument pas historique (mais ça balance beaucoup de chiffres) mais c'est plutôt bien écrit - si on aime l'erzatz de sous-flamme gaullienne période Mémoires de guerre.

Comment dire les choses sans être horriblement désinvolte - car on parle de guerre et de morts, là, quand même ?

Bon, allons-y quand même. Cette affaire de "génocide vendéen" me fait bien rigoler. D'abord parce que ça prouve que les gens qui parlent de ça n'ont pas la moindre idée de ce qu'est un génocide. Pour autant que je sache, un génocide, c'est quand on cherche à éradiquer un peuple - et qu'on y réussit plus ou moins. Du genre que ça fait des millions de mort, et tout. Bon, soyons clairs, il y avait encore pas mal de monde en Vendée à l'issue de la Révolution - c'est pas tout à fait la même ambiance que la Pologne fin 1945, voyez ?

Deuxième chose : parler de génocide vendéen, c'est un peu découvrir que la guerre, ça fait mal, surtout à cette époque. Oui oui, ça fait du genre des milliers de morts, des viols, des pillages, des crimes de guerre affreux. Si on commence à parler de génocide pour la Vendée, je propose qu'on parle de génocide allemand pour la guerre de Trente Ans. Je propose qu'on parle de génocide nègrepelissien perpétré par Louis XIII lorsqu'il a repris la ville aux vilains calvinistes, tout crâmé et massacré pas mal de monde en 1622. Tiens, et aussi pour la Guerre des Gaules (deux millions de morts, quand même), le massacre de Béziers en 1209 ?
Hé oui, faire la guerre à l'époque moderne, ce n'est pas faire dans la dentelle. C'est dégueulasse, même. La guerre de Vendée ne fait pas exception. De même, les estampes de Callot, plus tard celles de Goya, font frémir, assurément, mais c'est la triste réalité de la guerre - et du massacre de masse allègrement pratiqué depuis la nuit des temps.

Sauf que... à ce rythme-là, le terme de génocide, finalement, ne veut rapidement plus rien dire.

Enfin, qu'on fasse des martyrs de la guerre de Vendée, je me marre. À peu près tout les historiens sont d'accord pour estimer que les Vendéens et les Chouans bretons n'en avaient plus ou moins rien à taper du Roi et du pape. Le début de la révolte contre-révolutionnaire commence quand le petit peuple des campagnes pige le coup de la vente des biens nationaux, qui ne profite qu'aux riches. L'habillage royaliste et catholique vient après coup, lorsque les ecclésiastiques et les quelques nobles anti-révolutionnaires ont utilisé pour rallier le peuple à leur cause, c'est-à-dire défendre leur pognon avant tout - le roi, oh, le roi, c'était bien loin tout ça. Il me semble que l'illustre Jean Clément Martin a fait le tour de la question.

Aussi, s'esbaudir à chaque fois qu'on trouve une fosse commune en Vendée, c'est un peu découvrir l'existence de la lune. Tiens, la guerre, c'est violent. Sans déconner. Allez demander à un Alsacien du XVIIe siècle, de ce qu'il pense de l'assimilation de l'Alsace par les rois de France. Lisez un peu le journal de Pierre-Ignace Chayatte sur ce qu'il pense de Louis XIV et de l'annexion de Lille à la France. Et le sac du Palatinat, tiens ? Et celui de Magdebourg ? Et celui de Constantinople ? Pourtant, là aussi, il y a eu des massacres de femmes et d'enfants, des charniers, des outrages aux cadavres, des villes rayées de la carte.
Et pourtant, ce sont de bons chrétiens qui les ont perpétrés. Génocides ? ou alors, ceux-là, c'était pour la bonne cause, ça ne compte pas ? Faudrait voir à pas déconner, non plus.
Je préfère ne pas m'étendre non plus sur l'indécence qu'il y a à comparer l'histoire de l'Allemagne et du nazisme au premier XXe siècle, et à la Révolution française de 1793, mais passons, je considèrerai qu'il s'agit là des méfaits de la conception cyclique de l'histoire contre laquelle ne j'ai pas fini de m'égosiller.


Un très grand historien de l'art du Moyen-âge va jusqu'à affirmer que pour faire de l'histoire moderne et médiévale, être chrétien (ou du moins avoir une très solide culture chrétienne) peut être une condition pour comprendre, ressentir les intimités de ces gens. J'adhère pleinement à cette idée.

En revanche, l'appréhension des faits à la sauce émotive et confessionnelle ne me paraît pas une manière intelligente de faire de l'histoire - pas plus que de faire de l'histoire à la sauce anticléricale. Il ne s'agit pas de mettre ses convictions à la porte à chaque fois qu'on se met à travailler. Je ne crois pas du reste à la réelle impartialité de l'historien.

Mais réfléchir à ce qu'on dit et ce qu'on sait, définir les choses justement et cesser de brandir un étendard politico-confessionnel à chaque fois qu'on veut écrire une page d'histoire, ça ne me paraît pas si compliqué.