Il se trouve que de ma naissance et jusqu'à mes dix-huit ans, j'ai passé la quasi-totalité de mes vacances dans la vallée de l'Ubaye, été comme hiver. L'hiver, j'ai eu le grand désarroi d'être contrainte par mes ascendants à faire du ski, ce qui n'a eu pour résultat que de me faire prendre en profonde horreur tout ce qui touche aux "sports d'hiver" (que voulez-vous, je n'aime pas avoir les pieds froids, et en outre je n'aime pas le concept de sport en général).
L'été a été en revanche source d'inépuisables joies. Randonnées en montagne, visites diverses et variées, escalade et baignades dans les lacs de montagne - vous savez, là où l'eau est à moins de quinze degrés.
Aussi ai-je une totale méconnaissance des joies de la station balnéaire. En revanche, je pense avoir vu plus de marmottes et de chamois que quiconque - montagnards résidents exclus, bien entendu, sinon ça ne vaut pas.
Un jour, je vous parlerai aussi du bonheur qu'il peut y avoir à quitter un sentier sur la pointe des pieds, sur l'injonction du Père, ancien chasseur alpin, un doigt sur les lèvres, pour aller s'accroupir un peu plus loin et surprendre, derrière un talus que les touristes habituels n'ont même pas idée d'aller voir, une colonie de marmottes en train de s'ébattre.
Je suis infichue de conduire sans me perdre en Ile de France, en revanche, je connais toujours par coeur, au virage près, la route qui va de la vallée de l'Ubaye en Italie, en passant par le col de Larche. Petite route sinueuse autrefois bien plus stratégique que l'autoroute qui passe sur la côté. La gloire locale est de dire qu'Hannibal est passé par là avec ses éléphants. Ce n'est pas vrai, mais en revanche, François Ier et Napoléon, eux, sont bien passés. Quant à la vallée, elle a été hautement mise en valeur aux glorieuses heures de Vauban puis de la ligne Maginot. On peut encore visiter ces énormes forts-bunkers, derniers bastions quasi-inexpugnables des Allemands au printemps 1945.
Allemands qui ne se gênèrent point pour raser les villages et hameaux environnants lorsqu'ils décidèrent de rentrer chez eux. Sur la route du col de Larche, on traverse encore des villages en ruines, comme Certamussat, dont il ne reste que la petite chapelle et le cimetière, parce que personne n'a eu le courage de reconstruire.
Le col de Larche n'est guère plus riant, de même que la descente vers l'Italie, une fois le col passé. Les plaies de la guerre sont encore visibles dans les ruines des maisons abandonnées et des villages martyrisés.
Quand vous êtes sur cette route, tôt le matin ou tard le soir, vous êtes seul. En hiver, vous n'êtes clairement pas le bienvenu. Les rares tentatives de construction de station de ski ont avorté, et rien n'est plus triste de voir les pylones de remontées en train de rouiller, et le seul hôtel construit abandonné.
Ces paysages de montagnes mal connues, mal aimées - pas assez glamour pour les Parisiens qui veulent leur dose de neige et de fun et se fichent totalement de la montagne le reste du temps - sont de loin les plus tristement beaux que je connaisse.