lundi 12 décembre 2011

On reparle du génocide vendéen.

L'autre matin, en proie à un chouette moment d'insomnie entre quatre heures et six heures et demie, je me suis rappelée que j'avais emprunté à la bibliothèque Les Démons de Dostoïevski. Un peu par hasard, du reste, car j'ai un rapport compliqué avec la littérature russe - j'ai jamais bien compris pourquoi les personnages des romans russes, à chaque fois qu'ils font le moindre truc, se mettent toujours forcément à philosopher sur la vie, la mort, la foi, le temps et la politique - mais sinon ça se laisse lire.

Toujours est-il que les premières pages m'ont fort amusée car il y est question d'un historien un peu raté sur les bords, dont la thèse a suscité quelques remous pour une raison obscure dans le milieu universitaire, et qui depuis en profite pour s'attribuer une place de contestataire victime d'ostracisme de la part de l'ensemble du monde intellectuel de son temps. Son hobby favori devient la compromission régulière avec des milieux qui sentent le soufre tout en prenant soin d'aller régulièrement lécher les bottes auprès des autorités. Contestataire, engagé, mais pas téméraire non plus - faudrait pas déconner.

Cela m'a fait diablement penser à l'un des nouveaux héros de la pensée réactionnaire, notre ami à tous Reynald Sécher. Que je n'aime pas pour plusieurs raisons mais comme je n'ai pas lu son dernier bouquin, je vais d'abord exposer les raisons générales qui font que j'estime que le bonhomme est un gros rigolo. Et puis quand j'aurai feuilleté son opus chez Gibert, je reviendrai vous en donner un avis plus précis.


Pour ceux qui ne visualisent pas (ou qui ne s'intéressent que de loin à l'actualité historique), Reynald Sécher est un loustic qui publie des livres sur la guerre de Vendée pendant la révolution française. Avec pour objectif de montrer que la guerre de Vendée et la Shoah, c'est tout pareil (mais il n'a pas jugé nécessaire de préciser qu'il y avait quasiment deux siècles d'écart entre les deux).


D'abord, je n'aime pas les types dont le fond de com' consiste à glapir à la censure avant même la sortie de ses bouquins en librairie. Vous me direz que c'est un moyen commode de prévenir la douleur, mais quand on n'est en fait pas censuré du tout, c'est comme l'histoire du petit garçon qui crie au loup : ça donne l'air bête, à force.
Reynald Sécher, voilà un bonhomme dont le leitmotiv, dans les interviews qu'il donne, est de répéter qu'il est très malheureux parce que personne ne veut publier ses livres. D'où il en tire la preuve qu'il doit être vachement subversif et que, la subversion étant la valeur à la mode en ces années 2010, il est donc génial, forcément génial. Et que c'est pour cela que les pouvoirs en place (le Grand Orient de France par exemple) cherchent à faire interdire ses livres.

Du reste, à ce titre, Reynald Sécher raconte des anecdotes désopilantes afin de prouver son terrible calvaire pour clamer la vérité à la face du monde : d'abord, il paraît qu'une semaine avant sa soutenance de thèse, son appartement à été cambriolé pour lui piquer son doctorat, tellement il était subversif. Je ne veux pas être méchante mais cela me paraît relever davantage du fantasme que de la réalité, cette affaire. Non parce qu'en général, une semaine avant la soutenance, la thèse est déposée à l'université, chez chacun des membres du jury de la thèse (quatre ou cinq) et souvent chez des copains à qui on a donné un exemplaire en gage d'amitié (oui, dans le milieu universitaire, on s'offre des exemplaire de thèse, ne rigolez pas).
Alors soit les détracteurs de Reynald Sécher étaient particulièrement cons (c'est possible, vous me direz), soit... c'était plus son auto-radio ou son walkman qui étaient visés. Parce que sa thèse...

Ensuite, il y a l'anecdote du type agissant au nom du gouvernement, qui vient lui proposer cinquante mille balles et un poste à la fac en échange de "son silence". Donc effectivement, on cherche à le faire taire en lui donnant une chaire à l'Université. Je veux bien que ses détracteurs oppresseurs soient vraiment cons, mais là ça devient un peu gros quand même.

Enfin, on l'oblige à démissionner de l'Education nationale dont il n'était pas titulaire, se trouvant probablement trop génial pour s'autoriser à passer le capes ou l'agrégation (son CV étant en ligne, c'est facile à savoir). Vous me direz qu'il est préférable de dire qu'on démissionne à cause des pressions des méchants gauchistes, plutôt que d'avouer qu'on ne peut pas piffer l'enseignement en collège. Là, ok.


Autre posture du bonhomme : il est censuré, maltraité par les journalistes et la communauté historienne, rien que ça. Ce serait la raison pour laquelle il a fondé sa propre maison d'édition pour pouvoir publier ses ouvrages (qui sont subversifs, faut-il le répéter). C'est qu'on n'est jamais si bien servi que par soi-même.
Cela dit, le premier bouquin de Sécher (La Vendée-Vengé) a été publié aux Presses universitaires de France, dans la collection "Nouvelle Clio", celle qui rassemble abondance de bouquins destinés aux étudiants en histoire et aussi au grand public (la "Nouvelle Clio", ça se vend super bien, c'est comme les biographies de rois de France chez Fayard). On note donc la censure à l'oeuvre dans la publication des livres de ce monsieur.
Le livre se peut même très facilement consulter à la Bibliothèque nationale : ô surprise, il n'est pas rangé dans les tiroirs scandaleux de l'Enfer de la BNF. En pianotant sur le serveur, vous pouvez même l'obtenir sur votre table de lecteur en une vingtaine de minutes. J'ai essayé, ça marche. Vous ne vous attirez même pas le regard réprobateur du bibliothécaire. C'est très décevant - et moi qui espérait toucher du doigt le monde de la subversion...

Reynald Sécher, historien et martyr, est aussi victime de l'ostracisme des universitaires. Ce n'est pas parce que ses prises de positions sont aussi vaines qu'inintéressantes, non, c'est bien évidemment parce qu'il est subversif et que l'Université est pourrie jusqu'à la moëlle par le marxisme rampant. Bien entendu.
Cela doit tout de même être hautement vexant pour lui, là, je le reconnais. Non parce que quand un historien brillant et sérieux a des ennuis (Sylvain Gougenheim, Olivier Pétré-Grenouilleau), il est soutenu quelles que soient ses positions par l'écrasante majorité de la profession. De là à dire que si personne ne s'occupe de votre matricule, c'est que vous n'êtes pas forcément le numéro un de l'intérêt national en histoire, il n'y a qu'un pas...


Dernier élément (avant de passer, dans quelques jours, à quelques mots sur son dernier livre), l'objectif de Reynald Sécher, aujourd'hui, est critiquable dans la mesure où il pratique allègrement le mélange des genres : chercher à montrer que la Vendée c'est tout pareil que le génocide juif, oui, ça me chiffonne. Le génocide, c'est une notion juridique. Orienter son travail dans ce but, c'est une nouvelle fois vouloir faire de l'historien un juge. Ou pire, un procureur. Or les historiens n'ont pas à se mêler, dans leurs travaux, d'affaires juridiques et politiques. C'est ce que se tuent à répéter les membres de Liberté pour l'Histoire.


Bon. Et maintenant ?

Comme je vous le disais, j'ai pris une fois un après-midi complet pour lire la thèse de Sécher, celle des années 1980, publiée aux PuF. C'est extrêmement ennuyeux à lire mais ça, c'est parce que la période me rase un peu et que Reynald Sécher n'est pas exactement au même niveau que Tolkien niveau plume, mais ce n'est pas un mauvais livre. C'est même plutôt bien fichu. Et convaincant. Pourquoi ? Parce que le type fait là un ouvrage d'histoire, pas un sermon politico-juridique sur la Vendée.
Le problème à mes yeux est qu'on a l'impression que l'auteur oublie complètement que la guerre à l'époque moderne, c'est extrêmement violent. Toujours. Que ces gens-là n'ont pas du tout la même notion du "respect de la vie humaine" à prononcer avec des trémolos dans la voix, que nous. Un peu comme les Romains n'hésitaient pas à massacrer allègrement les peuples gaulois qui les asticotaient un peu. Un peu comme les ligueurs catholiques du XVIe siècle trouvaient que puisque les protestants étaient pénibles, on pouvait tous les tuer, ce serait plus simple comme ça. Et que donc, la notion de "génocide", pour cette période, est aussi peu appropriée qu'un emplâtre sur une jambe de bois.



Aussi, qu'on en fasse le nouveau parangon de la vertu réactionnaire au service de la vérité maltraitée par les vilains gauchistes, ça m'énerve un peu. Un tout petit peu.