Il y a peu, je sortais de chez moi et passai près du collège de mon quartier. Collège plutôt BCBG, enfants de familles plutôt tranquilles. Deux professeurs discutent, l'un d'eux mentionne qu'il a encore dû punir un élève connu des services pour être du genre pénible. Pas bien méchant, plutôt grand garçon très couillon, qui aime bien faire rigoler la classe aux dépends du professeur. Et qui récidive malgré l'avalanche d'heures de colle et de punitions - vu que ce n'est jamais bien grave, on ne va pas non plus l'exclure du collège.
"- Ah, tiens, il a pourtant été collé la semaine dernière, ça aurait dû le calmer pour dix jours là non ? Et qu'est-ce qu'il a fait cette fois ?
- Bah, il essayait de planter son compas dans la chaussure de son voisin.
- Et t'as fait quoi ?
- Je lui ai donné à recopier le dictionnaire jusqu'à "abruti". Il n'a plus bougé du reste du cours, ça l'a mouché bien comme il faut."
Ce dialogue m'a très exactement fait éclater de rire. Dans mon enthousiasme pour la présence d'esprit du professeur, je l'ai même posté sur Facebook pour faire rigoler à mon tour les copains.
Mal m'en a pris je me suis pris quelques sales réflexions à base de "un prof fait ça à mes enfants, je vais le voir direct pour lui demander l'intérêt pédagogique de cette punition, c'est un avilissement, une insulte, c'est scandaleux". On sentait que le parent d'élève offusqué n'était pas loin de venir casser la gueule au prof, ce tortionnaire fasciste et sadique.
J'ai eu beau expliquer que 1 "abruti" n'est pas précisément une insulte atroce et que 2 la punition est par principe destinée à faire chier l'élève chiant et qu'à comportement débile punition débile, rien n'y a fait. On m'expliquait que les professeurs qui font ça sont des incapables, des imbéciles, sans aucune autorité, qui vont tous finir en dépression.
C'est très exactement parce qu'il y a des parents comme ça que l'école meurt. Parce que toute autorité, toute légitimité est retirée aux professeurs, forcément coupables de tous les maux. L'élève est un petit branleur inculte ? Mais c'est que le cours n'est pas intéressant voyons ! L'élève est violent, il frappe ses camarades ? Mais c'est que les professeurs ne le surveillent pas assez et refusent de comprendre que c'est sa manière de s'exprimer.
De nombreux parents d'élève sont intimement persuadés d'avoir mis au monde un génie, la huitième merveille du monde, un être de lumière - au moins. Il n'est qu'à voir les hurlements que vous pouvez entendre lorsque vous sous-entendez, en réunion parents-profs, que Chouchou aurait peut-être éventuellement besoin de suivre l'aide personnalisée proposée par l'établissement. Alors, quand le problème est lié à la discipline, imaginez... Quoi, leur enfant fume et pas que des cigarettes ? Mais c'est de son âge, vous devez le comprendre. Quoi, il gifle un surveillant ? Mais j'aurais fait pareil, il ne doit pas se laisser manquer de respect...
C'est comme ça qu'on arrive à des situations ou, aujourd'hui, un gosse de neuf ans tue sa camarade de dix ans d'un coup de pied dans la poitrine. Et qu'on OSE nous parler de "coup réflexe". Un coup réflexe qui s'apprend par une longue pratique des arts martiaux, en général... Et qu'on nous présente le jeune meurtrier comme une victime, bien évidemment.
Moi, je pleure sur la gosse fauchée à dix ans à peine, victime d'un de ces gamins à qui on n'a jamais appris la moindre contrainte. Qui trouve normal de frapper violemment si on le bouscule à la cantine. Je pleure aussi sur ce gosse qui à neuf ans à peine doit répondre d'avoir tué sa camarade.
Je n'ai en revanche aucune pitié pour ses parents qui ne lui ont jamais appris à se maîtriser. Et sur toutes les ordures qui se contenteront d'invoquer "le réflexe", l'"accident", "le manque de moyens" (la faute à ces salauds de profs en grève).
Je parie aussi qu'on apprendra très vite que cette école était connue pour sa violence, que le gosse n'était pas "un garçon très calme " (oh mais si voyons, un ange, véritablement). Un peu comme la fois où Karen Montet-Toutain, après avoir été poignardée par un élève, s'était vu d'abord reprocher d'être une mauvaise prof, jusqu'à ce qu'on découvre que l'établissement était connu pour son extrême violence.
L'école meurt de la langue de bois. Les enfants meurent d'un ignoble laxisme des adultes.
Je ne sais pas vous, mais cette histoire, une de plus, m'anéantit.