Bien évidemment, j'ai une faiblesse, comme à peu près l'écrasante majorité des gens, pour la série Games of Thrones. La seule chose qui me gonfle un peu, c'est sa violence et le luxe de détails bien répugnants, les éviscérations, les décapitations, les tortures, bref, tout ce qui est très à la mode depuis quelques années. Mais à cela j'ai un remède efficace : je file dans la pièce à côté (c'est la buanderie, chez nous, du coup c'est pratique : j'évite de rendre mon repas et j'avance dans le pliage de linge propre), du coup, le problème reste circonscrit.
Ce qui m'enthousiasme en revanche, c'est sa qualité d'illustration historique. Ne me prenez pas pour une bille non plus : je suis au courant, Westeros, en vrai, ça n'existe pas, et les dragons non plus, par ailleurs. Par ailleurs, je suis bien consciente que les types qui font les décors ont fait leur petit marché à leur sauce, genre des armures du XIVe siècle mélangées à des cabinets de plus pur style Henri II (si, dans les appartements royaux de Port-Réal, regardez bien), et des chaises curules qui n'auraient pas déparé chez Napoléon.
Plus intéressante est la représentation de la haute noblesse dans la série. Surtout les personnages de la famille Lannister, d'ailleurs. Ils n'ont pas de chance, ceux-là, vu que ce sont les vilains méchants. Mais les vilains méchants qui, finalement, incarnent à la perfection ce qu'a pu être la mentalité noble du Moyen-âge et d'une partie de l'époque moderne. Jaime Lannister et son père sont des salauds dans l'histoire, c'est entendu. Mais enfin, ce sont des salauds nobles. Et des salauds courageux malgré tout, redoutables combattants. Ce qui justifie d'ailleurs que malgré la haine politique qu'elle leur voue, Brienne de Torth éprouve une admiration de classe à leur égard.
Jaime Lannister, c'est Guillaume le Maréchal de Georges Duby, c'est le "meilleur chevalier du monde" (c'est souligné suffisamment souvent), aussi éclatant dans sa noblesse qu'imbu de sa personne. Oui, mais c'est tout à fait cohérent avec sa position sociale : par son excellence en tant que chevalier, par sa naissance, tout lui est dû, point final. Pour les connaisseurs, le personnage me fait penser à celui d'Herbert le Gros dans Argile et cendres de Zoé Oldenbourg : violent, en particulier avec les femmes, torturé souvent (Herbert se débat entre le plaisir qu'il éprouve à violer sa demi-soeur et sa crainte du châtiment en enfer, Jaime doit affronter l'opprobre pour avoir fait le sale boulot en tuant le "roi fou"), ils restent convaincu de leur droit à prééminer, du fait de leur naissance et surtout de leur valeur guerrière.
Le père Tywin Lannister est tout aussi racé, excellent stratège et combattant à la tête de ses troupes. Il est aussi obsédé par le maintien de sa race - et l'explique clairement à son fils contrefait Tyrion : même nain, celui-ci a sa place dans la famille parce qu'il est du même sang. Le clan prime sur l'individu qui doit avant tout tenir son rang. D'où le mépris qu'il ressent visiblement à l'encontre du petit fils dégénéré, le cruel et débile Joffrey. A mon sens, à l'encontre de Tyrion, le fils nain et débauché, c'est plus de la rage qu'il ressent, pas du mépris. Car dans une certaine mesure, Tyrion justifie sa position par son intelligence, à défaut de valeur physique. Joffrey, lui, n'a ni intelligence, ni courage.
La seule chose qui me chagrine, c'est le traitement de la question religieuse. Non parce que vouloir faire un truc médiéval sans religion, c'est juste vouloir parler de la Chine depuis 1949 sans parler de Mao (poke les candidats du bac de cette année) : dommage, et légèrement à côté de la plaque. Alors oui, y'a bien l'histoire de la prêtresse de Machinchose qui ressuscite les morts, et le personnage de Stannis Baratheon qui est à peu près aussi drôle et stimulant qu'un technocrate des années Pompidou, mais bon, ça manque quand même légèrement de blanc manteau d'églises.
Quoi
qu'il en soit, je ne suis pas sûre que les scénaristes (ou l'auteur de
la série) aient lu Georges Duby (encore que cette histoire d'hiver qui
arrive, si c'est pas une affaire de mutation de l'an mil, qu'est-ce
qu'il vous faut, peut-être ?), mais ça reste remarquablement bien foutu pour ce que c'est. Ne boudons point notre plaisir d'historien...