Ce 21 janvier, nous avons pendu notre crémaillère. Le choix de la date a fait rigoler les fins esprits de notre entourage.
Parmi les trucs qui m'insupportent, il y a la commémoration éplorée du 21 janvier et le dégueulis récurrent sur les "crimes de la République" dont l'exécution de Louis XVI est censé être le premier acte.
Avec la mauvaise foi qui est la mienne, j'adore faire remarquer que la royauté en France est morte bien avant le 21 janvier 1793, c'est-à-dire le 10 août 1792 avec la prise des Tuileries. Et la République, elle, est née après la victoire de Valmy, en septembre 1792.
La mort de Louis XVI ne signifie rien. Il s'agit seulement de l'exécution d'un perdant politique, et, sauf le respect des royalistes, d'un perdant notoirement nul politiquement. Courageux sur la fin, certes, mais qui s'est réveillé trop tard.
Comprenez, si vous voulez chercher le vrai changement de la Révolution, allez le chercher ailleurs que dans la mort du roi. Pour vous en convaincre, regardez ce qui s'est passé ailleurs, en Angleterre, par exemple, où l'on fait de l'exécution royale un sport national, du Moyen-âge au pauvre Charles Ier : voyez, ce n'est pas parce qu'on décapite un roi que les choses changent. Preuve en est qu'après en avoir tué et viré plusieurs comme des malpropres, eh bien, ils en ont toujours, des rois (à grandes oreilles certes, mais des rois quand même)
(et pour ma part, j'aime beaucoup Charles Ier, qui est tout de même bien plus sexy que Louis XVI.)
Le problème est que l'on observe les choses par le petit bout de la lorgnette : la Révolution vue de la Cour et de la haute noblesse de France. Ce qui représente quelques "pourcent" de la population française à cette époque : bilan, ça ne fait pas lourd pour essayer de comprendre les choses. La mort du roi, ça relèverait presque du non-événement.
Le vrai changement révolutionnaire, c'est l'abolition des privilèges. Là encore, le plus important, ce n'est pas seulement les trois paysans excités qui vont brûler les papiers avec les aveux et dénombrements du seigneur local. Ou la fin du droit de cuissage qui n'existait même pas, en plus. L'abolition des privilèges, c'est surtout la fin des corporations, et l'ouverture, pour la première fois, au libéralisme. La fin des privilèges, c'est l'égalité devant l'impôt mais aussi la liberté de la presse - du moins, une ébauche.
Si vous voulez vous en convaincre, demandez-vous un peu pourquoi les paysans de Vendée se sont soulevés : pas pour un roi dont ils n'avaient rien à faire, mais parce qu'ils avaient eu le sentiment (et ce n'était pas qu'un sentiment) de s'être fait enfler au moment de la vente des biens nationaux.
Et quant à la violence révolutionnaire, supposée être l'ancêtre du nazisme... sans rire, vous me trouvez une seule guerre/révolte/soulèvement d'Ancien régime qui ne soit pas caractérisé par une extrême violence de part et d'autre ? C'est-à-dire, où l'on n'assassine pas au coin d'un bois les représentants de l'État, et où l'on ne pend/roue/décapite pas les agitateurs ?
Étant venue à l'histoire en étudiant la Révolution avec un excellent professeur en classe de seconde, j'ai toujours une certaine tendresse pour cette période - qui n'est pas, loin s'en faut, ma spécialité, puisqu'aujourd'hui je donne dans l'histoire religieuse et sociale des pouvoirs politiques du premier XVIIe siècle... Mais je n'aime pas bien la position hautaine qui consiste à cracher sur des hommes qui ne sont plus là pour se défendre, et dont le courage dépasse, de loin, tout ce que l'on peut imaginer. J'aurai toujours plus d'estime pour Saint-Just que pour ceux qui se complaisent, bien cachés derrière leurs écrans d'ordinateurs, à conspuer un monde moderne dont ils font, malgré tout, partie. Personne, aujourd'hui, n'a le millième du courage de Robespierre. Que les conspueurs de la Révolution prouvent aussi leur valeur. Qu'ils fassent aussi puissant, aussi grand, aussi exaltant.
Je les attends au tournant.