Rentrée. Nouveau métier, professeur en lycée. Nouvelle vie, nouveau salaire aussi (c'est pas qu'on travaille que pour l'argent, hein, mais quand même).
J'ai de la chance, très objectivement. Des collègues gentils et accueillants, un établissement plutôt pas mal, un proviseur et une administration au poil, une amie déjà "dans la place", des élèves pas bien méchants, un emploi du temps sans trous. Je me tape donc sans trop de râlerie l'heure et demie de bus pour y aller le matin en tombant du lit à 6h, départ 6h30. Ce qui relève de l'exploit personnel, étant donné que me lever avant 9h relève en général de la torture mentale.
Trois semaines de cours et certaines choses me sautent cruellement aux yeux.
D'abord, la vacuité des cerveaux des élèves qui déboulent au lycée. L'élève de seconde moyen, en histoire-géo, ne sait pas rédiger un paragraphe. N'a absolument rien appris au collège (et est capable de soutenir mordicus que non, il n'a jamais entendu parler de la guerre de 14-18, et tant pis si vous connaissez son prof de collège qui l'a, lui, pourtant bien enseigné...). Ne sait pas la boucler en cours. Et surtout, a développé un sentiment d'impunité, largement encouragé par ses parents, fondé sur la conviction d'être le nombril du monde, omniscient, génial, parfait. Et d'une manière générale, plus aucun ne sait écrire sans faute d'orthographe. Dernier paquet de copies ramassé, je n'ai jamais trouvé moins d'une quinzaine de fautes d'orthographe par élève.
Ce qui est difficile, c'est de n'avoir aucune prise sur eux. La menace des notes ? La plupart s'en fichent assez largement. Quand on demande un devoir, en prévenant que ceux qui ne rendront rien auront zéro, vous en avez déjà qui, dès septembre, préfèrent le zéro au fait de fournir un effort, aussi minime soit-il. Idem pour les interrogations écrites sur le cours, où il suffit de réciter : moyenne de 6/20. La menace de l'exclusion ? Ils passeraient pour des héros. Certains sont collés dès la première semaine - j'ai la chance d'être dans un bahut où les sanctions ne sont pas découragées. Rien n'y fait, ils la ramènent toujours autant en cours. Que le CPE ou même le proviseur en personne leur souffle dans les bronches ne change à peu près rien.
Bref, le système est fait pour des élèves qui seraient gentils, travailleurs, facilement effrayés par la menace d'un zéro ou d'une engueulade de la part d'un adulte. Evidemment, on rigole doucement.
Que faire avec un élève qui arrive avec un dossier minable, mais qui est passé en seconde grâce au forcing acharné de ses parents qui invoquent la discrimination à tout bout de champ ?
J'ai aussi un certain nombre de redoublants, pourtant loin d'être idiots à première vue, mais dont la maturité doit à peine dépasser celle de mon rejeton de 18 mois, du genre à être incapable de se taire plus de 5 secondes en cours. J'en ai un autre qui ne parle ni ne bouge en cours (béni soit-il) mais qui a passé tout l'an dernier avec une moyenne oscillant entre zéro et deux. Qu'en faire ? Tous savent parfaitement qu'ayant redoublé une première fois leur seconde, ils passeront forcément en première.
Je les retrouverai l'an prochain. Ils seront probablement un peu moins bavards, un peu moins agités, le plomb leur entrant progressivement dans le crâne. Mais toujours aussi peu outillés. Et ils passeront en terminale. Et puis, et puis ?
Je ne peux m'empêcher de me ronger les sangs en pensant à l'avenir de ces gosses qui ne savent même pas écrire une phrase correcte. On nous demande de leur enseigner les mutations culturelles de la Renaissance à ces jeunes gens qui ne savent pas quand a vécu François Ier, ni si c'était il y a longtemps, ni rien. L'angoisse de devoir mener un programme. Il faut voir en quatre heures un chapitre mais, compte tenu du bavardage intense à réprimer en permanence (je refuse de parler dans le bruit, et je perds régulièrement la moitié d'une heure de cours à les faire taire), il en faudra huit pour le mener à bien. Forcément, on ne fera pas tout. Quelle génération de vide sommes-nous en train de forger ?
J'aime enseigner à ces jeunes gens. Je l'ai su dès la première minute où j'ai commencé à faire cours devant eux. Certaines classes sont chiantes comme la pluie, pourtant j'aime ce que je fais, et l'endroit où je le fais. Je me sens tellement plus utile là que dans mon ancien poste, aussi... mais que faire ?
Vous me direz : il faut imaginer Sisyphe heureux.