Parfois, il y a des jours comme ça où non seulement on cherche, mais en plus, on trouve. C'est d'autant plus jouissif de trouver qu'en plus, on se dit "je suis trop fort d'avoir eu cette idée tout seul, strou bien, et en plus j'ai une chouette preuve de ce que j'avance". Bref, parfois, on se sent aussi fort que le commissaire Adamsberg, à peu de frais et sans avoir à affronter de dangereux criminels.
Par exemple, l'autre jour, je remuais avec difficultés les trois idées et deux paragraphes que j'avais pondu sur la genèse de la commande du texte sur lequel je cause en journée d'études la semaine prochaine (et le prochain qui me dit que je m'y prends toujours au dernier moment...). Texte sans date, sans auteur, sans destinataire, sans nom, bref pas grand chose à dire. Et bien sûr, pas d'ouvrage à exhumer des réserves de la bibliothèque. Ce qui est toujours ennuyeux quand on s'en sert de base pour causer devant un parterre de spécialistes. Des listes de moines dans des abbayes célèbres au Moyen-âge, y'en a tant que vous voulez. Des livres sur les paroisses normandes du XVIIe siècle, bernique - mais que foutaient les archivistes au XIXe siècle ?
Et puis tout à coup, illumination de génie. J'ai les initiales de l'auteur du texte, un certain J. J. Je sais qu'il a été curé de la paroisse de N..., bailliage de Gisors, en 1645. Avec un peu de bol, hein, un tout petit peu de bol, il a bien signé des registres de baptêmes, mariages et sépultures - il n'aurait pas laissé tout le boulot à son vicaire, quand même. Avec un autre petit peu de bol, les registres ont été conservés aux Archives départementales de l'Eure. Avec un dernier petit coup de pot, les archives les ont mis en ligne sur leur site. Et si c'est Noël, c'est que la numérisation a été bien faite et qu'on lit convenablement à l'écran.
Je me précipite sur le site des Archives départementales de l'Eure. Les registres sont bien en ligne. Y compris ceux de la paroisse de N... Y compris dans les bornes chronologiques qui m'intéressent. Et que coup de pot, les registres ont bien été tenus par le curé l'année qui m'importe - non mais faut pas croire, suffit que le curé ait été feignant et le registre n'est pas tenu pendant plusieurs années. Y'a des généalogistes qui font des dépressions à cause de ça.
Clique que je te clique, je finis par arriver aux registres des sépultures. Thomas de La Croix, vicaire, c'est pas lui. Louis Picquet, prêtre, c'est pas lui. Tiens. "Mathurin Pichard a été inhumé par moi, Jacques Josset, curé de la paroisse...".
Bingo. Je te tiens mon bonhomme. T'imagines que tu es mort il y a trois siècles, plus même, et que non seulement je sais ton nom, mais je sais qui tu fréquentais, je sais ce que tu pensais d'un ministre de Louis XIII, mais en plus je tiens en main l'un de tes écrits qui a passé la postérité et qui ont atterri dans des archives planquée en Lorraine ? Tu t'y attendais, à ça ?
Alors voilà, je vais te redonner vie quelques instants. Le temps de parler de toi lors de ma communication mercredi prochain. Puis ton nom va rester sur du papier tout blanc dans une revue, et sur internet, car la publication se fera aussi en ligne. Et j'espère qu'on le lira de temps à autres, parce que je ne t'ai pas exhumé pour rien.
Toi et tes semblables, les presque anonymes, les inconnus au bataillon, je vous aime bien. Parce que vous êtes difficiles à pister dans les archives. Pour vous retrouver, il faut jouer au roman policier. On se prend pour un génie à peu de frais. Et puis surtout, surtout, on vous ressuscite, avec d'autant plus de bonheur que vous avez été longtemps disparus.
Et si tu me donnais d'autres pistes pour que je te connaisse un peu mieux ?
Par exemple, l'autre jour, je remuais avec difficultés les trois idées et deux paragraphes que j'avais pondu sur la genèse de la commande du texte sur lequel je cause en journée d'études la semaine prochaine (et le prochain qui me dit que je m'y prends toujours au dernier moment...). Texte sans date, sans auteur, sans destinataire, sans nom, bref pas grand chose à dire. Et bien sûr, pas d'ouvrage à exhumer des réserves de la bibliothèque. Ce qui est toujours ennuyeux quand on s'en sert de base pour causer devant un parterre de spécialistes. Des listes de moines dans des abbayes célèbres au Moyen-âge, y'en a tant que vous voulez. Des livres sur les paroisses normandes du XVIIe siècle, bernique - mais que foutaient les archivistes au XIXe siècle ?
Et puis tout à coup, illumination de génie. J'ai les initiales de l'auteur du texte, un certain J. J. Je sais qu'il a été curé de la paroisse de N..., bailliage de Gisors, en 1645. Avec un peu de bol, hein, un tout petit peu de bol, il a bien signé des registres de baptêmes, mariages et sépultures - il n'aurait pas laissé tout le boulot à son vicaire, quand même. Avec un autre petit peu de bol, les registres ont été conservés aux Archives départementales de l'Eure. Avec un dernier petit coup de pot, les archives les ont mis en ligne sur leur site. Et si c'est Noël, c'est que la numérisation a été bien faite et qu'on lit convenablement à l'écran.
Je me précipite sur le site des Archives départementales de l'Eure. Les registres sont bien en ligne. Y compris ceux de la paroisse de N... Y compris dans les bornes chronologiques qui m'intéressent. Et que coup de pot, les registres ont bien été tenus par le curé l'année qui m'importe - non mais faut pas croire, suffit que le curé ait été feignant et le registre n'est pas tenu pendant plusieurs années. Y'a des généalogistes qui font des dépressions à cause de ça.
Clique que je te clique, je finis par arriver aux registres des sépultures. Thomas de La Croix, vicaire, c'est pas lui. Louis Picquet, prêtre, c'est pas lui. Tiens. "Mathurin Pichard a été inhumé par moi, Jacques Josset, curé de la paroisse...".
Bingo. Je te tiens mon bonhomme. T'imagines que tu es mort il y a trois siècles, plus même, et que non seulement je sais ton nom, mais je sais qui tu fréquentais, je sais ce que tu pensais d'un ministre de Louis XIII, mais en plus je tiens en main l'un de tes écrits qui a passé la postérité et qui ont atterri dans des archives planquée en Lorraine ? Tu t'y attendais, à ça ?
Alors voilà, je vais te redonner vie quelques instants. Le temps de parler de toi lors de ma communication mercredi prochain. Puis ton nom va rester sur du papier tout blanc dans une revue, et sur internet, car la publication se fera aussi en ligne. Et j'espère qu'on le lira de temps à autres, parce que je ne t'ai pas exhumé pour rien.
Toi et tes semblables, les presque anonymes, les inconnus au bataillon, je vous aime bien. Parce que vous êtes difficiles à pister dans les archives. Pour vous retrouver, il faut jouer au roman policier. On se prend pour un génie à peu de frais. Et puis surtout, surtout, on vous ressuscite, avec d'autant plus de bonheur que vous avez été longtemps disparus.
Et si tu me donnais d'autres pistes pour que je te connaisse un peu mieux ?
Je ne suis pas historienne mais c'est exactement pour ça que j'aime la généalogie, et notamment les archives notariales. On part d'un parfait inconnu qui se trouve être un de vos ancêtres et, avec un peu de chance (et d'obstination), on reconstitue ses brouilles familiales, sa vie dans le village, l'épopée que fut le partage de ses biens entre ses descendants. Ce n'est plus seulement un nom dans un arbre, c'est quelqu'un qui passe à la postérité.
RépondreSupprimerP.S. De quel patelin de l'Eure s'agit-il?
Félicitations pour cette recherche menée à bout !
RépondreSupprimerJ'ai brièvement flirté avec la recherche pendant mes études, avant de me tourner vers une voie casse-gueule, c'était chouette.
J'espère que l'intervention se passera bien et les publications aussi, bien sûr !
Imaginez votre bonheur si vous aviez été la première à découvrir un document authentique comme ceux-ci:
RépondreSupprimerhttp://data0.eklablog.com/lutinbazar/perso/histoire%20ce2/antiquite/asterix/genealogie%20obelix.pdf
ou
http://www.goscinny.net/actu/Bin/obelisch-4-grand.jpg
Bravo ! Et si jamais tu cherches encore des choses sur les paroisses normandes, tu sais que je connais une équipe de modernistes à la retraite (a-do-ra-bles) qui ont passé une très grande partie de leur vie sur ces sujets-là...?
RépondreSupprimerÀ l'époque où je passais ma vie à jouer au détective dans les archives (oulà, ça me vieillit de dire ça !) j'avais remarqué que les « connexions » se faisaient souvent lorsque j'étais occupée à tout autre chose.
RépondreSupprimerNotamment la vaisselle et l'aspirateur. Un des trucs les plus fondamentaux de ma thèse, je l'ai trouvé en passant l'aspirateur... je cherchais la connexion entre deux groupes de personnes, cela faisait des semaines, j'avais épluché des dizaines de cartons, et là paf ! en aspirant un tapis, l'illumination, j'ai compris par quel endroit ils étaient liés ;-)
Quelle joie intérieure quand on réussit enfin à dénouer un problème ! Félicitations pour votre réussite, donc.
Chère Artémise,
RépondreSupprimerOù peut-on vous joindre?
Ariane
> Marie,
RépondreSupprimerLe plaisir du généalogiste doit être d'autant plus fort qu'il s'agit de ses ancêtres, ce n'est pas la même charge affective !
Le patelin dans l'Eure, c'est à côté de Gisors.
> Aloysia,
Merci de vos encouragements ! finalement la journée d'études s'est bien passée, je respire.
> Naïf,
Mais mais mais... obélix aurait eu des enfants ? Je le croyais célibataire endurci ???
> Z :
énorme le coup du tapis ! Mon ancienne colocataire, elle, alors qu'elle était sous la douche, s'était mise une fois à chanter à tue tête et à pousser des exclamations de joie. À sa sortie de la salle de bains, mon coloc et moi lui avions demandé les raisons de cette joie subite. Apparemment, elle venait elle aussi de découvrir un truc super important pour sa thèse pendant qu'elle se shampouinait.
> Ariane,
envoyez-moi un mail (eleutheriefaulkner@yahoo.fr)