jeudi 10 mars 2011

L'histoire, la morale, et les expositions.

En ce moment au programme, un article sur les arts de mourir (le genre littéraire) et leur circulation au premier XVIIe siècle - oh, oui, je sais, vous pouvez rigoler. Mon bureau croule donc sous La mort à Paris et La vie, la mort, la foi, le temps, (moi c'est I love you Pierre Chaunu), mais aussi La Peur en Occident de Jean Delumeau (diablotins et fantômes inside), sans compter des tas d'articles de Chartier et Daniel Roche (l'homme qui écrit sur tout et qui a adopté la Bête du Gévaudan à force d'écrire des bouquins dessus - c'est pas moi qui dit ça, hein, c'est mon ancien prof de prépa qui a cafté).

Et puis il y a le fabuleux catalogue d'expo sur La Mort au Moyen âge, entre Enfer et Paradis, exposition qui s'est tenue il y a peu à Bruxelles.

Je vous rappelle que les catalogues d'expo, c'est chouette parce qu'il y a plein d'images entre les articles, lesquels en plus ont le mérite d'être courts. En revanche, ils sont chers, ça c'est le côté "expositions piège à cons" - avant, un catalogue d'expo, ça valait quinze euros et y'avait des jolies images mais petites. Maintenant y'a des images en grand format, comme le prix qui souvent frise joyeusement les 80 euros.

Mais bref, c'est pas le sujet. De toute façon, je l'ai emprunté à la bibliothèque alors c'est pas moi qui ait raqué.
En plus, il est magnifique. Il y a un peu de tout, des articles sur la peste et les nouvelles recherches archéologiques sur les cimetières (que même j'ai appris que toutes les pestes du Moyen-âge n'étaient pas dûes à la puce du rat, ce qui m'en a bouché un coin). Des articles sur la médecine et les dissections (où contrairement à ce qu'on croit, l'Église n'a jamais interdit les dissections (avec des considérations sur la nécessité de les faire en plein air et en public à cause des odeurs (et bon appétit, bien sûr))). Des articles sur l'iconographie, les arts de mourir (sinon je ne l'aurais pas emprunté, eh), les transis (les statuettes de squelettes hyper réalistes, un grand must pour agrémenter son tombeau quand on est un aristo du XVe siècle), bref c'est rien que du bonheur.

Mais il y a quand même un truc qui me chiffonne.

Dans le catalogue d'expo dont je vous parle, il y a - comme partout ailleurs - une préface et une intro. Dans l'intro, il y a en particulier un passage qui me turlupine. Le paragraphe concerne les vitrines de l'exposition où l'on a exposé des reconstitutions de tombes médiévales avec des vrais squelettes, ou alors seulement des fragments d'os, de dents, ce genre de choses.
Eh bien, une partie de l'intro du catalogue vise à expliquer - tout en affirmant ne pas avoir à rendre de comptes sur ce choix d'expo - que oui mais nan, on a fait ça de manière très éthique, dans le respect de la dignité humaine, et que donc "l'idée n'était pas, bien entendu, de heurter inutilement le visiteur (...). La crainte de choquer s'avère totalement superflue. Les ossements ont été sélectionnés et son présentés dans un respect total des sensibilités".
Et blablabla.

Je m'excuse, mais qu'est-ce que des considérations de ce genre viennent foutre dans un catalogue d'expo ? Depuis quand les historiens doivent s'excuser par avance de l'utilisation de leur matos ?

Depuis que des associations et lobbys divers et variés (à coloration prétendûment ethniques et/ou religieuses) grimpent au créneau à chaque fois qu'on travaille sur des éléments de ce genre, pour, sous couvert du "respect de la dignité humaine", réclamer le "retour" des ossements au pays d'origine - où ils seront en général détruits, perdus irrémédiablement pour la science au nom du respect des sensibilités des peuples. Et en fait, quand on y regarde de près, il s'agit de gestes symboliques orchestrés et récupérés au profit de leaders politiques.
Je pense par exemple à la question des restes aborigènes réclamés par des tribus qui appellent au respect de leurs ancêtres, puis, une fois qu'elles ont obtenu des musées qu'on leur rende les divers restes, les détruisent tout bonnement.

Je sais bien qu'il y a eu des choses pas tout à fait orthodoxes dans le domaine de l'exposition scientifique - ou prétendue telle. L'expo Our body, faite à base de vrais corps humains écorchés placés dans des postures de la vie quotidienne (et récupérés dans des conditions plus que douteuses : condamnés à morts chinois, en particulier, semble-t-il), en est un bon spéciment du genre.
Mais il y a peu de rapport entre des cadavres à peu près reconnaissables, récents, dont les parents sont encore vraisemblablement en vie, et des squelettes de gens morts il y a plusieurs siècles. Voire des bouts de mâchoires.

Ce qui ne veut pas dire, bien évidemment, que quand vous êtes archéologue et que vous exhumez un squelette de femme enceinte avec son foetus, vous vous mettez à faire une bataille d'osselets. Non, en général, vous êtes assez remué.
D'ailleurs, les fouilles dans les nécropoles, c'est pas exactement un joyeux bac à sable. On est scientifiques mais on sait se tenir, bon sang de bois.


Une fois, j'étais en stage dans le service des archives d'une abbaye. Le jour, on voyait souvent des archéologues qui fouillaient la nécropole du monastère, où il y avait des tombes de moines du Moyen-âge mais aussi des soldats romains de l'Antiquité - pas tous en même temps, quand même, mais pas loin.
Alors bien sûr, les moines de l'abbayes, ils n'étaient pas tous jouasses à l'idée qu'on lance des fouilles archéologiques dans le cimetière - faut dire que l'idée, c'est quand même d'aller déterrer des gens qui étaient bien tranquilles dans leur tombe et qui n'avaient rien demandé à personne. Mais je n'ai jamais entendu quiconque, de l'abbé au portier, faire la morale aux archéologues sur le sujet. Parce qu'après tout, "de quoi j'me mêle ?", est un principe qu'il convient de se mettre en tête une bonne fois pour toutes.


Bref, cette incise très moralisante - et très "politiquement correcte", dans un livre à visée scientifique, me gêne énormément. Voire m'inquiète. Quand on pense que Pétré-Grenouilleau a été l'objet, en 2005, d'une plainte pour avoir osé dire dans son livre sur les traites négrières qu'il faut reconsidérer la question et les chiffres... oui, on a de quoi s'inquiéter.


3 commentaires:

  1. Ce qui me travaille c'est l'expression "respect total des sensibilités", le même qui interdit aux archéologues tout travail en Arabie Saoudite qui pourrait plus qu'éroder le respect total de la sensiblerie musulmane

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  2. > MM :

    Je ne partage pas vos considérations sur la "sensiblerie musulmane". Tout cela n'a rien à voir, en fait, avec des motivations religieuses, qui ne sont en fait qu'un habillage de motifs politiques (xénophobie comprise) plus ou moins sordides.

    Tout cela n'excuse en rien les interdictions des gouvernements d'Arabie Saoudite, ou les tracasseries mises en oeuvre par les Égyptiens pour faire ch... les archéologues européens.

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  3. Les nécrophages , avez vous pensé aux nécrophages pouvant être choqué par le martyre de leurs chairs cadavres.

    Les nécrophiles qui d' un regard amoureux pourraient être énamourés par de scabreuses postures.

    Si c'est dans les vieilles marmites que l'on fait les meilleures soupes , c'est peut être avec de vieux os que l'on fait de bons ragoûts.

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