Les archives. Quand vous laissez tomber négligemment, lors d'un dîner en ville, que vous passez une bonne partie de vos journées aux Archives nationales, vous êtes quasiment sûr de remporter votre petit succès.
Personnellement, je n'y mets les pieds que sous la contrainte du délai de fin de thèse se rapprochant, c'est-à-dire moins d'un an et demi maintenant.
Le bizutage des Archives est moins violent que celui de la BnF-Richelieu, car on vous délivre une carte de lecteur plus ou moins sans conditions (si ce n'est celle de casquer quelques dizaines d'euros), et en général, avec le sourire. Evidemment, vous ferez forcément la grimace en contemplant la photo prise par la webcam sous une lumière glauque, qui vous donne, sur votre belle carte bleue de lecteur, un air de psychopathe ou de monstre né au fond d'une galaxie inconnu - bref, pas votre meilleur profil.
Une fois que vous avez pigé le truc - salle des inventaires au premier, salle de lecture au second, salle des microfilms au troisième et, le plus important, machine à café au rez-de-chaussée, c'est relativement simple. Il vous reste à affronter l'épreuve du feu, je veux parler du casier où vous devez flanquer toutes vos petites affaires avant de pénétrer dans le Saint des Saints (la salle de lecture, donc). Ces casiers, aux délicates couleurs rouge, jaune, bleue, framboise écrasée, saumon pas frais, fonctionnent avec un code. Ceci en replacement des anciens casiers qui fonctionnaient avec une pièce d'un euros (ou de dix balles, pour ceux qui ont connu le temps que les moins de vingt années de thèse ne peuvent pas connaître), car tout le monde, bien évidemment, oubliait sa pièce et devait aller pleurer au guichet d'entrée pour faire de la monnaie. Il y avait aussi des petits jetons de la taille idoine et congruente qu'on vous prêtait, mais les Archives ont arrêté d'en prêter car les gens repartaient avec. J'ai entendu dire un conservateur, pourtant homme d'un grand sérieux, expliquer que c'était "probablement en lien avec un trafic de métaux" (si si, Khadafi y est pour quelque chose, en plus).
Bref, vous choisissez un casier, vous mettez votre manteau sur le cintre qui est dedans, vous prenez le sac poubelle qui va avec, vous mettez les (rares) trucs autorisés en salle dedans et ensuite, vous essayez de fermer votre casier en appuyant sur un bouton, vous composez un code de votre choix (en tenant le bitonio appuyé), vous relâchez le bitonio, vous brouillez le code et normalement, c'est fermé.
J'ai bien dit normalement.
En salle de lecture, vous pouvez entrer avec votre ordinateur, un crayon et des feuilles de papier. Et votre carte de lecteur. Vous pouvez également rentrer avec la lèpre, une angine, la peste, le choléra, la phtisie galopante, mais surtout pas une bronchite ou un rhume. Car le Ventoline destiné à réouvrir vos poumons engorgés de la poussière des Archives y est fermement proscrit pour des raisons de sécurité - vous n'avez jamais entendu parler de l'histoire du mec qui a pris en otage les Archives nationales avec du Ventoline ?
Idem pour les paquets de mouchoirs.
En revanche, on peut y entrer avec des guirlandes de Noël et les boules associées. Testé et approuvé il y a quelques années, un jour de décembre, à la suite d'un pari débile à l'issue duquel mon gage a été de décorer festivement ma table d'archives pendant la semaine précédent Noël.
Donc, le Ventoline et les mouchoirs, non, mais les guirlandes, vous avez le droit. N'ont pas encore été testé : un python, une machine à café nespresso, une console de jeux vidéos, un raton laveur, une boîte de raviolis, mon neveu de sept ans (je n'ai jamais lu nulle part une limite d'âge pour entrer dans les archives).
Les Archives, c'est chouette, parce qu'on peut commander à l'avance, de chez soi, en prenant son bain de pieds. L'ennui, c'est que passé 15h, votre carton n'arrivera que dans l'après-midi. Et que pour commander le jour-même, il faut quand même être sur place. Chaque commande mettant en moyenne une heure et demie à arriver. Avec des amis, nous avions une théorie là-dessus : en fait, chaque fois qu'une commande arrive dans les réserves, les magasiniers ont pour consigne d'attendre une heure et quart de voir si des petites pattes poussent au carton d'archives. Si des petites pattes poussent, le carton montera tout seul. Dans le cas contraire, il faudra que l'un des magasiniers se colle de le remonter avec ses petits bras musclés.
Aux Archives, vous vous heurtez parfois à des réponses assez impayables de la part des présidents de salles, supposés vous fournir une réponse précise sur tout sujet se rapportant plus ou moins à leur bureau : "vous êtes sûr que cela existe ?" (en parlant du Châtelet de Paris) ou "je ne vois pas en quoi ça peut être important pour vous" (en parlant d'un document essentiel de votre état des sources). Mais dans l'ensemble, le personnel y est plutôt réjouissant. D'ailleurs, il se marre beaucoup, le personnel. Tout le temps. En prenant des cafés assis sur une chaise. Si vous avez une place proche de la banque des communications, laissez un peu traîner vos oreilles, vous aurez probablement droit à l'intégralité des peines de coeur de l'un et du processus de poussée des dents du neveu de l'autre.
Si vous êtes une fille, vous avez nombre de chances de taper dans l'oeil de l'un d'entre eux, voire de plusieurs, ce qui est plutôt bon pour vous car on se précipitera pour prendre vos commandes et vous refiler votre carton. Vous pourrez même négocier pour avoir une place où l'on capte un réseau wifi du quartier.
Enfin, aux Archives, il y a quelques survivances rigolottes destinées à vous faire faire des cheveux blancs. Par exemple les insinuations du Châtelet de Paris - pour vous la faire courte, c'est là qu'on trouve rassemblés tous les contrats de mariage et tout ce qui a trait aux donations. Vous devez 1. aller en salle des inventaires 2. demander au monsieur le classeur derrière lui, celui des tables des insinuations 3. à l'aide de la date et du nom des personnes recherchées dans les archives, noter une série de microfiches à commander 4. demander les microfiches en question au monsieur 5. aller au fond de la salle, jusqu'à la machine qui sert à lire les microfiches 6. sur lesquelles on repère les noms qui nous intéressent, et le numéro qui leur est attribué. 7. noter soigneusement ces numéros-là 8. retourner au bureau du monsieur et lui demander un autre classeur, là-bas, derrière lui 9. Dans lequel on trouvera une référence en face des mêmes numéros précédemment notés 10. qui correspondent à d'autres microfiches 11. qu'il convient de commander 12. et d'aller consulter au même endroit 13. et dans laquelle on trouvera la référence du carton d'archive souhaité.
Elémentaire mon cher Watson.
Bien évidemment, en général, il faut savoir que l'année que vous recherchez fera partie des années non inventoriées, "pour lesquelles il n'existe pas d'instrument de recherche", vous répondra-t-on. Que faire dans ces cas-là ?
Rien. Ils sont plus fort que vous.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Soyez gentils, faites l'effort de signer votre message - ne serait-ce que dans le corps d'icelui, si vous ne voulez pas remplir les champs destinés à cet effet - c'est tellement plus agréable pour ceux qui les lisent...