jeudi 13 mai 2010

Le XVIIe siècle en film. 2. Louis, Enfant Roi, de R. Planchon (1993).


Louis Enfant Roi fait partie de ces films qu'on a du mal à comprendre. Parce qu'il est éminemment foisonnant, mot gentil qui m'épargnera le "bordélique" qui vient spontanément aux lèvres. En gros, vous avez intérêt à réviser les événements de la Fronde avant. Sinon, on ne pige globalement pas grand-chose.

L'histoire, donc, est fondée sur ces quelques années de déchaînement politique qu'on appela, dès ce temps, la Fronde. Révolte de grands princes mais aussi de parlementaires voire d'autres franges de la population. La Fronde est un cauchemard à étudiants, dans la mesure où personne n'y comprend rien, et ce n'est pas les rares manuels qui risquent de résoudre le problème.

Donc, à période bordélique et incompréhensible, un film bordélique et incompréhensible.

Vous me direz, voilà qui part mal, alors qu'elle était censée nous parler d'un chef d'oeuvre absolu.

Eh oui. Cela part mal.

J'aurais tendance à penser qu'il s'agit d'un "film à historiens", et même d'un "film à chartistes". Car oui, le chartiste regarde des films historiques, en les ponctuant de remarques incongrues ("tu as vu, c'est pas mal fait, la représentation du lit de justice ?" - "oui mais regarde ces reliures, XVIIe siècle alors qu'on est en pleine 6e guerre de religion, c'est portnawak"). Cela dit, le chartiste est souvent bon public car c'est au fond un grand enfant, venu à faire de l'histoire parce que petit, il aimait Thierry la Fronde et les soldats de plomb. Ce qui constitue, à mon sens, la grande différence entre le chartiste et le normalien. Un jour, j'y reviendrai.

Bref. Louis Enfant Roi raconte la Fronde vu du côté de deux enfants, Louis XIV alors âgé de 10 ans (au début du film) puis jeune adolescent, et son jeune frère Philippe, duc d'Anjou (puis plus tard d'Orléans), qui ponctue l'histoire de remarques directement adressées au spectateur.

La bonne idée du film, c'est d'être une série de sketches filmés. Vous n'y comprenez rien ? Peu importe. Laissez-vous emporter. Quand on y réfléchit, ces deux enfants royaux, ballotés d'un château à l'autre, entre une mère régente et un cardinal, tous deux redoutables politiciens, face à une série de nobles et de politiques déchaînés, se sentirent probablement davantage des jouets plutôt que des princes, du moins au départ, car à la fin, ils deviennent les maîtres du jeu.

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Louis Enfant Roi, c'est l'apprentissage de la vie par un jeune garçon qui doit devenir maître du royaume et de ses sujets. Parfois tourmenté par le souvenir de son défunt père, dont il n'a gardé qu'une image de vieillard maladif, il l'invoque et le rencontre en rêve. Il est surtout en adoration devant sa mère. Et là, il faut mentionner la très bonne idée du film, celle de faire incarner Anne d'Autriche par Carmen Maura. D'abord, elle est espagnole, comme son personnage. Ensuite, elle est mûre mais encore très belle. Ce qui change des représentations traditionnelles d'Anne d'Autriche, qui apparaît d'habitude comme une vieille chieuse aigrie, moche et grosse. Or ici, Carmen Maura l'interprète sur un mode subtil, rendant à merveille ses crises d'autorité et l'habileté politique, son désespoir d'être une femme dans cette société de brutes guerrières, son désir amoureux interdit car porté sur un inférieur, son amour passionné pour ses enfants.

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Rien à dire sur les prestations des différents acteurs : Jocelyn Quivrin, alors âgé de treize ans, fait ses débuts et on y voit déjà toutes ses qualités apparaître - moues ironiques, rires sardoniques de l'éternel second, écrasé d'admiration pour son grand frère mais devant rester confiné à sa place de second, déjà pris dans les contradictions d'une sexualité ambiguë (pour ceux qui ne connaissent pas, lisez Saint-Simon sur Monsieur frère du roi, c'est tout à fait désopilant). Maxime Mansion est un adolescent qui passe de l'indolence à la virilité royale, qui découvre sa fonction et apprend à la remplir avec la majesté requise. Sa voix, d'abord hésitante, de petit garçon timide, prend de l'éclat et de la chaleur pour asséner les maximes du pouvoir : "Au roi, on ne tient pas la main".


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Carmen Maura est parfaite, et la cohorte des nobles de la cour du roi est incarnée par une série de visages plus ou moins connus : Michèle Laroque, Serge Dupire en Grand Condé, Aurélien Recoing en cardinal de Retz, que du bon. Les costumes et les reconstitutions sont impeccables, crédibles et d'une grande finesse. J'avoue avoir versé des larmes lors de la scène où la fine fleur de la noblesse se fait allègrement tuer lors de l'entreprise désespérée pour entrer dans Paris du côté des fossés du faubourg Saint-Antoine.

Le côté film à sketches, alternant scènes de guerre, scènes d'attente avant la bataille, scènes où les alliances politiques se nouent et se dénouent au gré des coeurs et des intérêts, rend parfaitement compte de la multiplicité des virtualités politiques de chaque instant. Vous n'avez pas compris pourquoi le massacre de l'Hôtel de ville ? Personne ne l'a compris, tout est allé si vite.

Au sortir de ce film, vous aurez davantage une "impression de XVIIe siècle", qu'un traditionnel film en costumes. Louis Enfant Roi est un film baroque dans le sens où c'est l'illusion, le foisonnement, l'impression et l'émotion qui priment. Il s'agit bien du meilleur film baroque de toute l'histoire du cinéma, qui montre aussi la fin de l'enfance du XVIIe siècle et annonçant le début du Siècle de Louis XIV. Fin du théâtre baroque, début de l'âge de la raison classique où le roi est le seul maître du jeu, et les autres acteurs très loin en-dessous. L'enfant des baroques, c'est Louis XIV, dont la majesté naît de la volonté de dominer les excès, les éclats, les révoltes, les tumultes des coeurs et des esprits.

Louis Enfant Roi, c'est la "dramatique naissance de l'absolutisme" telle que l'a théorisée Yves-Marie Bercé : je fais ici allusion au titre choisi par cet illustre historien pour son volume de la Nouvelle histoire de la France Moderne (Le Seuil) : dramatique prend ici tout son sens, à la fois théâtral et douloureux, dans l'histoire politique, sociale et culturelle de son temps. L'enfant grandit au travers de traumatismes personnels (la scène du dépucelage du roi, en public, par une femme borgne, est un grand moment) et politiques (devenir chef de guerre, devenir le roi et non plus un enfant) pour devenir le Roi-Soleil, celui qui sera le seul maître du jeu.



2 commentaires:

  1. Rarissime !!! Quoi donc ? Que quelqu'un parle de ce film et que quelqu'un l'apprécie !

    Jusqu'ici j'avais l'impression d'être la seule à l'avoir aimé et à avoir réussi à "l'aborder" comme vous le faîtes !

    Quand j'ai vu le film, j'ignorais tout de la Fronde (je suis une pauvre autodidacte)... et je me suis informée après coup ! Et j'avais trouvé cette façon de tourner sur cette période était parfaitement adaptée !

    Certes, c'est "bordélique et incompréhensible" mais en fait, je l'adore ainsi que ces petits mots d'Esprit qui l'émaille !

    Merci de votre rareté !

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  2. > alfgard,

    Merci d'avoir apprécié !

    On devrait monter la confrérie des amateurs de Louis Enfant Roi, film qui passe si rarement à la télé...

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