Encore aujourd'hui, à la radio, j'ai entendu parler de la volonté de certains de "lever le tabou sur l'euthanasie". Comme d'hab', pour et contre s'étripent sans réfléchir, servant l'un comme l'autre les exemples les plus terribles, les plus pathétiques, pour dire tout et son contraire.
Ce qui me surprend, dans tout ça, c'est la profonde naïveté du débat - déjà qu'en soi je ne considère pas que le "débat" soit chose forcément positive...
On veut une loi. On veut l'abrogation d'une loi. On veut "combler un vide juridique" (ah, cette expression qui fait hurler à la mort les juristes...).
C'est bien beau tout cela. Ces prétendues associations de "droit à mourir dans la dignité". Ces vertueuses indignations contre la "culture de mort". Mais, mis à part déballer de façon assez peu pudique des vies privées de gens qui n'ont rien demandé (ou au contraire, demandent un peu trop à être mis sur le devant de la scène, dans certains cas, allez savoir ?), c'est encore la preuve que le "débat d'idées", tellement à la mode aujourd'hui, n'a aucun sens.
Vouloir "ouvrir le débat" sur l'euthanasie, c'est découvrir que le feu ça brûle et l'eau, ça mouille.
J'avais déjà fait un bout de réflexion du temps que mon snobisme téléramesque me poussait, à 18 ans, à regarder des trucs du Cinéma de minuit, sur la 3 (le snobisme téléramesque, je l'ai toujours, mais comme je n'ai plus la télé, ça limite les occasions de le manifester). Une fois, je suis tombée sur un film avec Fernandel. Pour une fois, c'était du Fernandel pas marrant, où le grand homme jouait un type dont la femme, atteinte d'une maladie incurable, supplie son époux de la tuer. Le type s'exécute mais la famille refuse d'en entendre parler. Quand le type va jusqu'à s'accuser publiquement, dans le but d'expier juridiquement le crime qu'il a commis, la famille tente de le faire enfermer.
1950, hein, le film. On disait quoi, déjà, sur ce débat, qu'il était "signe de notre époque" ? Brûlant d'actualité ? En outre, film tiré d'un bouquin écrit en 1939 et 1940.
Parce que ce vieux film de 1950 dit exactement ce qu'il y a à dire de l'euthanasie : oui, cela existe. Mais s'il s'agit toujours d'un drame, la société n'en veut pas sur la place publique. Et du reste, il n'est peut-être pas bon de vouloir à tout prix en faire une affaire publique.
Mes humbles réflexions ont été complétées par ma sortie toute récente de la lecture des Thibault, de Martin du Gard. Pour ceux qui ne savent absolument pas ce qu'il y a dans le bouquin, très rapidement, il y a deux frères, un médecin, Antoine Thibaut, et son frère, Jacques, un bon à pas grand chose mais socialiste et révolutionnaire. À plusieurs reprises, dans les scènes où intervient Antoine, il apparaît clairement que l'idée d'abréger les souffrances de certains malades par une piqûre létale, est parfaitement admis par les médecins, mais même plus généralement par la société. Antoine injectera une dose mortelle à son père - comme il se suicidera, pour abréger ses souffrances à lui, gazé pendant la Grande Guerre.
Ce qui m'a frappée dans la scène où Antoine tue son père (ne soyons pas naïfs : bien sûr que l'euthanasie est un meurtre), c'est que si l'acte se fait hors de la vue du personnel de la maison, il me paraît assez peu vraisemblable que les gens ne se doutent pas de ce qui vient de se passer. Ben tiens, l'instant d'avant il n'était pas frais, certes, mais vivant, et juste après que le docteur s'est retrouvé seul avec lui, il est mort ? Tout le monde sait parfaitement quel a été le geste d'Antoine, fils et médecin.
Et pourtant, personne n'ira protester contre ce qui s'est passé et qui restera dans le secret de la famille - et, peut-être, un moment douloureux dans la conscience d'Antoine (qui du reste ne semble absolument rien regretter).
Allez, pour mémoire, "La mort du père", vol. 6 des Thibault, 1929. Hein, quoi, "question d'actualité" ?
La seule chose qui soit d'actualité sur ce thème, c'est la crispation. La volonté de déballer. De nous raconter des histoires plus dégueulasses les une que les autres - comme si la dégueulasserie de la vie de tous les jours ne suffisait pas. De traîner des gens devant les tribunaux, ou de s'ériger en apôtre du Bien sous prétexte qu'on vend à des désespérés des petites pilules qui font mourir relativement rapidement. De réclamer. De faire d'une question de liberté individuelle une affaire de lois - en niant, de l'affaire, la liberté des individus et des familles.
Aussi, faut-il autoriser l'euthanasie ? Non. Mais faut-il vouloir dénoncer, durcir la répression de celle-ci ? Je ne crois pas.
Je crois que les choses étaient plutôt bien faites au temps de Martin du Gard : on savait, on n'était pas dupe, mais de là à ce que la Société intervînt dans l'intérieur des chambres de mourants et des consciences...
Malheureusement, au nom du Bien dont divers camps se disputent l'interprétation, la liberté s'amoindrit. Et ça, c'est vraiment d'actualité.
Et le gros avantage de penser à se tourner vers le passé, ça permet de comprendre notre vraie nature. Non, nous ne sommes pas si actuels, si modernes, que nous croyons. Sur la liberté, sur la vie et sur la mort, personne n'invente rien - ou si rarement...
J'aurais bien, du reste, des parallèles à faire avec la question de la burqa : au nom d'un Bien, on se mêle de ce qui ne nous regarde pas. J'en aurais même avec l'avortement, mais comme mes idées sont encore fumeuses, je les garde pour moi, excusez.Pour vous la faire courte et afin que les "pro-vie" comme les pro-euthanasie ne me tombent pas sur le râble en réclamant que je me positionne, je clarifie : en tant que catholique, je crois au péché et au libre arbitre. Pour moi, l'euthanasie est un meurtre, donc un péché, point. Pas à tortiller des plombes là-dessus. Mais que c'est le libre arbitre, et lui seul, surtout pas une loi, qui doit me faire aboutir à un choix. Et en tant qu'épouse de juriste, je commence à comprendre des trucs sur le droit, et j'estime que pour le moment, les choses ne sont pas si mal foutues que ça. Pour les catholiques comme pour les autres.
Bel article, avec lequel je me sens en plein accord. Mais le secret dont vous parlez, c'est précisément le vrai scandale de notre époque, la tare majuscule dont nos modernants échevelés ne veulent plus : tout doit devenir TRANSPARENT.
RépondreSupprimerEn français de tout les jours, cela s'appelle la dictature.
(Goebbels, en 1933, après la victoire du parti nazi : « Désormais, aucun Allemand ne sera plus jamais seul ! »)
> Didier,
RépondreSupprimerMerci !
oui, la transparence avec laquelle on nous rebat les oreilles... hier soir j'avais les idées trop embrumées, je n'ai pas pensé à ça !
Aujourd'hui, on ne peut plus dire "ça ne vous regarde pas", sans être considéré comme au mieux une bête de foire, au pire comme un pervers néfaste à enfermer au plus vite.
De plus en plus on attend de la loi qu'elle nous aide à sucer notre tétine, qu'elle nous rappelle qu'on a été in-con-tes-ta-ble-ment vilains il y a 170 ans ou qu'elle nous donne les moyens de chasser le voisin arabe "kigen".
RépondreSupprimerAlors pourquoi pas poser un grand "allez y, tuez les vieux et les mourants".
Suffirait de permettre au défunt, serein et possesseur de ses moyens,de venir témoigner de sa gratitude à la barre pour mettre quasiment tout le monde d'accord.
> Anonyme,
RépondreSupprimerchiche, on convoque des morts au tribunal. On va bien rigoler.
vous croyez au péché, lequel? celui inhérent à la naissance? à l'état d'être femme?
RépondreSupprimerpas moi, athée et anticléricale, je crois qu'il y a des actes bons et d'autres mauvais pour l'humanité, pour le "vivre ensemble", rien de plus, l'essentiel étant que chacun respecte l'autre
au libre arbitre?
alors chacun devrait être libre de sa vie, de ses décisions? cela n'est pas le cas avec la loi actuelle qui donne au médecin tous pouvoirs sur nos vies: relisez bien la loi actuelle!
certes on peut écrire nos directives anticipées, nommer une personne de confiance au cas où on ne serait plus en état de dire nos volontés, mais que doit faire le médecin? lire nos directives, rencontrer la personne de confiance et décider tout seul de notre vie! selon sa philosophie propre et non pas selon la nôtre... c'est cela qui m'est insupportable: qu'un étranger puisse légalement décider de ma vie, de sa prolongation comme de son arrêt...
c'est moi qui doit être responsable de ma vie, et moi seul, c'est en cela que la loi doit êter modifiée, et la loi doit accepter tous les voeux: souffrir ou non, prolonger la vie ou non, demander une euthanasie doit être acceptable et sa réalisation possible, sans que la justice ne s'en mêle.
Anonyme,
RépondreSupprimerpour le péché, à votre avis ? :)
la loi actuelle, je ne suis pas sûre qu'elle "donne au médecin tout pouvoir".
Ensuite, si vous relisez les extraits dont je vous parle, en particulier dans Les Thibault, vous verrez que dans ces cas, c'est effectivement le médecin qui prend la décision d'injecter une dose mortelle à ses patients.
Le problème est que dans notre société actuelle, individualiste, les liens de confiance ont été quasiment détruits. On meurt anonyme, souvent seul, dans un lit d'hôpital, soigné par un médecin qui ne vous a probablement jamais vu.
Demander une euthanasie doit être, effectivement, possible. De là à en réclamer l'organisation via une loi, je ne vois pas bien l'intérêt. Le suicide assisté doit, à mon sens, rester caché.
Du reste, aujourd'hui, les tribunaux vont dans ce sens : en général, les cas d'euthanasie sont jugés mais les peines sont en général plutôt légères - on invoque les circonstances atténuantes.