samedi 20 décembre 2008

Luther, l'hagiographie ?


Ceux qui s'ennuient un peu ont sûrement repéré des affiches pour un film devant sortir bientôt, et consacré à Luther, notre ami à tous. Enfin du moins l'ami des agrégatifs, car sans lui on n'aurait jamais pu avoir une aussi chouette question en histoire moderne.

Bref. L'affiche, déjà, ça part mal.

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Génie, je veux bien, rebelle, un peu aussi (encore qu'il eût été vachement moins rebelle s'il n'y avait point eu Philippe de Hesse pour le planquer dans son château), libérateur, pas tant que ça quand on connaît le bonhomme. Mais bon. Pourquoi pas après tout.

D'abord, cette affiche, elle fait drôlement peur. Luther, on dirait le méchant dans le Da Vinci Code, mais si, le taré albinos qui porte un cilice à la cuisse, souvenez-vous.

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À croire que les moines au cinéma, depuis le Nom de la Rose, c'est destiné à faire peur. Enfin celui du Da Vinci Code, il faisait salement peur, même si le cilice à la cuisse (ou plus précisément, le sculptural Paul Bettany + cilice + cuisse découverte, chacun ses fantasmes), c'est hyper glamour. Si. C'est comme les bottes qui claquent.

Cela dit, Luther en vrai, il faisait un peu peur. Heureusement qu'on peut le dire parce qu'il est mort et qu'il ne peut plus nous dénoncer à la Halde, mais il avait une sale gueule. Si, la preuve.
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Attendez, une tronche pareille, on ne me la fait pas à moi.

Heureusement, en vieillissant, il s'est mis à ressembler à Père Ducros, plus sympatoche. Luther, sur la fin, c'est fini la réforme augustinienne, place à la grosse bouffe et aux propos de tables dont le niveau est rarement au-dessus de la ceinture. Si, lisez du Luther vieux (les Tischreden, etc), c'est tordant. En plus il fait des blagues sur les juifs.

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Bon, je n'ai pas encore vu le film, mais à mon avis, il arrive des tas d'ennuis au malheureux Martin Luther, qui doit aller se justifier devant Charles Quint et qui a très peur de finir comme Jean Hus (= brûlé vif, ce qui est tout de même désagréable).

D'ailleurs, Martin Luther, il est tellement rebelle qu'il crâme des bouquins papistes, parce que putain, c'est comme en Grèce, la rebellion quoi.
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Je veux pas casses le suspince, mais là je pense qu'il fout au feu des indulgences.


Heureusement que la Réforme protestante, c'est des mecs cools, sympas, aimés de la population, qu'ils ont libéré de ces tyrans fascistes avant l'heure, j'ai nommé le pape et Charles Quint.

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D'ailleurs, Martin Luther, il est tellement cool qu'il aime les enfants, d'ailleurs c'est grâce à lui que les prêtres ils ont pu se marier, tu vois, non parce que c'est à cause de ça que les prêtres sont pédophiles, tu voiiiiiiiiiiis.

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Bon, arrêtons un peu les conneries. Si ça se trouve, le film est bon, entendons-nous bien. Même s'il risque d'être un peu trop manichéen (mais bon c'est un film, on ne va pas se rouler par terre pour autant) et un peu trop misérabiliste, cf. supra la photo : les gens auront les cheveux sales et les habits déchirés, les trognes bien rougeaudes et la bouse bien collée aux basques.

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(Je vais re-casser le suspinse, mais là, à mon avis, c'est le coup des 95 thèses affichées sur la porte de la collégiale de Wittemberg. Ouais, c'est apocryphe, tout ce que vous voudrez, mais c'est comme les films sur Napoléon ou comme dans la série Rome, quand on n'a pas le Tu quoque mi fili à la fin de la scène des Ides de Mars, on est hyper déçu parce qu'on veut de la légende, donnez-nous de la légende, bordel).


D'ailleurs, si ça se trouve, on nous y montrera une figure intéressante, attachante. Peut-être n'est-ce que l'affiche qui est ridicule. Les images ont l'air assez bien léchées, un peu dans le style tableau vivant qui peut exaspérer mais que j'affectionne, pour ma part.

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C'est que c'est du boulot, ma brave dame, d'être un théologien réformateur, on n'est pas là pour rigoler.



Je ne saurai vous dire s'il y aura du cilice, de l'orgie à Rome (parce que c'est bien connu que Luther est devenu Luther après avoir visité la cour pontificale d'Alexandre VI Borgia), du bûcher, de la guerre des paysans, du méchant Charles Quint - l'homme le plus sexy du XVIe siècle après Henri de Guise, quand même - ou de la controverse à tous crins, mais il y aurait de quoi organiser une sortie de groupe, qu'on se marre un peu.




mercredi 17 décembre 2008

La passion selon Saint Agrégatif d'Histoire, 3. Presto, prestissimo !


8h 30 : se décider à prendre le métro pour être à l'heure à la Sorbonne. Le mieux étant d'éviter d'avoir les yeux en face des trous, beaucoup plus drôle.

9h01 : Avant d'entrer dans le sanctuaire de l'Alma Mater, choisir l'option "café et croissant à la boulangerie, sinon ça va pas être possib' là".

9h04 : Café en main, cartable dans l'autre, carte de la Sorbonne sous le bras, sac à main au bout de l'autre, entrer dans la Sorbonne et prendre l'escalier C étage 4 couloir F entrée 6 à gauche dans le coin en face, pour rejoindre la bibliothèque.

9h06 : Dire d'un air décidé "Bonjour monsieur j'ai une colle de hors programme d'antique, je passe à 15h, puis-je avoir mon sujet". Tenter d'avoir l'air convaincu.

9h07 : Le monsieur de la bibliothèque tend deux petits papiers, avec, surprise, des sujets dedans. Avoir le bonheur de choisir celui de droite, et sortir finir son café pour lire l'intitulé du sujet.

9h08 : S'étrangler avec la dernière gorgée de café. "La colonisation dans la Grèce archaïque". Un putain de merde peut être de circonstance.

9h10 : Rentrer dans la bibliothèque, installer ses feuilles de brouillon (pour ma part, j'utilise mes polys en rab' du cours de paléographie, c'est d'une classe inimitable), ses crayons et aller pianoter des idioties dans le Sudoc. "colonisation grecque, colonisation archaïque, Grèce archaïque", toute autre combinaison farfelue est la bienvenue malgrè sa relative inutilité.

9h25 : Commencer à éplucher les rayonnages de la bibliothèque pour y trouver les bouquins repérés sur les catalogues. Compter essentiellement sur votre instrument de précision qu'est le pifomètre.

10h00 : Se réinstaller, s'entourer de gros bouquins, d'actes de colloques, de catalogues d'expo monstrueux, et d'un manuel, celui que vous allez recopier, en fait. Parce que les actes de colloques en chleuh ou en italien, c'est juste pour faire joli sur la bibliographie que vous distribuez au professeur. Parce qu'en bon historien, la seule langue que vous maîtrisez un tant soit peu, c'est le latin.

10h25 : Noter scrupuleusement sur votre brouillon les numéros des parties, des sous-parties, des sous-sous-parties. C'est crétin mais ça donne l'impression d'avancer. Remplir ensuite avec les titres du manuel que vous êtes en train de pomper allègrement.

11h02 : Se rappeler qu'il reste le croissant de ce matin.

11h05 : Trouver une introduction. Pitié, Seigneur, saint Marc Bloch, bienheureux Lucien Febvre, donnez-moi l'inspiration.

11h09 : L'inspiration historienne ne fonctionnant pas, décider de parler de "l'importance de la notion de Cité phocéenne à Marseille aujourd'hui". En se disant qu'au concours, ça fera toujours rigoler le contemporanéiste du jury, pour peu qu'il fasse de l'histoire des représentations à l'EHESS.

11h35 : Il y a un trou dans le I.3 et dans le III.1. C'est fâcheux.

11h57 : Tant pis, ça fera trois parties pas égales mais ça commence à bien faire.

13h07 : Alors en concours et dans l'enseignement, on n'a pas de Powerpoint. Prendre en compte ces informations pour se décider à écrire son plan et à faire des tableaux et des cartes sur transparent. Oui, c'est miteux, mais cela permet d'exalter votre potentiel créatif. Eh oui.

13h26 : Faire un transparent, c'est chiant. Mais vraiment : ça glisse, on laisse des traces de doigts, les feutres ne marchent pas, c'est énervant. Un second putain de merde sera encore bienvenu lorsque pour la quarante-douzième fois, le transparent artistement fixé à l'aide d'un trombone sur le bouquin dont vous recopiez (merde aux droits d'auteurs, c'est l'agrégation, je fais ce que je veux) la carte de la colonisation grecque du monde méditerranéen au VIe siècle avant Jésus-Christ, glisse et vous fait rater la fin de votre tracé de la côte cyrénaïque. Ou que - blague connue - en traçant un trait à la règle, vous glissez encore et laissez une trace de doigts. Ineffaçable, bien entendu.

14h : Se décider à ouvrir les actes de colloques en chleuh pour combler les trous de votre leçon, chercher des jolies images destinées à réveiller le jury au moins deux ou trois fois pendant ladite leçon. Qui dure trente-cinq minutes. Donc, compter cinq ou six images (une monnaie, une poterie, un plan archéologique de Mégara Hyblaea, une monnaie, une poterie, un document épigraphique qui vous permettra d'étaler que vous avez fait du grec au lycée, encore une poterie tiens).

14h30 : Relire son plan et l'ensemble des brouillons. Souligner les mots que vous allez écrire au tableau, sinon vous n'allez pas y penser et vous allez encore vous faire allumer parce que "le candidat n'utilise pas toutes les ressources pédagogiques mises à sa disposition, cet oubli est regrettable pour de futurs enseignants".

14h45 : Pondre une conclusion, vite, vite.

14h50 : N'importe quoi.

14h55 : Conclusion de normand : "alors on peut dire que oui, mais non, enfin peut-être quoi". Enfin, une conclusion d'antiquisant, quoi. C'est à dire "qu'en l'absence de sources, on ne peut pas trancher". Mouais.

15h00 : Trouver la salle, faire un sourire à la dame qui vient vous faire passer votre colle. Prendre une grande inspiration, vous allez causer pendant trente-cinq minutes. Dernières précisions en guise de vade-mecum : évitez de faire des fautes en écrivant un mot au tableau, sans quoi vous avez l'air assez con. Si, si, je vous assure.

15h47 : au moment de la reprise et des questions à six roubles, bénissez saint J.H. votre ancien prof de prépa avec lequel vous avez découvert les joies de la géographie historique, ce qui vous permettra de répondre à la question de la "comparaison entre la colonisation grecque et les colonisations modernes", en évoquant le découpage de la carte de l'Afrique selon la logique des comptoirs coloniaux, si, la preuve, quand on regarde l'ancien Congo belge.

16h00 : Sortir. Manger. Boire un café. Dormir. Souffler. Se rappeler de l'utilité de la respiration chez l'être humain. Foutre ses transparents à la poubelle peut être un excellent moment de détente. Un troisième et dernier putain de merde viendra achever d'expulser le reste de stress qui vous restait. Il vous reste à courir pour donner vos heures de cours de paléographie, le devoir vous appelle vers des sphères supérieures.