vendredi 16 octobre 2009

(N') allez (pas forcément) voir "L'âge d'or hollandais" à la Pinacothèque de Paris.

Mercredi, j'ai de nouveau débauché ma copine Sémiramis pour qu'elle quitte son bureau entre midi et deux et qu'elle vienne voir l'exposition de la Pinacothèque de Paris, consacrée à la peinture de l'"âge d'or" hollandais, au XVIIe siècle. Du Rembrandt, du Vermeer, voilà qui semblait prometteur.

N'y allez pas, si :

- le mot de "tolérance", répété à tort et à travers, vous donne envie de sortir votre batte de base-ball.

- vous vous attendez à voir du grand tableau de maître. L'exposition annonce fièrement son ambition de replacer Rembrandt et Vermeer dans le contexte de la peinture hollandaise du XVIIe siècle, en montrant aussi bien leur influence que leur place à part. Malheureusement, des Vermeer et des Rembrandt, il y en a autant que mes doigts de pieds (une dizaine, donc, en gros), et même pas des majeurs. Pas des croûtes non plus, bien sûr, mais tout de même. Frustrant.

- si vous êtes un tant soit peu amateur de géographie historique, et que ça vous tape sur les nerfs qu'on parle de "Hollande" en lieu et place des Provinces-Unies. Rogntudju. Oui oui, c'est de l'élitisme, tout à fait.

- si vous êtes un tant soit peu historien et que ça vous gonfle, les lieux communs sur la "liberté en Hollande, vu que les gens étaient hyper tolérants", alors qu'ailleurs l'Inquisition brûlait des milliards de gens, c'est bien connu.

- si la peinture animalière, c'est moyen votre truc. Et que les tableaux de Paulus Potter, dont le sujet de prédilection est la gent bovine, vous laissent relativement froid - entre nous soit dit, je n'ai jamais compris comment diable on pouvait s'intéresser aux vaches (sauf sur Farmville, mais c'est une autre histoire).

youngBull.jpg
Paulus Potter, Le jeune taureau - un effet boeuf, hahaha.
Notez, c'est son plus connu et il n'y est même pas.

- si vous n'aimez pas les expositions au tarif prohibitif limitant l'entrée aux rombières sans-gêne, friquées et emperlouzées, dont l'unique but dans la vie semble être de vous filer des coups de coude en râlant parce que vous bouchez prétendûment la vue sur un objet, et de se coller devant un tableau jusqu'à ce que, lassé d'attendre son départ, vous passiez dans la salle d'à côté.

Allez-y tout de même si

- vous avez dix euros à perdre (mais dix euros pour une expo, ça va pas la tête non plus ?)

- si vous voulez une petite cure de peinture lumineuse, ou si vous êtes historien et que l'histoire du paysage, ça vous branche. Effectivement, les maîtres hollandais du XVIIe siècle, c'est pas Poussin non plus. N'empêche qu'il y a un portrait de David (ou de Salomon... enfin un type biblique) frappé d'une lumière dorée à se rouler par terre. Des paysages de campagne enneigée à vous couper le souffle, des moulins baignés d'or. Tout ça vaut largement le détour - la salle consacrée à la représentation picturale de la ville est moins bluffante, à mon sens.

- si vous aimez les portraits de riches types du XVIIe siècle. Quelques très beaux spécimen, avec manchettes de dentelle. Je crois que ce que je préfère dans le XVIIe siècle, finalement, ce sont les manchettes de dentelle, douces, nobles et mystérieuses.

pina-redim450-58ba3.jpg
Vermeer, La lettre d'amour.
Bon, des Vermeer, y'en a deux en tout, mais celui-là est bien quand même.

480px-Frans_Hals_037.jpg
Franz Hals, Portrait de Pieter Van den Broecke.
Ces dentelles, Seigneur...

Cette critique étant très pondérée, dans le plus pur style social-démocratie, je m'arrête là et conclus sur le mode "débrouillez-vous" en vous disant de vous décider tout seuls comme des grands.

mercredi 7 octobre 2009

Le XVIIe siècle en film. 4. L'Homme au masque de fer (Randall Wallace, 1998).


En fait, les gens, vous aimez que je raconte des vacheries. Moi aussi, mais comme je le disais lundi, je l'assume très mal (comme Loth d'Orcanie dans Kaamelott : "mais sire, vous n'êtes pas avide de pouvoir ? - Si, mais je l'assume très mal".). Ce qui ne m'empêche pas de le faire avec plaisir.

Notre sujet d'étude sera donc, à la demande générale : L'homme au masque de fer, sorti sur les écrans de France et de Navarre en 1998. L'histoire, très librement inspirée de Dumas et de l'histoire de France vue par un américain pas très cultivé, se résume en deux coups de cuillères à pot : Louis XIV, jeune roi de France, est très très méchant. Dark Vador D'Artagnan, qui est son père (on l'apprend à la fin mais on a compris en deux minutes, n'allez pas dire que je casse le suspinse), rassemble ses copains Athos, Porthos et Aramis, pour monter un complot et substituer au méchant roi son gentil petit frère jumeau, Philippe, enfermé dans une prison très, très glauque (il ne voit même pas la lune en entier, et les rats lui boulottent son quatre heures, c'est dire s'il n'a pas de bol) par son très, très méchant frère. Au début, les mousquetaires sont moyennement d'accord, puis ils acceptent parce qu'ils en ont marre que Louis XIV soit un gros salaud.

Au milieu, le méchant roi saute deux ou trois demoiselles de la cour, dont Judith Godrèche, et fait tourner en bourrique sa maman, Anne d'Autriche - c'est Anne Parillaud, qui a de beaux yeux bleus et pas une ride, et donc incarne assez mal une reine de France âgée de plus de soixante ans. Mais à la fin, ça se termine bien puisqu'après une bataille finale (pif ! pif ! boum ! boum ! tchaf, tchaf !), le méchant roi est remplacé par son gentil frère, et la France est sauvée, brave gens.

L'histoire vu par Randall Wallace, c'est rigolo, ça permet deux-trois scènes de porno soft (on ne mesure pas assez le potentiel érotique du jupon à cerceau, du sein comprimé dans un corps de jupe, et du lit à baldaquin), on peut raconter n'importe quoi parce que c'était il y a longtemps, et puis on peut jouer à rendre moche des acteurs canons, en leur graissant les cheveux et en leur collant une barbiche clairsemée. Sur l'affiche, ça donne ça - et ça fait très peur :

18758940.jpg
On note aussi l'usage abusif du costume à trous et du chapeau fatigué, genre
"héros malmené par la vie".



On reconnaît donc les trognes d'excellents acteurs dont on se demande bien ce qui leur a pris d'accepter un tel rôle : John Malkovich en Athos, Gabriel Byrne en d'Artagnan, Jeremy Irons en Aramis, et notre Gégé national en Porthos. Plutôt pas idiot, comme casting, quand on y réfléchit.

Il y a aussi Léo. Ah, Léo, qui vient alors d'accéder au rang de star avec l'innénarrable Titanic. Léo, excellent acteur quand il est bien dirigé. Léo qui, du reste, se tire plutôt honorablement du double rôle qu'on lui a attribué (Louis XIV et son frère jumeau). On salue du reste la performance. Yantôt pervers sadique et despotique, tantôt gentil couillon faisant son apprentissage de la vie, il parvient à incarner pas trop mal les deux personnages, et évite le ridicule complet, alors qu'on lui a manifestement dit : "quand tu fais le méchant roi, tu fronces les sourcils et tu pinces la bouche, quand tu fais le gentil couillon, tu ouvres grand les yeux et tu prends l'air ahuri de la baleine qui a trouvé un pinceau à blush".


040514_ph4.jpg
Là, par exemple, il prend l'air couillon puisqu'il est en mode "gentil".



Il y a encore quelques bons éléments, malheureusement gâchés par une caméra agitée : le choix de Vaux-le-Vicomte et du Vieux Mans comme lieux de tournage - tout le monde n'est pas Sofia Coppola pour se payer Versailles, bande de snobs, en plus, au moment où se déroule l'intrigue, Versailles n'existe pas encore.


Une fois qu'on a fait le tour des points positifs, on reste quand même assez consterné par le film. Passons sur les libertés prises avec l'histoire. D'habitude, je suis plutôt bon public et je ne râle pas trop devant les aberrations historiques. On pardonnera aussi à Randall Wallace de ne pas avoir lu le bouquin définitif de Jean-Christian Petitfils, résolvant la question du masque de fer, paru en 2003, mais plus difficilement de faire par exemple disparaître Philippe, duc d'Orléans, petit frère de Louis XIV. Tout bêtement. Hop là, à la trappe. Plus difficilement aussi, de faire coucher Anne d'Autriche avec d'Artagnan, parce que déjà, l'infante d'Espagne et reine de France ne se serait jamais abaissée à se laisser toucher par un inférieur, ensuite parce que même chez Dumas, Anne d'Autriche, c'est justement l'antithèse de la femme faible et gouvernée par ses sens. Anne d'Autriche, c'est la dignité même. La voir, dans ce film, chouiner, pleurnicher, glapir, c'est un vrai crève-coeur.


040514_ph2.jpg
Elle pète quand même bien le feu pour une sexagénaire.
On note encore quelques éléments érotico-historico-kitsch : le cuir noir et la rose rouge, wahou.



Tout aussi terrible est le ratage complet des rôles de nos vieux mousquetaires : Dipardiou-Porthos sur le mode 'pipi-caca-valseuses à l'air" (hahaha), Aramis en crypto-jésuite un peu perfide mais pas trop (hohoho), Athos en vieux schnock rabâcheur et rabat-joie... Pffff...


040514_ph3.jpg
Et là, ils se déguisent. Scène bouffonne. Qu'est-ce qu'on se marre.



On soulignera également l'extrême laideur des costumes, et leur côté extrêmement toc. On se désole devant la coiffure ridicule de Léo, sans perruque à boucles (dommage, c'eût été marrant) mais coiffé comme une jeune fille de pensionnat, les cheveux lissés aux plaques en céramiques et sagement peignés.

040514_ph1.jpg


On s'affligera enfin de la conclusion : le méchant va en prison et le gentil monte sur le trône, et "il apporta pain, paix et prospérité à son peuple". Pan dans les dents. Avec un roi de scénario pareil, on se demande comment ça se fait que la révolution ne soit arrivée qu'au siècle suivant.


Vous l'aurez compris, on a du mal à tirer quoi que ce soit de ce film : l'histoire est seulement prétexte à raconter n'importe quoi, sur le mode du "on s'en fout, c'était au temps des rois, ça passera toujours".
"Au temps des rois". Vous trouvez ça dans les mauvaises copies de lycées. Le "temps des rois", c'était avant, quand le monde allait mal et que les joies de la République n'avaient pas été inventées. Le temps des rois, c'est un vaste gloubiboulga de sang, de sexe, de bûchers et de meurtres dont sont responsables les monarques et l'Inquisition, qui étaient des gens très très méchants, avides de pouvoir - et le pouvoir était corrupteur, avant, tout le monde sait ça. La preuve, c'est que Louis XIV était un monarque "absolu", hein ? La preuve, il pousse une malheureuse jeune fille au suicide et il fait enfermer en prison son gentil frère jumeau qu'avait rien demandé à personne. Quand on vous dit que les rois étaient très, très méchants. C'est limite s'ils ne devaient pas faire égorger cinq types par jour pour agrémenter leur petit-déjeuner.

Au-delà du côté légèrement ridicule de ce film, ce qui me fait sortir de mes gonds, c'est le tableau affreusement crétin, naïf et manichéen qui est fait du XVIIe siècle. Sous prétexte que "c'était il y a longtemps", on raconte les pires âneries en faisant semblant d'ignorer que l'histoire, c'est quand même des gens derrière, pas une abstraction.



Groumph.