Alors que j'arpentais les rayonnages de la bibliothèque municipale, mon oeil a été attiré par un titre. From Hell. Roman graphique, dont j'avais vu l'adaptation en film il y quelques années. Pas mal du tout, un peu violent mais enfin, il y avait Johnny Depp qui, comme toujours, faisait du bon travail. Et puis l'intrigue était plutôt bien fichue, une nouvelle version de l'histoire de Jack l'Eventreur, ça se laissait regarder. Et puis, bah, il y avait Johnny Depp qui à un moment est à poil dans sa baignoire.
Le coeur battant à l'évocation de ces souvenirs de post-adolescence, j'emprunte l'ouvrage et l'entame le soir même, espérant passer quelques bons moments de lecture, et surtout m'occuper un bon bout de temps avec des cinq cent pages et des brouettes.
Et puis, grosse désillusion.
D'abord, le noir et blanc, le flou, les flashs-back, c'est très bien, mais si ça doit entraîner l'obligation de revenir en arrière toutes les deux pages parce que là, on ne se souvient plus du tout de qui c'est celui-là (en fait on n'a simplement pas reconnu sa tête vu qu'ils se ressemblent tous), c'est très pénible.
Les citations érudites piquées un peu partout dans le répertoire philosophico-prise de tête en exergue de chaque chapitre, c'est bien aussi. Mais seulement si ça a un rapport avec la choucroute, sinon ça fait juste pédant. Ou débile. Ou les deux.
Les trucs qui ne servent à rien un peu partout. Par exemple, l'allusion à Adolf Hitler (le Point Godwin s'applique aussi à la BD). Là, on est dans Jack l'Eventreur, c'est-à-dire le mal, caca, ouh, pas beau-vilain. Or, qu'y a-t-il de plus caca-pasbeau-vilain qu'Adolf Hitler ? Oh, comme c'est original, glissons une allusion à Adolf Hitler. Mais il n'était même pas né à l'époque de Jack l'Eventreur ? Qu'à cela ne tienne, l'auteur nous inflige, en plein milieu de son intrigue victorienne, une page entière dédiée à la conception d'Adolf Hitler - si si, vous ne rêvez pas. Vous voyez bien deux personnages causant allemand en train de forniquer dans une chambre, et comme ils s'appellent respectivement Aloïs et Klara, vous finissez par comprendre (to the happy few...) que bing, bah Jack l'Eventreur, Hilter, tout ça c'est pareil, c'est le mal.
Cherchez pas. C'est comme ça.
Il y a aussi le passage obligé sur les bourgeois et aristocrates forcément plein de turpitudes sexuelles (corollaires : leurs femmes coincées du cul parce que la société victorienne, c'est le mal, Adolf Hitler, on vous a dit). Le passage obligé sur les putes lesbiennes avec quelques pages de triolisme et quelques plans de pénis en train d'éjaculer. Classe et élégance, comme de bien entendu.
Je vous épargne les dizaines de pages historico-philosophico-théologico-architecturales où le méchant disserte sur des sombres histoires de franc-maçonnerie et de trucs satanistes en lien avec l'architecture de certaines églises de Londres. Là, j'ai rien compris, j'ai sauté des pages parce qu'au bout d'un moment, ça va bien.
Et puis après tout ça, il y a l'explication. Comme d'hab', le méchant, en fait, c'est un abominable docteur en apparence respectable et appartenant à la haute société victorienne, et en fait, c'est un complot plus ou moins dirigé par la famille royale anglaise. Evidemment. Et tout est étouffé parce que les méchants, ils sont puissants et les puissants y sont méchants, c'est bien connu. Le complot. Tout ça.
C'est étonnant d'ailleurs. Je veux dire, lisez n'importe quelle rubrique de faits divers, regardez n'importe quelle émission de télé du style Faites entrer l'accusé, et vous verrez que - allez, à la louche - les trois quarts des affaires de meurtres un peu glauques se passent dans des milieux plutôt au bas de l'échelle sociale. Que le serial killer façon docteur Jekyll, c'est un spécimen plutôt rare en définitive. Alors que dans les fictions policières, ils sont tellement légion que c'en devient aussi agaçant que prévisible. Et gonflant.
Bref. J'ai survolé les cinquante dernières pages et j'ai repensé à Johnny Depp dans sa baignoire, ça m'a un peu consolée.