vendredi 18 mars 2011

Chercheur sachant chercher doit savoir chercher sans désespérer.

Parfois, il y a des jours comme ça où non seulement on cherche, mais en plus, on trouve. C'est d'autant plus jouissif de trouver qu'en plus, on se dit "je suis trop fort d'avoir eu cette idée tout seul, strou bien, et en plus j'ai une chouette preuve de ce que j'avance". Bref, parfois, on se sent aussi fort que le commissaire Adamsberg, à peu de frais et sans avoir à affronter de dangereux criminels.

Par exemple, l'autre jour, je remuais avec difficultés les trois idées et deux paragraphes que j'avais pondu sur la genèse de la commande du texte sur lequel je cause en journée d'études la semaine prochaine (et le prochain qui me dit que je m'y prends toujours au dernier moment...). Texte sans date, sans auteur, sans destinataire, sans nom, bref pas grand chose à dire. Et bien sûr, pas d'ouvrage à exhumer des réserves de la bibliothèque. Ce qui est toujours ennuyeux quand on s'en sert de base pour causer devant un parterre de spécialistes. Des listes de moines dans des abbayes célèbres au Moyen-âge, y'en a tant que vous voulez. Des livres sur les paroisses normandes du XVIIe siècle, bernique - mais que foutaient les archivistes au XIXe siècle ?


Et puis tout à coup, illumination de génie. J'ai les initiales de l'auteur du texte, un certain J. J. Je sais qu'il a été curé de la paroisse de N..., bailliage de Gisors, en 1645. Avec un peu de bol, hein, un tout petit peu de bol, il a bien signé des registres de baptêmes, mariages et sépultures - il n'aurait pas laissé tout le boulot à son vicaire, quand même. Avec un autre petit peu de bol, les registres ont été conservés aux Archives départementales de l'Eure. Avec un dernier petit coup de pot, les archives les ont mis en ligne sur leur site. Et si c'est Noël, c'est que la numérisation a été bien faite et qu'on lit convenablement à l'écran.

Je me précipite sur le site des Archives départementales de l'Eure. Les registres sont bien en ligne. Y compris ceux de la paroisse de N... Y compris dans les bornes chronologiques qui m'intéressent. Et que coup de pot, les registres ont bien été tenus par le curé l'année qui m'importe - non mais faut pas croire, suffit que le curé ait été feignant et le registre n'est pas tenu pendant plusieurs années. Y'a des généalogistes qui font des dépressions à cause de ça.
Clique que je te clique, je finis par arriver aux registres des sépultures. Thomas de La Croix, vicaire, c'est pas lui. Louis Picquet, prêtre, c'est pas lui. Tiens. "Mathurin Pichard a été inhumé par moi, Jacques Josset, curé de la paroisse...".

Bingo. Je te tiens mon bonhomme. T'imagines que tu es mort il y a trois siècles, plus même, et que non seulement je sais ton nom, mais je sais qui tu fréquentais, je sais ce que tu pensais d'un ministre de Louis XIII, mais en plus je tiens en main l'un de tes écrits qui a passé la postérité et qui ont atterri dans des archives planquée en Lorraine ? Tu t'y attendais, à ça ?

Alors voilà, je vais te redonner vie quelques instants. Le temps de parler de toi lors de ma communication mercredi prochain. Puis ton nom va rester sur du papier tout blanc dans une revue, et sur internet, car la publication se fera aussi en ligne. Et j'espère qu'on le lira de temps à autres, parce que je ne t'ai pas exhumé pour rien.

Toi et tes semblables, les presque anonymes, les inconnus au bataillon, je vous aime bien. Parce que vous êtes difficiles à pister dans les archives. Pour vous retrouver, il faut jouer au roman policier. On se prend pour un génie à peu de frais. Et puis surtout, surtout, on vous ressuscite, avec d'autant plus de bonheur que vous avez été longtemps disparus.

Et si tu me donnais d'autres pistes pour que je te connaisse un peu mieux ?


jeudi 10 mars 2011

L'histoire, la morale, et les expositions.

En ce moment au programme, un article sur les arts de mourir (le genre littéraire) et leur circulation au premier XVIIe siècle - oh, oui, je sais, vous pouvez rigoler. Mon bureau croule donc sous La mort à Paris et La vie, la mort, la foi, le temps, (moi c'est I love you Pierre Chaunu), mais aussi La Peur en Occident de Jean Delumeau (diablotins et fantômes inside), sans compter des tas d'articles de Chartier et Daniel Roche (l'homme qui écrit sur tout et qui a adopté la Bête du Gévaudan à force d'écrire des bouquins dessus - c'est pas moi qui dit ça, hein, c'est mon ancien prof de prépa qui a cafté).

Et puis il y a le fabuleux catalogue d'expo sur La Mort au Moyen âge, entre Enfer et Paradis, exposition qui s'est tenue il y a peu à Bruxelles.

Je vous rappelle que les catalogues d'expo, c'est chouette parce qu'il y a plein d'images entre les articles, lesquels en plus ont le mérite d'être courts. En revanche, ils sont chers, ça c'est le côté "expositions piège à cons" - avant, un catalogue d'expo, ça valait quinze euros et y'avait des jolies images mais petites. Maintenant y'a des images en grand format, comme le prix qui souvent frise joyeusement les 80 euros.

Mais bref, c'est pas le sujet. De toute façon, je l'ai emprunté à la bibliothèque alors c'est pas moi qui ait raqué.
En plus, il est magnifique. Il y a un peu de tout, des articles sur la peste et les nouvelles recherches archéologiques sur les cimetières (que même j'ai appris que toutes les pestes du Moyen-âge n'étaient pas dûes à la puce du rat, ce qui m'en a bouché un coin). Des articles sur la médecine et les dissections (où contrairement à ce qu'on croit, l'Église n'a jamais interdit les dissections (avec des considérations sur la nécessité de les faire en plein air et en public à cause des odeurs (et bon appétit, bien sûr))). Des articles sur l'iconographie, les arts de mourir (sinon je ne l'aurais pas emprunté, eh), les transis (les statuettes de squelettes hyper réalistes, un grand must pour agrémenter son tombeau quand on est un aristo du XVe siècle), bref c'est rien que du bonheur.

Mais il y a quand même un truc qui me chiffonne.

Dans le catalogue d'expo dont je vous parle, il y a - comme partout ailleurs - une préface et une intro. Dans l'intro, il y a en particulier un passage qui me turlupine. Le paragraphe concerne les vitrines de l'exposition où l'on a exposé des reconstitutions de tombes médiévales avec des vrais squelettes, ou alors seulement des fragments d'os, de dents, ce genre de choses.
Eh bien, une partie de l'intro du catalogue vise à expliquer - tout en affirmant ne pas avoir à rendre de comptes sur ce choix d'expo - que oui mais nan, on a fait ça de manière très éthique, dans le respect de la dignité humaine, et que donc "l'idée n'était pas, bien entendu, de heurter inutilement le visiteur (...). La crainte de choquer s'avère totalement superflue. Les ossements ont été sélectionnés et son présentés dans un respect total des sensibilités".
Et blablabla.

Je m'excuse, mais qu'est-ce que des considérations de ce genre viennent foutre dans un catalogue d'expo ? Depuis quand les historiens doivent s'excuser par avance de l'utilisation de leur matos ?

Depuis que des associations et lobbys divers et variés (à coloration prétendûment ethniques et/ou religieuses) grimpent au créneau à chaque fois qu'on travaille sur des éléments de ce genre, pour, sous couvert du "respect de la dignité humaine", réclamer le "retour" des ossements au pays d'origine - où ils seront en général détruits, perdus irrémédiablement pour la science au nom du respect des sensibilités des peuples. Et en fait, quand on y regarde de près, il s'agit de gestes symboliques orchestrés et récupérés au profit de leaders politiques.
Je pense par exemple à la question des restes aborigènes réclamés par des tribus qui appellent au respect de leurs ancêtres, puis, une fois qu'elles ont obtenu des musées qu'on leur rende les divers restes, les détruisent tout bonnement.

Je sais bien qu'il y a eu des choses pas tout à fait orthodoxes dans le domaine de l'exposition scientifique - ou prétendue telle. L'expo Our body, faite à base de vrais corps humains écorchés placés dans des postures de la vie quotidienne (et récupérés dans des conditions plus que douteuses : condamnés à morts chinois, en particulier, semble-t-il), en est un bon spéciment du genre.
Mais il y a peu de rapport entre des cadavres à peu près reconnaissables, récents, dont les parents sont encore vraisemblablement en vie, et des squelettes de gens morts il y a plusieurs siècles. Voire des bouts de mâchoires.

Ce qui ne veut pas dire, bien évidemment, que quand vous êtes archéologue et que vous exhumez un squelette de femme enceinte avec son foetus, vous vous mettez à faire une bataille d'osselets. Non, en général, vous êtes assez remué.
D'ailleurs, les fouilles dans les nécropoles, c'est pas exactement un joyeux bac à sable. On est scientifiques mais on sait se tenir, bon sang de bois.


Une fois, j'étais en stage dans le service des archives d'une abbaye. Le jour, on voyait souvent des archéologues qui fouillaient la nécropole du monastère, où il y avait des tombes de moines du Moyen-âge mais aussi des soldats romains de l'Antiquité - pas tous en même temps, quand même, mais pas loin.
Alors bien sûr, les moines de l'abbayes, ils n'étaient pas tous jouasses à l'idée qu'on lance des fouilles archéologiques dans le cimetière - faut dire que l'idée, c'est quand même d'aller déterrer des gens qui étaient bien tranquilles dans leur tombe et qui n'avaient rien demandé à personne. Mais je n'ai jamais entendu quiconque, de l'abbé au portier, faire la morale aux archéologues sur le sujet. Parce qu'après tout, "de quoi j'me mêle ?", est un principe qu'il convient de se mettre en tête une bonne fois pour toutes.


Bref, cette incise très moralisante - et très "politiquement correcte", dans un livre à visée scientifique, me gêne énormément. Voire m'inquiète. Quand on pense que Pétré-Grenouilleau a été l'objet, en 2005, d'une plainte pour avoir osé dire dans son livre sur les traites négrières qu'il faut reconsidérer la question et les chiffres... oui, on a de quoi s'inquiéter.


jeudi 3 mars 2011

Tarantino me gonfle un peu. Des fois. Souvent.

Comme je vais peu au cinéma, j'ai souvent un train (que dis-je, un porte-avion) de retard pour parler films. De fait, c'est seulement la semaine dernière que j'ai visionné Inglourious Basterds, le film de Tarantino sorti il y a ... un certain temps.

Plusieurs personnes de mon entourage avaient glapi à la sortie du film, que c'était - encore - l'histoire assassinée par les Américains. D'autres ont chouiné en disant que c'était de la vilaine propagande anti-française (à cause de la scène du début, où un paysan français finit par dénoncer la famille de juifs qu'il cache chez lui). Télérama a adoré, les Inrocks ont adoré, Paris Match a adoré, Positif a adoré, l'Huma a adoré, Le Parisien a adoré, Marianne a adoré, Libé a adoré, et moi j'ai été affreusement déçue.

Évidemment, j'ai apprécié des éléments.

Le côté "la guerre vue par les Américains", qui m'a rappelée les heures heureuses où je découvrais Le Jour le Plus Long, Band of Brothers et la clique des films de guerre hollywoodiens. La guerre vue par les Américains, c'est que les Américains sont beaux, grands, forts et qu'ils gagnent la guerre contre des Allemands méchants et vils, histoire de sauver la mise aux Français qui sont un peu des nazebroques, quand même.
La guerre vue par les Américains, c'est aussi un discours totalement assumé et décomplexé sur les Allemands de l'époque, de manière tranchée voire carrément rudimentaire : les Allemands c'est tous des nazis, et les nazis c'est le mal absolu, point barre. Et finalement, les réalisateurs américains ne nous embêtent pas à nous montrer des nazis au coeur tendre, en général sauvés par l'amour ou après avoir pleuré en ramassant un nounours d'enfant juif après la rafle.

Bon et puis, j'ai aimé Brad Pitt qui a l'air de bien se marrer en justicier plus ou moins raté.

Et puis Christoph Waltz. Tout simplement.

En revanche, Tarantino et ses tarantineries me gonflent. La construction en chapitres plus ou moins dans l'ordre, qu'il nous sert à chaque film, me gonfle. Le faux suspense qui à force d'être étiré, retombe comme un soufflé, me gonfle. Le foutage de gueule en matière d'exploitation des personnages secondaires (Diane Krüger en particulier) me gonfle. Mélanie Laurent et son jeu qui fait plus penser à la pétasse friquée estampillée Paris-XVIe (elle a le même dans tous ses films, c'est facile à identifier) qu'à la juive traquée, m'exaspère.


Bref, énorme déception.


(en même temps, j'ai été déçue par Kill Bill 1 et 2, par Planète Terreur, par Boulevard de la Mort, par Reservoir Dogs et par Pulp Fiction (tous les films de Tarantino que j'ai vus, en fait ( je vais finir par croire que c'est toute l'oeuvre du bonhomme, qui me gonfle))).