lundi 28 juin 2010

Vice caché, 1.

Parmi les choses que je n'avoue qu'avec parcimonie, j'aime bien Britney Spears.

Voilà, c'est dit. En ce moment, j'ai un faible pour Circus. Le clip est bien fichu, réussi visuellement (sauf cette manie dans la manière de filmer aujourd'hui : pas un plan de plus de deux secondes).
Et après tout, cette fille a beaucoup d'humour et les paroles témoignent d'un bon sens de l'autodérision.




Veuillez installer Flash Player pour lire la vidéo



(eh, quoi, je peux pas mettre une vidéo de William Christie à chaque fois.)
(et désolée pour la pub avant, j'ai dû aller chercher une vidéo ailleurs que sur youtube).

jeudi 24 juin 2010

Talents cachés - le manuel du parfait petit chercheur, 3.

Au fur et à mesure que j'ai avancé dans ma thèse, j'ai appris des tas de trucs.


- dans la catégorie "trucs utiles" : taper à l'ordinateur rapidement (plus de dix pages de thèse par jour - on est bien obligé, quand on découvre le 1er mai qu'on doit rendre ses 200 pages de mémoire pour le 30 du même mois, alors qu'on pensait que c'était pour la fin juin), faire une feuille de style, ne jamais céder face aux caprices d'un ordinateur ("tu m'enregistreras ce fichier pdf ou je te laisse toute la poussière de la dernière semaine d'archives" ou "tu parleras, saleté de moteur de recherche ! où j'ai enregistré le fichier des contrats de mariages 1600-1650 ?").

- catégorie talents de société : parce qu'on devient vite un compulsif de wikipedia, on apprend à parler de tout et même du reste. Surtout du reste, d'ailleurs. D'autant que les gens, quand ils tombent sur un historien, posent en général trois questions : une sur la guerre de 14, une sur Napoléon et une sur Louis XIV (en général, c'est "était-il homosexuel ?" - j'ai jamais compris d'où venait cette légende sur l'homosexualité de Louis XIV). En ce qui me concerne, je travaille sur des personnages relativement peu exotiques, et pourtant on ne m'interroge qu'extrêmement rarement sur eux. Je n'ose même pas imaginer ce que vivent les copains médiévistes ou antiquisants, ça doit être "ah mais ça existe ça ?".
Au demeurant, il n'y a pas très longtemps, une amie commerciale m'a demandé si il y avait une économie au XVIIe siècle. Sur le coup, j'ai hésité dans le choix d'une réponse.

Autre talent de société rigolo : prendre des photos d'archives bien moches et les montrer à son entourage pour le plaisir de montrer ses aptitudes paléographiques. Suscite des "ho" et des "ha". Extraordinaire - mais ne pas en abuser sous peine de passer pour un gros pervers - vous trouvez ça normal, un type qui se balade avec un ordinateur rempli de photos d'archives ?


- catégorie talents de vipère de société : quand on fait de l'histoire de la parenté, on passe ses journées dans le Minutier Central des notaires parisiens, et dans le Cabinet des Titres de la bnF. Le Cabinet des Titres, c'est le machin où sont rangés toutes les compilations possibles et imaginables de preuves de noblesse des familles françaises. De fait, à force, vous finissez toujours par tomber sur les preuves de noblesses d'une famille que vous connaissez. Très amusant à faire : profitez d'une conversation avec l'un des rejetons de la famille pour laisser entendre que vous connaissez parfaitement la date d'anoblissement de la famille en question, date qui prouve que si l'ancêtre du type a fait les croisades, c'est comme votre aïeul, à savoir en qualité de mulet.
Inconvénient : ces gens-là finissent par éviter de vous fréquenter car votre vue leur rappelle que l'arrière-arrière-grand-père était marchand de vin, et que Louis XIV leur a généreusement octroyé un titre pour avoir fourni à bas prix du pinard pour le régiment de Picardie. Et que finalement, vanité des vanités, etc.
Encore plus drôle : tomber sur une famille qu'on connaît dans les archives concernant la radiation des listes de noblesse lors des enquêtes de Colbert.
Si vous tombez sur un vrai aristocrate, vous serez cela dit agréablement surpris par le fait que celui-ci sait bien comment tout ça a fonctionné et fonctionne aujourd'hui. Et qu'il est le premier à rire de bon coeur de ses origines de marchand de vin.


- catégorie trucs débiles mais rigolos : apprendre à faire marcher une machine pour lire des microfilms. Comment se prendre pour James Bond pour la modique somme de 30 euros (prix d'une carte de lecteur de la BnF ou des Archives nationales).
Encore plus drôle : commander un microfilm dans une bibliothèque et le conserver chez soi - le ressortir régulièrement devant les connaissances pour crâner un peu - le microfilm, c'est tellement 1970...


- catégorie self control : ne jamais perdre la maîtrise de soi face à un fonctionnaire : non, votre document commandé hier matin n'est toujours pas arrivé. Oui, ça fait six fois qu'on vous dit qu'on va faire quelque chose. Non, il n'est pas en magasin, il n'est pas non plus arrivé ici, et il est marqué communiqué. Vous êtes sûre que vous ne l'avez pas eu et que vous vous êtes trompée ?
Respirez par le ventre. Un entraînement sans pareil pour résister aux bouffées de crises de nerfs qui peuvent parfois vous prendre à la Poste, aux Impôts, à la Sécu, devant le site voyages-sncf.com.

mardi 22 juin 2010

Sacré Charlemagne.

Parmi les trucs qui m'énervent (la mayonnaise abjecte des sandwichs achetés en boulangerie, par exemple), il y a la mode du "je tape sur l'école publique, parce que le privé, c'est ach'tement mieux hein".

Vu que je commence à avoir par mal de copains professeurs un peu partout (privé, public, enseignement supérieur), je commence à avoir un certain nombre d'exemple sous le bras, de parents qui viennent hurler à la mort sous divers prétextes (essentiellement, qu'on martyrise leur mioche) et finissent par conclure que "de toute façon, je pense retirer mon enfant de votre établissement, et le mettre dans le privé".

À quoi je prône de répondre : "mais allez-y, sans déconner, vous croyez vraiment qu'on va pleurer de ne plus voir sa tête ?". Vous croyez vraiment que les profs sont là pour faire du nombre ? Vous croyez vraiment que votre gamin est irremplaçable ? Et en outre, sans rire, maintenant, le privé est-il si bon que ça ?

J'en ai connu, des familles super BCBG, qui, avec leur 6-8 enfants, cognaient sur le public, mauvais, putride et rempli d'enseignants gauchistes, mais qui étaient bien contents de ne rien payer pour l'instruction de leur mioche (c'est que ça coûte des sous, de faire bouffer tout ce petit monde, alors on n'a plus de sous pour l'école). Une fois, une copine était tombée sur l'un de ces pères hargneux, vindicatif, engoncé dans ses contradictions de chef de rayon chez carrouf' qui voudrait bien jouer dans la cour des aristocrates. Quand elle a laissé tomber, impavide, que "ah ben vous savez, allons chez le proviseur, on signe tout de suite que vous retirez vos enfants du lycée, comme ça vous n'attendrez plus", il fallait le voir devenir tout rouge, balbutier que "non mais heu, c'est pas ce que je voulais dire, hein...".

J'en ai connu, dans ces mêmes familles, des qui glapissaient que l'école publique est tellement nulle qu'on allait faire classe à la maison, d'ailleurs maintenant c'est maman qui allait s'en charger. Je m'étouffe de rire. Dans ces familles où maman a très souvent au mieux le bac ou pas grand chose de plus (allez, une licence de lettres modernes ?), je veux bien que maman puisse apprendre à ses gosses à lire, écrire et compter (et papa à changer une roue quand ils crèvent) mais tout le reste, je vois bien ça d'ici.

Quant à la possibilité de choisir "de donner une éducation avec des valeurs", je m'étrangle. J'en ai connu, des gens pourtant absolument charmants, qui vous expliquent tranquillement qu'ils ont mis Chouchou dans le privé parce que "c'est scandaleux, dans le public, ce qu'on leur fait étudier" - à savoir, la reproduction en biologie, et des trucs hyper subversifs, genre La Morte amoureuse de Théophile Gautier (pour ceux qui ne l'ont pas lu, c'est l'histoire d'une vampire qui tombe amoureuse d'un prêtre, imaginez la subversion).

Bien sûr, il y a des vilains gauchistes parmi les profs. Il y a aussi beaucoup de cons et de lavasses (mais, pour ceux qui travaillent dans le privé, amusez-vous à compter les crétins et les lavasses autour de vous, vous serez surpris de voir qu'ils sont nombreux, et en plus, pas toujours rapidement virés). Mais je me permets humblement de faire remarquer aux thuriféraires du privé que d'abord, on passe les concours de l'enseignement privé non pas par conviction, mais parce que c'est plus facile (bah oui). Donc, attention, naïfs ! si ça se trouve, il y aura sans doute de vilains mécréants parmi les enseignants de l'établissement que vous aurez choisi avec tant de soin. Peut-être même un vilain gauchiste, si ça se trouve.
Et puis, si les profs du privé étaient meilleurs que les autres, ça se saurait. Surtout, en fait, on se demanderait pourquoi les chefs d'établissement du privé font tout ce qu'ils peuvent pour débaucher les agrégés du public - je rigole. C'est que j'en ai eu, tout au long de ma scolarité, des nanas complètement incultes et nulles en anglais qui étaient néanmoins autorisées à l'enseigner parce que vous comprenez, elle a été dans l'école depuis la maternelle et elle fait déjà hyper bien le caté, alors...

En outre, il est proprement scandaleux de constater que le privé hors contrat s'autorise des justifications du style "ouiiii bah au collège, on ne fait quasi pas de sicences parce que c'est trop compliqué à mettre en place". Je sais bien que dans les collèges Jésuites, au XVIIe siècle, etc. Mais demandez-vous pourquoi les collèges des oratoriens, à la même époque, avaient plus de succès ? Parce qu'il y avait des sciences au programme, et que sans déconner, le latin c'est bien joli mais ça ne nourrit pas son homme. Et quoi qu'il en soit, on n'est plus au XVIIe siècle - croyez bien que je le regrette, mais c'est ainsi.
Le principe de l'instruction, c'est justement de faire un peu de tout. Pas de refuser de faire de la biologie parce que c'est pas compatible avec (la lecture qu'on croit faire de) la Genèse.

Quant à l'ambiance et à l'entre-soi... allez, faisons une page autobiographique : j'ai été à l'école gratuite , laïque et obligatoire dans mon enfance. J'ai ensuite fait tout mon secondaire dans le privé sous contrat catholique. Je crois pouvoir affirmer qu'au collège, nous étions deux sur trente à aller à la messe le dimanche en famille. Et au lycée, j'étais sans conteste la seule. Et je préfère passer sous silence les affligeantes séances de catéchisme qui se résumaient à Dieu est amour, Jésus est ton ami (remarquez c'est déjà pas si mal) et la méthode Billings c'est bien, et les filles c'est fait pour faire des bébés. On oscillait entre la nunucherie sulpicienne et le snuff-movie avec les documentaires sur l'avortement bien dégueulasses. Je me demande du reste encore si ce n'était pas un complot franc-maçon infiltré pour détourner de jeunes adolescents du catholicisme...


Qu'on ne se méprenne pas. Parmi les mérites du système français, il y a la possibilité de choisir entre le public et le privé dont les prix sont en général abordables - ce qui est rarement le cas ailleurs. La possibilité du choix me semble louable. En revanche, je n'apprécie pas que des crétins adeptes de l'entre-soi BCBG me considèrent comme un sous-répétiteur gratuit qu'on peut considérer comme un paillasson (puisque gratuit) alors qu'on encense le privé. J'apprécie encore moins de me faire intégralement attribuer la déliquescence de l'instruction chez les jeunes gens, qui sont pourtant censés être éduqués par les parents - je suis prof, pas nounou. Car voyez-vous, dans le privé chic aussi, on fume des joints et on traite les professeurs de sale bâtard - ma copine N..., prof de français dans un lycée très hype de banlieue parisienne, en sait quelque chose. Quoi ? Quoi ? Serait-ce possible ?


Breeeef. Tout ça pour dire que le prochain qui me fait la blague du "alors t'es en vacances ou en grève ?", j'y demande si c'est le cas pour son cerveau aussi. Et pour répéter que si vous n'êtes pas content du public, votre portefeuille est ouvert. Ma patience, beaucoup moins.







mardi 15 juin 2010

Frais de porc.


Honnêtement, je me contrefous de l'affaire de l'Apéro Saucisson pinard.

En revanche, je déteste me faire prendre pour un bulot. Comme par exemple ce midi, où le rôti de porc annoncé comme composante de mon sandwich acheté à prix d'or dans le Marais, s'est avéré n'être qu'une bête tranche de jambon.


Non mais ho.



lundi 7 juin 2010

Crime et châtiment.

Ordoncques, j'ai débauché une amie qui bosse sérieusement ses oraux de CAPES d'histoire-géo pour m'accompagner au musée d'Orsay et visiter l'exposition consacrée au - comme son nom l'indique, eh - crime et à sa répression (le châtiment, donc).

Objectivement, l'exposition est bonne. Mais à prendre avec quelques petites pincettes qu'on taxera peut-être de pinaillage d'historien.

Inspirée par Robert Badinter, suivez mon regard, enfin le sien, plutôt, l'exposition rassemble beaucoup de pièces très diverses, articles de journaux, feuillets volants, tableaux archi-connus et d'autres moins, archives de la polices, pièces du musée des prisons de Fontainebleau. Bon point, donc.

Premier problème, la limitation du cadre chronologique, borné (sans le dire) par la Révolution française et l'abolition de la peine de mort en France, en 1981. Pourtant, l'expo commence plutôt bien, avec une définition des crimes et une (courte, mais intéressante) réflexion sur l'évolution de l'échelle de ces crimes : déicide, parricide, régicide, infanticide, génocide... dont l'importance varie au cours des âges, le principal retournement étant le passage du parricide comme crime suprême, à l'infanticide.
La limitation chronologique est, je pense, due à l'impossibilité de traiter le sujet, même en le limitant à la France, sur une période allant ne serait-ce que du Moyen-âge à nos jours, même si les crimes et les châtiments dans l'Ancienne France, c'est tout de même vachement plus rigolo que la guillotine. Mais si vous commencez à traiter ça, ça vous fait une expo dont la visite prendra douze heures, donc techniquement ingérable. Cela dit, ça ne coûtait rien de prévenir en mettant sous le titre de l'expo "en France XIXe-XXIe siècles", parce que là, c'est un peu menteur quand même.

Second problème : la conclusion, c'est un peu "ah et pi, ben, en France, c'est chouette parce qu'en 1981 la peine de mort est abolie, fin de l'histoire". Un peu court, jeune homme, comme conclusion. Car je ne crois pas que l'abolition de la peine de mort soit la véritable clôture de la question du crime et du châtiment en France, vu que je n'aie pas l'impression que l'ensemble de la machine judiciaire se soit retrouvée brusquement au chômage à ce moment. Mais encore une fois, c'est Badinter qui est à l'origine du truc, faut pas être naïf non plus. Un peu comme si vous demandiez à un imam son avis sur l'homosexualité, par exemple.

Troisième problème : encore une fois, les historiens de l'art ont frappé. C'est-à-dire qu'ils se sont beaucoup contentés d'entasser des pièces plus ou moins en rapport avec leur affaire, et que parfois, leur réflexion devient un peu obsure voire frôle carrément le n'importe quoi. Ainsi, on vous colle la statue de la Petite Danseuse de Degas. Si vous êtes un peu historien et que vous faites un peu marcher vos méninges, vous comprenez =>Petite Danseuse => certaine animalité dans la représentation de l'être humain => réflexion sur la part humain/animal => en parallèle, réflexions à l'époque sur la phrénologie, le criminel se rapprochant de l'animal => ah ouais ok.
Bon, c'est quand même assez tordu tout ça.
Autre exemple : vous circulez parmi les portraits de hauts magistrats du XIXe siècles, confits dans leur gras et un soupçon de morgue, et là, on vous colle un tableau représentant une crucifixion. Là encore, il faut articuler ses neurones pour aboutir au => crucifix => justice rendue sous le regard de Dieu comme à l'époque moderne => conception encore Ancien régime de la justice => ah ouais ok.

Quatrième problème, les commissaires de l'expo ont parfois cédé à la tentation de la feignasserie, en remplissant plusieurs salles de pages de garde du Petit Journal, tapissant les murs de gravures représentant les meurtres les plus dégueulasses (notamment plein de femmes coupées en morceaux. J'ignore pourquoi, mais au XIXe siècle, c'est vrai qu'il y a plein d'histoire de femmes coupées en morceaux). Cela dit, si on se marre bien à regarder les images, il faut bien dire que l'empilation d'exemples ne constitue pas une réflexion historique et encore moins artistique.

Cinquième problème, j'ai pas trop compris l'intérêt réel, dans le cadre de la réflexion sur crime et châtiment, de ressortir les archives des débuts de la police scientifique, avec photos, données anthropométriques, fichiers, etc. Cela vaudrait une expo entière, pas une salle rattachée de loin. Car mis à part le côté purement émotif du regard non policier sur ces photos...

Sixième problème, certains éléments ont été pas mal gommés : il manque des documents sur le bagne et sur la déportation (en Guyane et en Nouvelle-Calédonie), et c'est dommage. Sur le même mode, on mélange la détention "de luxe" (pour prisonniers politiques, etc) et la réalité des prisons pour condamnés "de base", ce qui est quelque peu ennuyeux.


Bon. Tout ça n'a pas vocation à enterrer une belle expo. Pour ma part, je suis restée sciée devant certains tableaux, comme le Hitler aux enfers de Georges Grosz, ou l'immence crucifix d'un peintre russe dont j'ai oublié le nom, les toiles représentant la folie (souvent féminine : le tableau de la folle s'apprêtant, poussée par la famine, à dévorer ses enfants, est glaçant), le visage torturé du criminel. Je n'avais jamais vu de guillotine en vrai, et j'avoue que la vision de l'objet est une expérience remuante. Car c'est la peine de mort froide, scientifique, réduite à son côté pratique, calculée au millimètre pour faire son office : entourer le col au plus juste, planche juste assez large pour supporter le corps, panier d'osier noir livré avec pour recueillir le cadavre... c'est tellement maniaque de précision que c'en devient vertigineux.
Autre pièce terriblement marquante, la porte de la cellule des condamnés à mort (conservée au musée des prisons de Fontainebleau), qui comporte encore les graffitis des condamnés qui se sont succédés. Certains disent adieu à leur belle amie, d'autres se contentent d'un lapidaire "pas de chance" en guise de testament. Difficile de rester de marbre.

Pour l'anecdote : je me suis à moitié engueulée avec un type qui visitait l'expo en même temps que nous, devant la représentation (exécutée par plusieurs artistes il y a quelques années déjà) de la Machine de la colonie pénitentiaire de Kafka. Le type prétendait "qu'en France, on réduit nos libertés, et on en arrive à ça". J'ai bondi et répliqué d'un ton fort peu urbain que prétendre des âneries pareilles, c'était faire insulte aux pays où les gens souffrent encore, POUR DE VRAI, de la torture, des systèmes répressifs, de la dictature et des camps de concentration. Et que c'était ignoble de lier HADOPI et la Colonie pénitentiaire de Kafka. Ignoble, déplacé, indécent.


Bref. L'expo est bien faite et, malgré ses faiblesses, a de nombreuses vertus pédagogiques. Pour les encore jeunes comme moi, c'est pas cher (bah si, ça compte). Et je pense que c'est LE truc à faire avec un conférencier, pour un prof d'histoire-géo chargé de l'ECJS, avec des lycéens.

Pourquoi ? Parce que justement, en France, on a considéré il y a trente ans que la peine de mort n'était plus acceptable. Et ce non "par délire humaniste" , dans une tradition allant de Victor Hugo à notre ami Badinter, comme je l'ai lu sur la toile. Mais parce que la justice et la poursuite du crime ont changé. Auparavant, on frappait peu, mais on frappait fort, c'est à peu près la base de la compréhension de l'histoire du droit pénal. Il faut dire que la plupart des délinquants et des criminels échappaient très largement à la justice, et ce jusqu'à une période assez récente - eh oui, j'ai un profond respect pour Jean-François Parot et ses romans policiers se passant au XVIIIe siècle, mais désolée de casser un mythe : tout ça, c'est pas vrai. Sauf qu'aujourd'hui, quoi qu'en disent Détective et autres journaux du même acabit, on chope beaucoup plus de criminels qu'avant. La valeur cathartique de la peine de mort d'antan (= les rares qu'on chopait, on leur faisait prendre cher pour tous les autres) ne tient plus.

En outre, on aura beau jeu d'incriminer les vilains humanistes affreux gauchistes (que c'est qu'à cause d'eux que y'a pu la peine de mort que c'est que ça entraîne une recrudescence de la violence que c'est mal, vilain, décadence de la France et tout ça). Le débat sur la peine de mort remonte au Moyen-âge, aux temps de l'Inquisition - qui a inventé les peines de prisons pour, justement, éviter la peine de mort, partant du principe que quand même, on peut toujours espérer un amendement du criminel. Et que malgré tout, non, les inquisiteurs n'étaient pas spécialement des anges exterminateurs désireux de brûler tout le monde.
Franchement, vous pensez sérieusement que les inquisiteurs médiévaux étaient des gauchistes béats ?

Je n'ai pas de solution à proposer pour éradiquer le crime de notre société. Je sais seulement que la peine de mort me fait profondément horreur. Et que aucune grande théorie ne peut la justifier, car justement, c'est de la théorie, qui tombe d'elle-même lorsqu'on prend conscience de l'horreur de la peine capitale.


Je terminerai par une citation d'un grand maître, Umberto Eco :

Si vous êtes pour la peine de mort, vous devez accepter de voir le condamné ruer, éructer, griller, sursauter, tressauter, tousser, rendre sa sale âme à Dieu. (...) Vous aussi, qui soutenez la justice suprême de la peine de mort, vous devez "jubiler" : en mangeant, en buvant, en faisant ce que bon vous semble , mais vous ne pouvez faire comme si ça n'existait pas, quand vous en affirmez la légitimité.
Vous allez me répondre : "et si ma femme est enceinte, et que, sous le choc, elle me fait un avortement spontané ?" Et alors ? Le nouveau catéchisme admet qu'un État a le droit de légiférer sur la peine de mort. Il dit aussi qu'il est interdit d'avorter, mais uniquement si c'est volontaire. Si vous avortez en voyant un type qui rue dans le vide, ce n'est pas un péché.

écrit en 1993 par Umberto Eco, et publié en 1992 dans Comment voyager avec un saumon, "Comment voir une pendaison en direct à la télé", trad. fr 1997.



mardi 1 juin 2010

La Foire aux âmes noires.





Ploum-ploum, ploum-ploum-ploum, ploum-ploum, ploum-ploum-ploum...

Précisément, là, je suis en train de fredonner l'inoxydable Sarabande de Haëndel, lequel doit tout à Kubrick qui a assuré l'immortalité de ladite Sarabande en la choisissant pour musique de son Barry Lyndon.





Je ne me prononcerai pas sur Kubrick dont je n'ai vu que deux films, tous deux des adaptations de romans, à savoir Shining et, donc, Barry Lyndon. Point commun aux deux : le fait que l'adaptation n'a que peu à voir avec le bouquin de base. Et que, dans le cas de Barry Lyndon, je peux largement affirmer que la lecture du livre m'a bien plus traumatisée que le film - vu à dix-huit ans, à l'époque où l'on se fait une gloire de ne pas aller voir les blockbusters américains et de leur préférer le cinéma de minuit où l'on voit des films russes des années 90 et d'autres avec Greta Garbo, sur la 3.

J'ai enchaîné deux romans de William Makepeace Thackeray récemment, Barry Lyndon et La Foire aux Vanités. Précisions d'emblée : j'entends toujours aussi mal l'anglais, donc oui, je les ai lus en traduction. C'est très mal, je sais. Dans les deux cas, je suis ressortie passablement éprouvée de ces deux tableaux magistraux de la société anglaise (et européenne) dans toute son hypocrisie, ses minableries, sa capacité à écraser l'individu qui tente de rompre les équilibres établis.

Les deux personnages de ces romans, Rebecca Sharp et Redmond Barry, sont des parvenus, quasiment sortis du ruisseau à la force de leur poignet et de leur cerveau, sans jamais se reposer sur leurs acquis. Prêts à tout, il leur manque aussi la sagesse de savoir s'arrêter, pensant toujours pouvoir obtenir mieux : la présentation à la cour, un titre nobiliaire, un époux plus riche... Deux personnages principaux qui sont tout sauf sympathiques tant ils assument avec naturel leur arrivisme - encore plus flagrant chez Barry Lyndon, qui raconte à la première personne, sans jamais s'émouvoir, les pires filouteries et les maltraitances qu'il inflige à sa femme, laquelle ne l'intéresse que par son argent.

On a beaucoup dit que Thackeray avait un côté moralisateur et bondieusard, ce qui expliquait que ses personnages finissaient assez mal. Rebecca voit ses derniers projets de mariage et de richesse s'effondrer et doit se retirer dans une semi-honte, désavouée par ses anciens amis, tandis que Barry meurt au bout de vingt ans en prison pour dettes. À mauvaise vie, mauvaise fin, quoi.

Pourtant, si la vertu semble récompensée à la fin des romans, peut-on vraiment dire que Thackeray soit si complaisant que cela envers les "gentils" de ses romans ? L'amie de Rebecca, l'éternelle veuve éplorée Amelia Sedley, qui finit (enfin) par être récompensée de ses vertus et de ses misères, apparaît surtout comme une faible d'esprit, geignarde et gnan-gnan. Rawdon Crawley, le mari de Rebecca, a beau jeu de s'indigner de la duplicité de sa femme, quand elle échoue : après tout, il l'a bien encouragée dans cette voie et en a largement profité. Georges Osborne, le premier mari d'Amelia, est un crétin orgueilleux (heureusement qu'il meurt vite !).

Quant à Lady Lyndon, présentée dans le film de Kubrick comme la victime innocente et dupée de l'ignoble Barry, elle semble bien responsable pour une bonne part des malheurs qui lui arrivent. Sous la plume de Thackeray qui fait parler Barry, on sent le reproche selon lequel, finalement, elle n'est qu'un personnage de faible caractère, qui cède trop facilement, d'abord par coquetterie, puis par lâcheté, en sachant parfaitement qu'elle se donne à un vaurien, et sans savoir en tirer parti par la suite : plutôt que de se complaire dans le malheur, elle eût probablement bien mieux fait de contribuer aux roueries de son époux. En outre, Thackeray lui donne un côté bas-bleu, et un soupçon d'aspect pouffe de luxe qui la rend tout sauf attachante.

Nous en revenons donc à la question de l'adaptation cinématographique de ces deux oeuvres - car La Foire aux Vanités a été également adaptée par Mira Nair, il y a quelques années, avec Reese Witherspoon et son joli minois (c'est bien toute sa capacité d'actrice) dans le rôle de Rebecca Sharp. Je reproche aux deux cinéastes non la qualité du film (bonnes reconstitutions historiques, belles images, en général acteurs plutôt bons - James Purefoy en Rawdon Crawley, outre sa très belle gueule, est parfait de vulgarité et de veulerie, tout en restant attachant dans sa médiocrité) mais d'avoir considérablement édulcoré l'esprit du roman. Oui, même Kubrick, quoi qu'on en dise.
Pour la simple et bonne raison que dans ces deux films, finalement, l'idée c'est que le héros, c'est le méchant, et que les autres sont ses victimes. Alors que dans les romans de Thackeray, c'est plutôt "tous affreux, sales et méchants, les autres étant des faibles et/ou des imbéciles". Chez Kubrick, par exemple, le fils de Lady Lyndon, lord Bullingdon, apparaît comme le défenseur attitré de sa mère, sur le mode allô docteur Freud. Alors que chez Thackeray, il est clairement expliqué que la mère n'éprouve que très peu d'affection pour son fils du premier lit, qu'elle se remet facilement de l'annonce de son (faux) décès en Amérique, et que le rejeton n'est pour rien dans la chute de Barry - alors que c'est lui qui en est l'auteur dans le film.

L'éclat des personnages de Thackeray est d'autant plus trouble que même les plus veules sont rattrapés par un bon côté plus ou moins apparent : Rawdon Crawley, c'est l'amour paternel. Georges Osborne, c'est la mort en héros à Waterloo. Lady Lyndon est pitoyable dans ses tentatives désespérées d'échapper à son second époux, qui la bat, l'insulte et la ruine. Barry Lyndon a un humour ravageur, une misogynie grinçante tellement osée, un vrai courage (dans sa carrière militaire et dans son appétit pour le duel), une franchise telle et une capacité à tout assumer qui le rend finalement bien plus humain que l'icône aventurière du film de Kubrick.

Il est étonnant du reste que même Kubrick, qui me semble pourtant expert en la matière, n'ait pas vraiment su capter la noirceur de l'esprit de Thackeray. Ma conclusion est toute simple : encore une fois, les romanciers du XIXe siècle sont très forts et ont déjà tout compris avant que Freud et ses copains psychanalystes viennent nous casser les pieds avec leurs interprétations à la noix. Thackeray sait que l'homme est terrible, porté à la luxure, à la haine au lucre et à la jalousie, et que l'argent et la pression sociale corrompt tout en lui, mais qu'il peut aussi être parfois, un peu, un tout petit peu, touchant, humain.

Bref, il faut lire Thackeray.