lundi 21 décembre 2009

Les brèves du lundi, 3.

1. Ah ben finalement, ils ont retrouvé l'inscription d'Auschwitz. Cette histoire, c'était vraiment commentemmerderlemondeàpeudefrais.com/trucsfoireux.htm. Limite si je n'ai pas plus de sympathie pour les voleurs dont l'ambition minable et le sens de la gageure est plutôt attanchante ("qu'est-ce qu'on fait ce soir les copains ? Allez, venez, on pique l'inscription d'Auschwitz") que pour tous les cons qui ont braillé à l'acte antisémite.
Non, c'était juste une connerie.


2. Médecin appelé à 19h30 qui se pointe à 22h30 (et vous facture le tarif de nuit) : "ah non, c'est pas une entorse, allez faire une radio demain, si ça se trouve il va falloir un plâtre". Hôpital le lendemain, 4h d'attente : "ah ben si madame, c'est bien une entorse et on peut rien pour vous. Et bonne journée bien sûr".


3. La neige à Paris, c'est chouette. Un petit air de Noël...


4. Le Pavillon des Cancéreux, de Soljenitsyne, c'est pas très rigolo mais c'est très bien. Il m'est cependant avis que ça se termine assez mal.


5. Hier soir, les critiques du Masque et la Plume ont encensé Anna Gavalda - oui, depuis que j'ai découvert le concept du podcast, je ne suis plus obligée de renoncer au Masque du dimanche soir. Finalement, les critiques du Masque peuvent aussi avoir leur quart d'heure bisounours, ça fait plaisir.
Moi aussi j'aime bien Anna Gavalda - oui c'est plein de bons sentiments, mais que voulez-vous, on ne peut pas vivre qu'avec Le Pavillon des cancéreux...


6. Une copine m'a raconté que le proviseur de son bahut a expressément signalé aux professeurs (enfin aux enseignants) de ne pas souhaiter de "joyeux Noël" aux élèves (aux apprenants ?). C'est discriminant. Vilain. Pas laïque. Ouh !
C'est sûr, un adolescent risque d'être vachement choqué. Limite traumatisé à vie. Si après il n'a pas son bac, vous saurez où vous plaindre hein.


7. D'ailleurs, c'est quoi ce délire sur les affiches publicitaires d'Acadomia, sur laquelle une charmante demoiselle au décolleté plongeant se "donne du souci" pour savoir s'il y a une "place pour l'envie d'apprendre" ?
On n'y dit plus "professeur de français", mais "enseignante en français". Déjà, c'est crispant. Ensuite, si je me pointais avec un décolleté pareil en cours, franchement, le proviseur aurait autrement plus de palpitations que si je souhaitais un "joyeux Noël" aux élèves. Enfin, bon sang, mais l'envie d'apprendre, on s'en fout. Personne n'a "envie d'apprendre", dans l'absolu, de même que personne n'a envie de travailler. Seulement, il le faut bien parce que faut bien bouffer un jour ou l'autre. Ah, les joies de l'"élève au centre des savoirs"...


8. Et bonne semaine à tous !

samedi 19 décembre 2009

Mémoires.

Dans la série trucs improbables, des petits rigolos ont piqué l'inscription qui couronne (enfin couronnait, puisque justement, ils l'ont piquée) l'entrée d'Auschwitz, le fameux, l'innénarrable Arbeit macht frei, qui rappelle qu'en plus d'être des fachos, les nazis avaient de l'humour.

Mauvais, certes, l'humour, mais quand même. Personnellement, je n'aurais pas eu l'idée, j'aurais plutôt mis "vous qui entrez ici laissez toute espérance", mais je n'ai pas le sens du comique de situation d'un kapo.
À moins que les dirigeants d'Auschwitz n'aient pas lu Dante - hypothèse tout à fait soutenable, en somme.

Dans Le Monde, les gens se déchaînent sur l'antisémitisme et le néo-nazisme qui auraient motivé ce geste. Il faut quand même être rudement barré pour en arriver à cette conclusion. Il s'agit probablement d'un collectionneur fétichiste guilleret mais aux goûts légèrement douteux, qui a dû commanditer la subtilisation de l'élément de ferraille. En plus, ça a dû lui coûter très cher - d'autant qu'on dit que le site d'Auschwitz est très surveillé.


Quand je serai professeur, parmi les trucs que j'aimerais faire avec des élèves (des premières ou des terminales, faut pas déconner non plus), c'est de les emmener visiter Auschwitz. Du genre leur faire lire Primo Levi avant, coller deux-trois exposés vachards sur "Histoire et Mémoire", "Les lieux de mémoire", "le devoir de mémoire", et ensuite leur infliger une série de travaux au retour - parce que pour être professeur, on n'en est pas moins sadique.
Je pense qu'on peut faire faire des tas de choses intelligentes à des élèves. Des choses qui dépassent le simple stade du larmoyage et de la compassion. Qui leur fasse piger que l'histoire, c'est pas des dates à apprendre (bon même si c'est mieux de savoir que 14-18 et 39-45, hein), mais l'histoire de millions d'hommes qui ont vécu pour de vrai. Avant nous. Et que donc, cela ne nous appartient pas, donc qu'on ne peut pas l'oublier, le jeter dans les poubelles de notre mémoire.

Si je fais de l'histoire, c'est, entre autres choses, parce que le premier jour de terminale, notre professeur nous a lu, avant d'entamer le programme (qui à l'époque commençait avec les origines de la Seconde Guerre mondiale), l'extrait de La Douleur de Marguerite Duras, le passage où elle attend le retour de son mari des camps de concentration. En nous disant que faire de l'histoire, c'était plus que de la chronologie : des hommes bien réels. L'histoire a goût de chair humaine, disait Marc Bloch.

Je n'aime pas Duras et je ne suis pas devenue contemporanéiste, bien entendu. Mais je lirai aussi cet extrait devant mes classes, avec le même discours.

Et si un jour un ancien élève vient me trouver en me disant qu'il est devenu professeur parce qu'il se souvient de ce que je lui ai dit, je serai un professeur heureux.

jeudi 17 décembre 2009

Le duc de Vallombreuse, héros romantique.

C'est pas neuf : quand vous lisez un roman, vous vous rendez rapidement compte que le méchant est toujours finalement bien mieux que le gentil héros tartignolle qui gagne à la fin.
Ainsi, dans le Capitaine Fracasse, du bon Théophile Gautier, le méchant duc de Vallombreuse est infiniment plus intéressant que ce brave baron de Sigognac, qui, à part être pauvre et courageux, n'en demeure pas moins couillon au possible.

Il n'y a qu'à voir combien l'auteur prend un plaisir non dissimulé à nous décrire la beauté sombre et parfaite, le caractère violent - puis la rédemption finale - de son personnage. Résumons : le duc de Vallombreuse a repéré la comédienne Isabelle qui lui a tapé dans l'oeil. Manque de chance, Isabelle est éprise du baron de Sigognac, entré sous le nom de Capitaine Fracasse dans la troupe de comédiens d'Hérode par amour pour la demoiselle (et aussi parce qu'étant fauché comme les blés, il n'a rien d'autre à faire de ses journées). Vallombreuse se bat en duel avec Sigognac, tente de le faire assassiner, fait enlever Isabelle qu'il séquestre dans le château de son père. Au moment où il va carrément la violer (vu qu'elle lui résiste), il est blessé par Sigognac arrivé à la rescousse, et apprend (re-manque de pot) qu'en fait, Isabelle est la fille cachée de son père, donc sa demi-soeur. Il manque mourir de ses blessures puis s'amende et se rachète une conduite en favorisant le mariage de sa soeur avec Sigognac.

Pendant longtemps, je me demandais ce que l'auteur pouvait bien trouver à son héros, le Capitaine Fracasse, pour en faire un roman. Pauvre, vertueux, bon à l'escrime mais mou et chiant à mourir... Même question pour Isabelle : certes belle et vertueuse, mais larmoyante et ennuyeuse.
Jusqu'au jour où j'ai compris que le vrai héros de l'histoire est bel et bien le duc de Vallombreuse. Alors qu'on ne sait quasiment rien du physique de Sigognac (sinon qu'il n'est pas trop moche, logique, sinon Isabelle ne tomberait pas amoureuse de lui), Gautier consacre une bonne vingtaine de pages en tout à décrire le visage de Vallombreuse, tel qu'il est animé par le désir, déformé par la colère, pâlissant sous l'effet de la haine, toujours éclatant de beauté parfaite. Aux descriptions du visage il faut ajouter celles, jubilatoires de précision, consacrées aux habits du duc. Perles, dentelles, velours, soieries, boucles de cheveux, tout y passe. Le duc de Vallombreuse est une pièce d'orfèvrerie à lui tout seul. Violent, pervers, certes, mais noble, courageux, superbe même devant la mort.

Les mots dont Gautier se sert pour parler de Vallombreuse après sa défaite révèlent son héroïsme :

(...)Vallombreuse, au même instant, parut sur le seuil de la salle, soutenu par Malartic ; il était affreusement pâle, et sa main crispée tenait un mouchoir contre sa poitrine. Il marchait cependant, mais comme marchent les spectres, sans soulever les pieds. Une volonté terrible dont l'effort donnait à ses traits li'mmobilité d'un masque en marbre, le tenait seule debout. Il avait entendu la voix de son père que, tout dépravé qu'il fût, il redoutait encore, et il espérait lui cacher sa blessure. Il mordait ses lèvres pour ne pas crier, et ravalait l'écume sanglante qui montait aux coins de sa bouche ; il ôta même son chapeau, malgré la douleur atroce que lui causait le mouvement de lever le bras, et resta ainsi découvert et silencieux.
(son père lui apprend qu'Isabelle est sa soeur)
"Puisse-t-elle remplacer le fils que vous allez perdre, répondit Vallombreuse, pris d'une défaillance qui fit appraître sur son visage livide les sueurs de l'agonie ; mais je ne suis pas coupable comme vous le pensez. Isabelle est pure, je l'atteste sur le Dieu devant qui je vais paraître. La mort n'a pas l'habitude de mentir, et l'on peut croire à la parole d'un gentilhomme expirant.
(...) - Mais qu'avez vous donc ? dit le prince en étendant la main vers le jeune duc, qui chancelait malgré le soutien de Malartic.
- Rien, mon père, répondit Vallombreuse d'une voix à peine articulée... rien... je meurs".
(blessé, il s'effondre. On attend un médecin : on le couche dans une chambre décrite longuement par l'auteur, qui passe ensuite à Vallombreuse).

Le prince, assis dans un fauteil après du lit, regardait d'un oeil morne ce visage aussi blanc que l'oreiller de dentelles qui ballonnait autour de lui. Cette pâleur même en rendait encore les traits plus délicats et plus purs. Tout ce que la vie peut imprimer de vulgaire à une figure humaine y disparaissait dans une sérénité de marbre, et jamais Vallombreuse n'avaut été plus beau. Aucun souffle ne semblait sortir de ses lèvres entr'ouvertes, dont les grenades avaient fait place aux violettes de la mort. En contemplant cette forme charmante qui allait se dissoudre, le prince oubliait que l'âme d'un démon était en train d'en sortir, et il songeait tristement à ce grand nom que les siècles passés s'étaient respectueusement légué et qui n'arriverait pas aux siècles futurs".

En plus, au cinéma, c'est Gérard Barray.
(alors que Sigognac, c'est Jean Marais. En terme de sexytude, y'a pas photo).



Vallombreuse est aussi celui qui agit, qui refuse la fatalité : Isabelle lui résiste, à lui, l'irrésistible gentilhomme ? Qu'importe, il l'aura, même s'il doit passer par le duel, l'enlèvement, la contrainte. Sigognac, lui, est essentiellement passif : les duels et les batailles auxquels il prend part n'ont pas été provoqués par lui mais par Vallombreuse. Le Capitaine Fracasse demeure sur la défensive (même auprès des femmes : on ne peut pas dire que ce soit lui qui "attaque" dans sa relation avec Isabelle). Vallombreuse est alors bien le héros dans la mesure où c'est lui qui fait avancer l'action.



Enfin, n'est-t-il qu'un simple "méchant" ? ou un profond pessimiste, qui ne croit pas (plus ?) à l'amour pur et désintéressé, dans un monde où "il y a quelque chose de pourri", surtout dans un milieu de courtisans et de femmes dont la noblesse n'est qu'un mot et dont l'âme est vénale ?
La clef est donné lorsque Vallombreuse, revenu des limbes de la mort, explique la passion que lui a inspirée Isabelle qu'il reconnaît à présent comme sa soeur :

Chère soeur, (...), le frère est auprès de vous en meilleure posture que l'amant ; autant vous étiez rigoureuse à l'un, autant vous êtes douce à l'autre. Je trouve à ce sentiment paisible des charmes dont je ne me doutais point. Vous me révélez un côté inconnu de la femme. Emporté par les passions ardentes, poursuivant le plaisir que promettait la beauté, m'exaltant et m'irritant aux obstables, j'étais comme ce férice chasseur de la légende que rien n'arrête : je ne voyais qu'une proie en l'objet aimé. L'idée d'une résistance me semblait impossible. Le mot de vertu me faisait hausser les épaules, et je puis dire sans fatuité à la seule qui ne m'ait point cédé, que j'avais bien des raisons de n'y pas croire (...). J'ignorais tout ce qu'il y a de pur, de tendre, de délicat dans l'âme féminine. (...) Pour la première fois, un sentiment d'estime se mêla dans mon coeur à l'amour. Votre caractère, tout en me désespérant, me plaisait. J'approuvais cette fermeté modeste et polie avec laquelle vous repoussiez mes hommages. Plus vous me rejetiez, plus je vous trouvais digne de moi. La colère et l'admiration se succédaient en moi, et quelquefois y régnaient ensemble. Même en mes plus violentes fureurs, je vous ai toujours respectée. Je pressentais l'ange à travers la femme, et je subissais l'ascendant d'une pureté céleste. Maintenant je suis heureux, car j'ai de vous précisément ce que je désirais de vous sans le savoir, cette affection dégagée de tout alliage terrestre, inaltérable, éternelle ; je possède enfin une âme".


À la fin du roman, Vallombreuse demeure seul. Un véritable "happy end" se serait conclu par un double mariage : celui d'Isabelle et de Sigognac, et celui de Vallombreuse avec une amie du baron, une douce demoiselle, que sais-je. Il n'en est rien. On sait qu'il s'amende et se repent de sa conduite de libertin, faisant enfin le bonheur des vieux jours de son père, mais Gautier ne lui donne aucun futur amoureux. Seul lui reste l'affection fraternelle qui semble alors la seule possible. Il est la perfection même mais son âme soeur n'existe pas. Pour cet être parfait, l'amour parfait exclut le sentiment amoureux.

Vallombreuse est donc le vrai héros tragique et romantique du Capitaine Fracasse. Parfait de l'extérieur, il se cherche une âme, la trouve, acquiert la perfection intérieure mais cela le coupe finalement du monde de l'amour. Le roman est celui de sa transformation avant d'être le simple récit des aventures du Capitaine. Vallombreuse est l'incarnation de la perfection selon l'idéal des romantiques et des poètes du XIXe siècle (son héroïsme et sa solitude finale sont dignes d'un poème de Baudelaire). Les descriptions si fines et si riches qu'en donne Gautier sont empreintes d'une nostalgie d'un paradis de perfection perdue, que la création littéraire permet d'entrevoir et peut-être d'atteindre. Mais une fois cette perfection atteinte, l'on est retranché du reste du monde.

Théophile Gautier, "poëte impeccable" comme le disait justement Baudelaire, n'est pas le romancier pour les enfants qu'on veut bien nous présenter. Le Capitaine Fracasse paraît à partir de 1861 : à ce moment, Gautier a la cinquantaine, il a été ruiné (et ses illusions avec) par la révolution de 1848. Ce n'est pas une histoire pour faire dormir les petits, mais bien le roman de la nostalgie et de la beauté d'un monde perdu.





Le problème, c'est que dans les dernières pages, on apprend que le duc de Vallombreuse répond au prénom parfaitement ridicule d'Hannibal, et ça casse un peu le mythe. Mais bon, Gérard Barray, quoi.


lundi 14 décembre 2009

Malgré la nuit

Mémoire de st Jean de la Croix, docteur de l'Eglise


Je sais la source qui jaillit et fuit

malgré la nuit.

Cette source éternelle est cachée,
mais moi je sais où elle a sa demeure,
malgré la nuit.
Ne sais son origine, car n'en a point,
mais je sais que d'elle toute origine vient,
malgré la nuit.
Je sais que ne peut être chose si belle,
et que cieux et terre boivent en elle,
malgré la nuit.
Je sais qu'on ne peut en trouver le fond,
et que nul ne peut la passer à gué,
malgré la nuit.
Sa clarté jamais n'est obscurcie,
et je sais que d'elle toute lumière vient,
malgré la nuit.

Je sais que ses cours sont si abondants,
qu'ils irriguent l'enfer, les cieux et les nations,
malgré la nuit.
Le cours qui naît de cette source,
je sais qu'il est aussi vaste et tout puissant,
malgré la nuit.
Le cours qui de ces deux procède,
je sais qu'aucun d'eux ne le précède,
malgré la nuit.
Cette source éternelle est cachée,
en ce pain vivant pour nous donner vie,
malgré la nuit.

Elle appelle là toutes les créatures,
et de cette eau s'abreuvent, quoique dans l'obscur,
car c'est la nuit.

Sa clarté jamais n'est obscurcie,

et je sais que d'elle toute lumière vient,
malgré la nuit.


Jean de la Croix,
Aunque es de noche,
Cantar de la alma que se huelga de conoscer a Dios por fe,
édition bilingue des Poésies Complètes par Bernard Sesé aux Ibériques de José Corti.

Les brèves du lundi, 2.

1. Deux jours à arpenter la rue de Rennes, l'avenue du Général Leclerc et la rue d'Alésia, chasse aux cadeaux de Noël. Depuis quelques temps, il est du dernier snobisme de dire qu'on "n'aime pas Noël", que c'est commercial, patin-couffin. Respirer par le ventre et déclarer d'un air marmoréen que si vous n'aimez pas Noël, nom de nom, deux solutions :
- vous êtes catho : allez à la messe, participez à la chorale ou à la garderie des petits (rendez-vous utiles, au moins) et rentrez chez vous, pioncez, demain c'est férié. Si vous avez des gosses, dites-leur que nan, le petit Jésus il n'a eu que de l'or, de l'encens et de la myrrhe mais que vous, vous n'avez pas de roi sous la main pour lui apporter tout ça, donc bernique.
- vous n'êtes pas catho (cas le plus courant) : vous devriez en avoir encore davantage rien à foutre de Noël. N'allez pas à la messe et rentrez pioncer chez vous, c'est férié pareil. Et expliquez à vos gosses que Noël, c'est catho, donc méchant et vilain et que pour le camion de pompiers, on attendra de voir le bulletin scolaire.
C'est pas compliqué pourtant.



2. Fait froid. Pour remédier à nos problèmes de moisi dans l'appartement, mon propriétaire au eu la chouette idée de percer des trous dans le mur afin d'améliorer l'aération.
Chouette. Maintenant, il va faire froid dans l'appartement aussi. Superchouette.


3. En ce moment : Le Capitaine Fracasse, de Théophile Gautier. Une merveille, un bijou, un trésor, un graal, une extase littéraire. D'autant plus jouissif qu'on le lit à 12 ans pour lire des histoires de mousquetaires (avec des épées qui font tchaf, tchaf !), à 16 parce que les histoires d'amûûûr, ça fait toujours son effet, à 18 parce qu'en prépa, le prof a parlé romantisme et couleur locale, et encore et encore parce que cette oeuvre est tellement ciselée qu'on y trouve quelque chose de nouveau à chaque fois.
Merci Théo.


4. Mon yucca fait des feuilles jaunes. Je suis désespérée. Y a-t-il un botaniste dans la salle ?


5. Dans la série "bidules improbables", j'ai acheté un Neutrogena Wave. Un machin qui vibre sur lequel vous fichez un coton imbibé de produit pour vous ravaler la façade, enfin vous nettoyer la figure, quoi. C'est rigolo comme tout et presque aussi snob que d'ajouter une base et un top coat sur votre vernis à ongles. Je surkiffe, comme on dit.
Messieurs, si vous voulez des idées de cadeaux de Noël pour Madame...


6. Allez, promis, cette semaine, je vais voir un musée rigolo et je vous raconte. Sur ce, bonne semaine !


samedi 12 décembre 2009

L'Immaculée Conversion


Moi je m'en fiche, c'est celle qui l'a dit qui l'est!
8 décembre - Solennité de l'Immaculée Conception de la Vierge Marie
Calée par un hasard du calendrier (?) au début de l'Avent, au tout début de l'année liturgique, la solennité de l'Immaculée Conception de la Vierge Marie, que l'Eglise a célébrée mardi, rejoue sur une autre partition le registre de l'attente. Entre l'attente du Christ Roi qui clôt l'année sur une violente perspective eschatologique et l'Avent qui nous conduit à la joyeuse Nativité du Messie, la présence de la Vierge Marie se fait sentir comme un repère rassurant. De l'ombre embrasée de l'Apocalypse à la lumière tremblante de la crèche dans la nuit...
Et pourtant cette solennité, et le dogme qui l'accompagne, ne sont ni faciles à comprendre, ni évidents à accepter. On ne trouve évidemment aucune trace de ce que l'Eglise nous propose aimablement d'avaler comme un "mystère de la foi" dans les écritures. D'ailleurs les textes du jour tournent autour de la nouvelle Eve et de l'Annonciation, entretenant par là le malentendu sur l'Immaculée Conception dont il est question. Le Catéchisme, particulièrement étique sur le sujet, ne nous aide pas vraiment plus (cf. 411). On se retrouve pour ainsi dire bien démuni devant cette grande formule "Immaculée Conception", qui fleure bon la masturbation intellectuelle théologisante, l'apparition à la grotte d'une dame toute blanche dans la boue du ruisseau, et la dévotion puritaine d'une autre époque.
Car en plus d'être démuni il est possible qu'on ne se trouve pas très à l'aise. Immaculée Conception, Vierge conçue sans tache. Sans LA tache, celle du péché originel, vous savez, celui dont on n'entend plus parler, et dont, à vrai dire on n'a plus vraiment envie de parler. Celui dont on ne comprend pas très bien comment il pourrait se justifier, ni d'où il sort, sinon de la culpabilité paternelle théologisée de notre champion de la prédestination, Augustin. Enfin, quand je dis "on", je parle pour moi, il faudra bien que j'assume un jour ce débat... mais le péché originel, on s'en occupera un autre jour.
Pour en revenir à nos moutons, en toute cohérence logique, il semble évident qu'il faille accepter l'idée que, pour porter en elle et tisser en sa chair la chair du Christ préservé du péché, Marie en ait été préservée elle-même. Pourquoi et comment... Mystère. Mais ça n'est pas cette ignorance du pourquoi et du comment qui gêne, ça n'est pas le plus ennuyeux. Ce qui plombe, c'est de ressentir ce dogme comme la sacralisation de la pureté d'une femme désincarnée, d'une sorte de déesse nimbée dominant avec hauteur notre infinie capacité à nous vautrer dans nos taches diverses et variées.
La pureté de la Vierge Marie sauve l'humanité en rendant possible l'Incarnation. Mais le choix de l'évangile de la solennité de l'Immaculée Conception nous rappelle que la pureté ne suffit pas: « Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole ». Marie a beau être sans tache, elle n'est pas sans avoir son mot à dire. Ce qui importe à Dieu c'est la liberté de l'homme, qu'Il a créé autonome, pour qu'il puisse choisir de se tourner vers Lui. Or la première lecture du jour nous indique que la liberté de Marie, la Vierge toute pure, renvoie à la liberté d'Eve, la première femme, non moins pure... à l'origine. Mais la liberté d'Eve s'est laissée prendre au spectre de sa toute puissance. Celle de Marie se plie à l'autorité divine et en recueille toute la fécondité. Eve et Marie sont les deux archétypes qui se rejoignent dans le visage de l'humanité, perdue et rachetée, ainsi que les deux termes de l'histoire du salut qui est l'histoire d'une conversion.
Eve toute pure avant la première faute, Marie toute pure mais toute libre devant Dieu, on voit bien que la pureté ne suffit pas à nous sauver. L'Immaculée Conception nous renvoie donc à quelque chose d'autre qu'à cette pureté fantasmée qui nous hante. Peut-être nous renvoie-t'elle simplement à notre propre conversion. Dans notre rapport à nous-même, à Dieu et à l'autre, la Vierge pure et l'Eve impure nous questionnent quant au regard de Dieu sur notre nudité. Adam et Eve ayant commis l'irréparable se cachent dans le jardin. "J'ai pris peur parce que je suis nu", avoue le premier homme à Dieu qui le cherche et qui s'étonne: "Qui donc t'a dit que tu étais nu ?". Et nous, qui nous a dit que nous étions nus? Que cachons-nous, parfois sous de si terribles stratagèmes, sous de sinistres oripeaux?
Le péché originel, le début du mensonge, de la honte, de la peur. La fin de la nudité pure et heureuse. La crainte du regard de Dieu et de celui de l'autre, alors qu'Adam et Eve prennent peur devant leur nudité réciproque et se couvrent de vêtements. Se protéger de l'autre, se préserver de Dieu, cacher sa faiblesse et sa vulnérabilité. La nudité parfaitement pure de l'Immaculée Conception nous permet de retrouver cette liberté de se montrer nu et de vivre sous le regard de Dieu sans peur. L'Immaculée Conception nous ouvre à une immaculée conversion. Puisque le baptême nous lave de nos fautes. Puisque nous avons toujours la liberté de nous tourner vers Dieu dans notre nudité pour Lui demander de nous rendre immaculés. Puisque, la deuxième lecture le rappelle, "en Lui, il nous a choisis avant la création du monde, pour que nous soyons, dans l'amour, saints et irréprochables sous son regard"

jeudi 10 décembre 2009

Les objets d'Artémise.


Pour une raison un peu compliquée liée à des affaires de familles peu gaies, la succession de mes grands-parents paternels consista essentiellement en un sauvetage de quelques meubles, livres, vaisselle et rares souvenirs abimés par la maladie et les conflits.

Mes grands parents paternels sont morts quand j'étais adolescente et c'est avec une infinie tristesse que je me rappelle ne pas leur avoir assez téléphoné, écrit, donné des nouvelle, dit que je les aimais.

De mon grand-père, je garde des attaches normandes qui relèvent essentiellement du fantasme (n'ayant mis les pieds que deux fois une semaine en Normandie, et encore même pas du côté du village originel). C'est aussi lui qui m'a permis de récupérer quelques objets ayant appartenu à ma défunte grand-mère. Une bague que je ne porte jamais mais qui me fascinait étant petite, car la pierre principale, une opale, changeait de couleur avec une telle rapidité que ma grand-mère nous faisait croire qu'elle était magique. Un fauteuil crapaud vieux rose dans lequel je m'asseyais telle une princesse lorsque je rendais visite à ma grand-mère. Quelques foulards, quelques bijoux.

Et surtout, un petit marque-page ancien, une pince ornée d'une main décorée de pierres rouges. Du verre coloré, bien entendu. Et du métal doré, rien de précieux.



Cette petite main fait partie de ces petites choses qui me suivent partout. Déjà, parce que je me promène rarement sans un livre dans mon sac à main. Et que, depuis que j'ai arrêté de corner des pages comme une sauvage (parce que sur les livres de la bibliothèque municipale, ça ne se fait pas), j'ai besoin d'un marque-page.



J'ai une tendresse infinie pour cette bricole qui m'accompagne dans toutes mes lectures. Cette petite main, ce sont des générations de lecteurs avant moi. Ce sont des arrière-grand-mères qui lisaient des romans à l'eau de rose, une grand-mère qui lisait du Georges Duby (un ami de la famille) et un grand-père qui épluchait des livres sur l'aviation pendant la Seconde Guerre mondiale. Marquer ma page avec cette petite main, c'est, autant que d'acheter des livres d'occasion ou d'aller à la bibliothèque, m'inscrire dans la communauté des amoureux de la lecture.


Des marque-page, on m'en a offert un certain nombre (cadeau très courant qu'on fait aux gros lecteurs, quand on ne leur offre pas un bouquin). Aucun n'a remplacé ce petit objet désuet.


mardi 8 décembre 2009

Les brèves du lundi, 1.

1. Mais vous ne croyiez sérieusement pas que j'allais laisser tomber ce concept terrible des Brèves du lundi ? Je sais bien que changement d'herbage réjouit les veaux, mais les veux mangent quand même toujours de l'herbe. Donc, on continue avec les Brèves du lundi.


2. On n'a pas fini de nous casser les pieds avec l'histoire des minarets en Suisse. Personnellement, j'ai l'impression que les gens découvrent un peu l'eau chaude dans cette affaire. Comme si c'était neuf que les Suisses n'étaient pas les moins xénophobes de la planète. Je dis ça sans haine aucune, en plus j'aime beaucoup la Suisse. N'empêche, du temps que je faisais un mois de stage au pays des vaches mauves et des lacs de montagne, j'étais déjà une vilaine étrangère qui venait leur piquer leur boulot. Pourtant, j'étais dans le Valais et j'allais à la messe le dimanche.
C'était l'époque où les Suisses votaient pour l'extension de leurs accords avec les nouveaux pays de l'Union Européenne. Je ne vous raconte même pas ce que j'ai pu entendre en matière d'histoires de plombiers polonais.
Alors vous imaginez des types pas européens, qui ne vont pas à la messe et qui veulent des minarets ? Sérieusement, vous imaginez quoi ?



3. Ce mois-ci, dans la série Engagez-vous, Rengagez-vous, le Salon Beige s'engage pour la canonisation de Louis XVI et contre le vaccin contre la grippe A.
Objectivement il faut se rendre à l'évidence : à part mourir (et même pas pour sa foi), Louis XVI n'a rien fait qui mérite sa canonisation. Si encore un jour un clampin se levait pour dire que Louis XVI lui est apparu et à fait un miracle pour le guérir...
Quant à leur attitude d'andouilles sur la question de la grippe, je les remercie de penser aux asthmatiques et autres insuffisants respiratoires (et y'en a pas qu'un en France) qui auront la joie de morfler durablement lorsqu'ils auront la grippe pour ne pas s'être fait vacciner après avoir lu ce genre de propos.


4. Ah oui, encore une précision : je m'en fiche, que le Salon Beige fasse de l'info et que ça demande beaucoup de travail, et que tout ça c'est du temps passé, ma brave dame. C'est l'argument typique du mauvais élève : "ah mais j'ai travaillé huit heures sur mon devoir, madame, vous ne pouvez pas me mettre 02/20". Eh bien si, je peux. On peut très bien travailler beaucoup et produire un truc parfaitement nul (ma thèse en sera probablement un excellent exemple).
Ma prof d'histoire de terminale avait pour coutume de nous répéter "travaillez moins, écrivez moins, réfléchissez plus".


En plus, c'est un chouette argument : personnellement, j'écris mes posts en une quinzaine de minutes grand maximum. Donc pour ceux qui me disent que j'écris des âneries, ça ne me vexe pas, vu que ce que j'écris n'a pas vocation à faire autorité.

Et toc.


5. Dans la série "critique littéraire" : Schnitzler, c'est bien, mais c'est pas rigolo. Un peu comme du Stefan Zweig, mais en bien. L'édition du Livre de Poche en deux volumes (enfin livre de poche, mon oeil, livre déforme-poche) est d'un excellent rapport poids-qualité-prix, bon apparat critique, bonne présentation. Je recommande tout particulièrement La Ronde (bien sûr), Mourir, Pour une heure.


6. Et dans la série films, eh bien, on chausse ses bottes flashy et ses pantalons pattes d'eph', on passe un haut à sequins et on se fait une cure d'ABBA avec Mamma mia ! La comédie musicale où c'est que Meryl Streep et Pierce Brosnan chantent en vrai.
Même que c'est chouette.



vendredi 4 décembre 2009

Musées en folie, 1.


Puisqu'il s'agit d'écrire un peu sur cette page web toute belle et toute neuve (mais dont la présentation laisse encore à désirer, je SAIS, je suis une tanche en manipulation informatique), quoi de mieux que de commencer par une râlerie ?

Ordoncques, l'Époux a le bras long et grâce à ce, m'octroie le droit de bénéficier des largesses associées à sa position éminente, à savoir être invitée - par exemple, au hasard - à des visites guidées d'expositions.
Hier, c'était au musée Rodin, où se tient, dans un coin sombre et mal éclairé (et dont les vitrines d'expositions sont dégueulasses), une exposition consacrée au lien entre Henri Matisse et Auguste Rodin.



La mise en perspective de deux artistes, c'est la grande invention muséographico-expositoire des dix dernières années.

Comment on fait ? On prend deux artistes, n'importe lesquels, on colle d'un côté les oeuvres de l'un, de l'autre côté celles de l'autre, on fait un carton biographique pour chacun, deux autres cartons pour raconter leur rencontre (ou leur non-rencontre, si par exemple vous choisissez Van Eyck et Jeff Koons), et vous faites payer huit euros cinquante à tous les guignols qui auront lu la réclame d'enfer que vous aurez eu soin de faire rédiger dans Le Point ou dans les pages Sortir du Télérama.
Moi la première, hein. Pour le Télérama, pas Le Point, faut pas abuser non plus.

Ne reste plus qu'à attendre les rombières emperlouzées qui sévissent habituellement dans ce genre d'expositions.

Bref, là en l'occurence, c'était Matisse et Rodin. Parce que Matisse n'a pas seulement fait des découpages de canson bleu qu'on nous fait reproduire en arts plastiques en CE2, mais il s'est aussi intéressé à la sculpture, et ce dans les mêmes thèmes/termes que Rodin : la danse, le nu féminin, la scupture inachevée, le corps torturé, la simplification, l'expressionnisme, etc.

Alors, un jour, Matisse s'est pointé dans l'atelier de Rodin pour lui montrer ses dessins et ses créations, et il semblerait que Rodin l'ait plus ou moins envoyé paître en lui recommandant d'aller apprendre à dessiner. On en convient, ce n'est pas très gentil.

Cela confirme aussi l'idée assez communément répandue selon laquelle Auguste Rodin était aussi un parfait pignouf, mais ce n'est pas le sujet.

Venons-en à l'exposition, maintenant.

Si vous avez un certain nombre d'euros à perdre, ou si vous êtes vraiment amateurs, allez-y. Sinon, soyons francs, c'est vraiment cher payé pour ce que ça apporte - en plus, les vitrines sont sales et mal éclairées. En outre, l'exposition est minuscule (trois malheureuses salles) et manque cruellement d'explications. Je ne parle même pas du malheureux Nu Bleu de Matisse, relégué au fond d'un couloir d'un mètre de large, en fin d'exposition.

Néanmoins (car il y a toujours un néanmoins), quelques éléments stimulants :

- l'idée, qu'il convient de marteler allègrement, de la perméabilité entre les arts et les disciplines. On notera la très jolie vitrine (un peu mieux nettoyée, en outre) consacrée aux statuettes et aux dessins de Rodin et de Matisse sur le sujet de la danse - et le rappel de l'amitié entre ces artistes et des danseuses comme Isadora Duncan et Loïe Fuller. Des petites figurines bondissantes, torturées, inachevées, brutes, qui donnent l'impression de s'envoler, très joliment mises en perspective avec les dessins et les découpages de Rodin.



- de beaux dessins et quelques lithographies : Rodin, académique et érotique, Matisse, plus léger et plus sensuel.

- les quatre impressionnants panneaux de bronze de Matisse, représentant un nu féminin de dos, de plus en plus stylisé. On pense à la monumentalité des statues préhistoriques de Filitosa, c'est très troublant.





Après, c'est vous qui voyez, mais normalement, maintenant que vous avez lu ça, vous pouvez vous en dispenser avec la conscience tranquille. Vous venez d'économiser huit euros cinquante, merci qui ?

vendredi 16 octobre 2009

(N') allez (pas forcément) voir "L'âge d'or hollandais" à la Pinacothèque de Paris.

Mercredi, j'ai de nouveau débauché ma copine Sémiramis pour qu'elle quitte son bureau entre midi et deux et qu'elle vienne voir l'exposition de la Pinacothèque de Paris, consacrée à la peinture de l'"âge d'or" hollandais, au XVIIe siècle. Du Rembrandt, du Vermeer, voilà qui semblait prometteur.

N'y allez pas, si :

- le mot de "tolérance", répété à tort et à travers, vous donne envie de sortir votre batte de base-ball.

- vous vous attendez à voir du grand tableau de maître. L'exposition annonce fièrement son ambition de replacer Rembrandt et Vermeer dans le contexte de la peinture hollandaise du XVIIe siècle, en montrant aussi bien leur influence que leur place à part. Malheureusement, des Vermeer et des Rembrandt, il y en a autant que mes doigts de pieds (une dizaine, donc, en gros), et même pas des majeurs. Pas des croûtes non plus, bien sûr, mais tout de même. Frustrant.

- si vous êtes un tant soit peu amateur de géographie historique, et que ça vous tape sur les nerfs qu'on parle de "Hollande" en lieu et place des Provinces-Unies. Rogntudju. Oui oui, c'est de l'élitisme, tout à fait.

- si vous êtes un tant soit peu historien et que ça vous gonfle, les lieux communs sur la "liberté en Hollande, vu que les gens étaient hyper tolérants", alors qu'ailleurs l'Inquisition brûlait des milliards de gens, c'est bien connu.

- si la peinture animalière, c'est moyen votre truc. Et que les tableaux de Paulus Potter, dont le sujet de prédilection est la gent bovine, vous laissent relativement froid - entre nous soit dit, je n'ai jamais compris comment diable on pouvait s'intéresser aux vaches (sauf sur Farmville, mais c'est une autre histoire).

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Paulus Potter, Le jeune taureau - un effet boeuf, hahaha.
Notez, c'est son plus connu et il n'y est même pas.

- si vous n'aimez pas les expositions au tarif prohibitif limitant l'entrée aux rombières sans-gêne, friquées et emperlouzées, dont l'unique but dans la vie semble être de vous filer des coups de coude en râlant parce que vous bouchez prétendûment la vue sur un objet, et de se coller devant un tableau jusqu'à ce que, lassé d'attendre son départ, vous passiez dans la salle d'à côté.

Allez-y tout de même si

- vous avez dix euros à perdre (mais dix euros pour une expo, ça va pas la tête non plus ?)

- si vous voulez une petite cure de peinture lumineuse, ou si vous êtes historien et que l'histoire du paysage, ça vous branche. Effectivement, les maîtres hollandais du XVIIe siècle, c'est pas Poussin non plus. N'empêche qu'il y a un portrait de David (ou de Salomon... enfin un type biblique) frappé d'une lumière dorée à se rouler par terre. Des paysages de campagne enneigée à vous couper le souffle, des moulins baignés d'or. Tout ça vaut largement le détour - la salle consacrée à la représentation picturale de la ville est moins bluffante, à mon sens.

- si vous aimez les portraits de riches types du XVIIe siècle. Quelques très beaux spécimen, avec manchettes de dentelle. Je crois que ce que je préfère dans le XVIIe siècle, finalement, ce sont les manchettes de dentelle, douces, nobles et mystérieuses.

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Vermeer, La lettre d'amour.
Bon, des Vermeer, y'en a deux en tout, mais celui-là est bien quand même.

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Franz Hals, Portrait de Pieter Van den Broecke.
Ces dentelles, Seigneur...

Cette critique étant très pondérée, dans le plus pur style social-démocratie, je m'arrête là et conclus sur le mode "débrouillez-vous" en vous disant de vous décider tout seuls comme des grands.

mercredi 7 octobre 2009

Le XVIIe siècle en film. 4. L'Homme au masque de fer (Randall Wallace, 1998).


En fait, les gens, vous aimez que je raconte des vacheries. Moi aussi, mais comme je le disais lundi, je l'assume très mal (comme Loth d'Orcanie dans Kaamelott : "mais sire, vous n'êtes pas avide de pouvoir ? - Si, mais je l'assume très mal".). Ce qui ne m'empêche pas de le faire avec plaisir.

Notre sujet d'étude sera donc, à la demande générale : L'homme au masque de fer, sorti sur les écrans de France et de Navarre en 1998. L'histoire, très librement inspirée de Dumas et de l'histoire de France vue par un américain pas très cultivé, se résume en deux coups de cuillères à pot : Louis XIV, jeune roi de France, est très très méchant. Dark Vador D'Artagnan, qui est son père (on l'apprend à la fin mais on a compris en deux minutes, n'allez pas dire que je casse le suspinse), rassemble ses copains Athos, Porthos et Aramis, pour monter un complot et substituer au méchant roi son gentil petit frère jumeau, Philippe, enfermé dans une prison très, très glauque (il ne voit même pas la lune en entier, et les rats lui boulottent son quatre heures, c'est dire s'il n'a pas de bol) par son très, très méchant frère. Au début, les mousquetaires sont moyennement d'accord, puis ils acceptent parce qu'ils en ont marre que Louis XIV soit un gros salaud.

Au milieu, le méchant roi saute deux ou trois demoiselles de la cour, dont Judith Godrèche, et fait tourner en bourrique sa maman, Anne d'Autriche - c'est Anne Parillaud, qui a de beaux yeux bleus et pas une ride, et donc incarne assez mal une reine de France âgée de plus de soixante ans. Mais à la fin, ça se termine bien puisqu'après une bataille finale (pif ! pif ! boum ! boum ! tchaf, tchaf !), le méchant roi est remplacé par son gentil frère, et la France est sauvée, brave gens.

L'histoire vu par Randall Wallace, c'est rigolo, ça permet deux-trois scènes de porno soft (on ne mesure pas assez le potentiel érotique du jupon à cerceau, du sein comprimé dans un corps de jupe, et du lit à baldaquin), on peut raconter n'importe quoi parce que c'était il y a longtemps, et puis on peut jouer à rendre moche des acteurs canons, en leur graissant les cheveux et en leur collant une barbiche clairsemée. Sur l'affiche, ça donne ça - et ça fait très peur :

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On note aussi l'usage abusif du costume à trous et du chapeau fatigué, genre
"héros malmené par la vie".



On reconnaît donc les trognes d'excellents acteurs dont on se demande bien ce qui leur a pris d'accepter un tel rôle : John Malkovich en Athos, Gabriel Byrne en d'Artagnan, Jeremy Irons en Aramis, et notre Gégé national en Porthos. Plutôt pas idiot, comme casting, quand on y réfléchit.

Il y a aussi Léo. Ah, Léo, qui vient alors d'accéder au rang de star avec l'innénarrable Titanic. Léo, excellent acteur quand il est bien dirigé. Léo qui, du reste, se tire plutôt honorablement du double rôle qu'on lui a attribué (Louis XIV et son frère jumeau). On salue du reste la performance. Yantôt pervers sadique et despotique, tantôt gentil couillon faisant son apprentissage de la vie, il parvient à incarner pas trop mal les deux personnages, et évite le ridicule complet, alors qu'on lui a manifestement dit : "quand tu fais le méchant roi, tu fronces les sourcils et tu pinces la bouche, quand tu fais le gentil couillon, tu ouvres grand les yeux et tu prends l'air ahuri de la baleine qui a trouvé un pinceau à blush".


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Là, par exemple, il prend l'air couillon puisqu'il est en mode "gentil".



Il y a encore quelques bons éléments, malheureusement gâchés par une caméra agitée : le choix de Vaux-le-Vicomte et du Vieux Mans comme lieux de tournage - tout le monde n'est pas Sofia Coppola pour se payer Versailles, bande de snobs, en plus, au moment où se déroule l'intrigue, Versailles n'existe pas encore.


Une fois qu'on a fait le tour des points positifs, on reste quand même assez consterné par le film. Passons sur les libertés prises avec l'histoire. D'habitude, je suis plutôt bon public et je ne râle pas trop devant les aberrations historiques. On pardonnera aussi à Randall Wallace de ne pas avoir lu le bouquin définitif de Jean-Christian Petitfils, résolvant la question du masque de fer, paru en 2003, mais plus difficilement de faire par exemple disparaître Philippe, duc d'Orléans, petit frère de Louis XIV. Tout bêtement. Hop là, à la trappe. Plus difficilement aussi, de faire coucher Anne d'Autriche avec d'Artagnan, parce que déjà, l'infante d'Espagne et reine de France ne se serait jamais abaissée à se laisser toucher par un inférieur, ensuite parce que même chez Dumas, Anne d'Autriche, c'est justement l'antithèse de la femme faible et gouvernée par ses sens. Anne d'Autriche, c'est la dignité même. La voir, dans ce film, chouiner, pleurnicher, glapir, c'est un vrai crève-coeur.


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Elle pète quand même bien le feu pour une sexagénaire.
On note encore quelques éléments érotico-historico-kitsch : le cuir noir et la rose rouge, wahou.



Tout aussi terrible est le ratage complet des rôles de nos vieux mousquetaires : Dipardiou-Porthos sur le mode 'pipi-caca-valseuses à l'air" (hahaha), Aramis en crypto-jésuite un peu perfide mais pas trop (hohoho), Athos en vieux schnock rabâcheur et rabat-joie... Pffff...


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Et là, ils se déguisent. Scène bouffonne. Qu'est-ce qu'on se marre.



On soulignera également l'extrême laideur des costumes, et leur côté extrêmement toc. On se désole devant la coiffure ridicule de Léo, sans perruque à boucles (dommage, c'eût été marrant) mais coiffé comme une jeune fille de pensionnat, les cheveux lissés aux plaques en céramiques et sagement peignés.

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On s'affligera enfin de la conclusion : le méchant va en prison et le gentil monte sur le trône, et "il apporta pain, paix et prospérité à son peuple". Pan dans les dents. Avec un roi de scénario pareil, on se demande comment ça se fait que la révolution ne soit arrivée qu'au siècle suivant.


Vous l'aurez compris, on a du mal à tirer quoi que ce soit de ce film : l'histoire est seulement prétexte à raconter n'importe quoi, sur le mode du "on s'en fout, c'était au temps des rois, ça passera toujours".
"Au temps des rois". Vous trouvez ça dans les mauvaises copies de lycées. Le "temps des rois", c'était avant, quand le monde allait mal et que les joies de la République n'avaient pas été inventées. Le temps des rois, c'est un vaste gloubiboulga de sang, de sexe, de bûchers et de meurtres dont sont responsables les monarques et l'Inquisition, qui étaient des gens très très méchants, avides de pouvoir - et le pouvoir était corrupteur, avant, tout le monde sait ça. La preuve, c'est que Louis XIV était un monarque "absolu", hein ? La preuve, il pousse une malheureuse jeune fille au suicide et il fait enfermer en prison son gentil frère jumeau qu'avait rien demandé à personne. Quand on vous dit que les rois étaient très, très méchants. C'est limite s'ils ne devaient pas faire égorger cinq types par jour pour agrémenter leur petit-déjeuner.

Au-delà du côté légèrement ridicule de ce film, ce qui me fait sortir de mes gonds, c'est le tableau affreusement crétin, naïf et manichéen qui est fait du XVIIe siècle. Sous prétexte que "c'était il y a longtemps", on raconte les pires âneries en faisant semblant d'ignorer que l'histoire, c'est quand même des gens derrière, pas une abstraction.



Groumph.


samedi 5 septembre 2009

Quand le passé nous rattrape.

Nous sommes modernes et avides de nouvelles technologies. Nous avons balancé nos vieux walkmans, compagnons de voyages en voiture avec papamaman pour aller voir - ô ténèbres de l'ennui - tante Marie-Bénédicte à Saint Bouzieux le Haut. Nous avons un lecteur MP3 grâce auquel nous nous bouchons discrètement les oreilles pour éviter de nous farcir à chaque station de métro Un amour de Saint Jean interprété de façon approximative par tous les types qui font la manche dans la caverne de la RATP.

Pourtant, le passé frappe à nos portes. Au moment le plus inattendu.

C'est-à-dire, quand le curé qui recevra nos consentements énamourés et plein de désirs d'avenir (Ségo sors de ce corps) nous déclare, à Chéri et à moi, que "la musique d'entrée et de sortie de la cérémonie, il faudra l'apporter sur une cassette, avec une petite étiquette dessus".

Oh. Chéri et moi échangeons un regard affolé. À la sortie du presbytère, une question s'échappe de nos lèvres : "on a ça, nous ? - non, hein ?".

Si nous persistons à vouloir passer de la jolie musique (du Rameau et du Mozart) et faire de cet instant le moment le plus hype de notre vie, nous devons trouver

- un lecteur de CD (pas l'ordinateur et sa collection de MP3 honteusement téléchargés, copiés, piratés).

- des cassettes audio (alors que ça doit faire bien sept ou huit ans que personne n'en a vu l'ombre de la queue d'une)

- un appareil qui lise CD et cassettes audio, et qui marche. Le plus dur.

Je déclare à Chéri, avec toute la mauvaise foi qui m'est coutumière, que c'est de sa faute, qu'il m'a obligée à jeter mon vieux lecteur qui, j'en suis sûre, avec deux ou trois coups de latte, se serait remis à marcher.


Devant son air dubitatif, je me résouds à envoyer un courriel aux amis, en leur demandant s'ils sont en possession d'une telle bestiole, moyennant offrande de chocolats. Les réponses fusent :

- J'en ai un, mais je ne sais pas s'il marche.

- J'en avais un, mais je l'ai jeté

- J'en ai un, mais la platine CD est récalcitrante.

- J'en ai un, chez ma grand-mère.

- J'en ai pas, mais c'est rigolo comme idée vintage.

- J'en ai pas, mais je veux bien le chocolat.

- Et pourquoi vous vous payez pas Les Musiciens du Louvre de Marc Minkowski ?

Le tout jusqu'à ce qu'une âme charitable signale qu'elle détient un truc de la sorte chez elle, et que ça marche, sans garantie, mais on peut toujours essayer. On essaiera.

Reste à trouver des cassettes.

Des cassettes. Seigneur.

Je me dirige droit vers la Fnac de la rue de Rennes, persuadée d'essuyer les quolibets des vendeurs. Au demeurant, je suis blindée depuis la fois où, l'an passé, j'ai porté le magnétoscope de papamaman chez le réparateur ("mais ma brave dame, vous connaissez le lecteur DVD ? - oui mais ma collection de films des années 40, elle est sur cassettes vidéo enregistrées au Cinéma de minuit, pauvre type").

Je vous passe les remarques, les allers-retours d'un vendeur à l'autre. Je vous passe même l'expression de celui qui ne savait pas ce qu'était une cassette. C'était un petit stagiaire d'environ 17 ans. À ce moment que je me suis sentie très, très vieille et très, très lasse.

La comédie a duré jusqu'à ce que le chef de l'étage multimédia se résolve à aller faire de la spéléologie dans le magasin et revienne, triomphalement, avec un petit paquet à la main.

Des cassettes. Avec leur petite bande qu'on pouvait enrouler et dérouler au doigt, et qui, lorsqu'elle se défaisait, pouvait être l'origine d'un drame. Avec leur petit air désuet. J'entendais déjà les petits défauts de la bande-son, le "clac" qu'on entendait lorsqu'on avait lancé l'enregistrement d'une chanson qu'on aimait bien et qui passait à la radio, pratiquant le piratage alors qu'on ne savait même pas que cela existait et qu'Hadopi n'avait pas encore été inventée pour tous nous liberticider.

Toute mon adolescence ingrate m'est revenue à la figure. Les cassettes, c'est la découverte de Dire Straits et de Bruce Springsteen, de La Fabrique de l'Histoire sur France Culture, et des enregistrements du Masque et la Plume que je ne pouvais rater sous aucun prétexte. Le walkman écouté dans le noir à des heures indues, où l'on essayait d'appuyer les boutons le plus discrètement possible afin que le clicclac de l'enclanchement ne réveillât point la vigilance parentale. Des cassettes précieusement engrangées dans le tiroir de la table de nuit de ma chambre d'enfant, où elles doivent encore m'attendre sans le moindre espoir de servir encore, puisque ce vieux walkman, lui, a disparu.

Sur le chemin de la maison, j'ai eu treize ans. À l'arrivée, j'ai pris un goûter, de la grenadine et des biscuits en dinosaures au chocolat.

(En passant : merci à tous ceux qui ont répondu, favorablement ou non d'ailleurs, à ma requête via courriel. J'ai eu des tas de propositions gentilles pour des prêts de chaînes ou de lecteurs divers et variés, en plus des bonnes tranches de rigolades à lire certaines réponses. Vous êtes chous, je danse la vie, je chante la vie, je ne suis qu'amour).

mercredi 2 septembre 2009

Le XVIIe siècle en film. 3. Tous les matins du monde d'Alain Corneau, 1991.


"Tous les matins du monde sont sans retour". La couleur - noir janséniste - est annoncée dès le titre. Monsieur de Sainte-Colombe a perdu son épouse, lui laissant deux filles, Madeleine et Toinette. La famille vit dans un manoir froid et austère, retirée à la campagne, loin des fastes de la Cour. Monsieur de Sainte-Colombe sent du reste un peu le soufre : proche de Port-Royal, il est un opposant à la fois politique et religieux. Compositeur prolifique pour viole de gambe, il noie son chagrin de veuf dans la musique, se rapprochant ainsi de sa défunte femme.

Arrive le jeune Marin Marais, musicien ambitieux, qui veut apprendre l'essence de la musique auprès du maître. Fringant jeune homme, il en profite pour séduire la fille aînée, Madeleine, puis l'abandonne lorsque sa carrière le rapproche de la Cour

Admirable réussite que ce film (le livre de Pascal Quignard, qui a participé au scénario, est fort bien également, notez). Bien que l'élément principal en soit la musique, la première chose qui frappe, c'est le silence et les prestations muettes des acteurs : rigueur réfrigérante et deuil chez Monsieur de Sainte-Colombe interprété par Jean-Pierre Marielle, candeur et fragilité d'Anne Brochet (Madeleine), ambition et sensibilité de Marin Marais (le regretté Guillaume Depardieu). La bonne idée, c'est aussi de laisser parler la musique (Corneau est grand amateur de musique baroque et cela se voit), et de rentre hommage, par un splendide travail sur l'image, à la peinture en clair-obscur du XVIIe siècle. Les couleurs saturées et la profondeur de champ rappelle par exemple l’esthétique des vanités.

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J'ai d'ailleurs toujours été persuadée que le XVIIe siècle, même celui de la Cour, était silencieux. Les gens ne se racontaient pas. Ni par écrit, ni dans leurs conversations. Pour avoir lu, à des fins de thèse, deux dizaines de milliers de lettres du temps de Louis XIII, je peux vous le confirmer. Ce siècle n'est pas celui de l'émotion ni du sentiment : cela viendra plus tard, au temps des Lumières et du bon Jean-Jacques. La discipline du corps et de l'esprit interdisait alors l'épanchement, considéré comme de la sensiblerie. Certes, même le roi pouvait pleurer en public. Mais la psychologie de la parole libératrice n'avait pas encore été inventée. Alors, on se taisait. On se réfugiait dans le silence du couvent, d'un manoir solitaire, des abîmes de la méditation.

Les jansénistes, l'office des Ténèbres du jeudi, la musique salvatrice et le souvenir. "Douze ans ont passé et les draps de notre lit ne sont pas encore froids". Peut-on faire plus belle déclaration d'amour ?

Le film s'ouvre sur le visage de Marin Marais âgé, qui se rappelle peut-être, devinerons-nous, ses années d'apprentissage et d'amourette, mais aussi le remord d'avoir poussé au suicide la jeune fille qui l'aimait. Le visage de Marais est poudré, fardé, emperruqué. Un masque qui cache tout, qui interdit de savoir ce qu'il y a dans la tête et dans le coeur. Marais se tait. Plongé dans sa méditation, il essaie d'échapper au bruit de ses élèves musiciens qui l'entourent. Il ne dira rien des regrets et de la culpabilité qui le ronge. "Marin Marais fait sa leçon !". The show must go on, pourrait-on ajouter.

Le film repose ainsi sur deux prestations superbes, celles de Jean-Pierre Marielle et d'Anne Brochet. Le père qui cache sa douleur d'être veuf, et qui ne saura pas empêcher sa fille de se laisser mourir. La fille séduite et délaissée, aux yeux bleus démesurément agrandis par la souffrance amoureuse qui la ronge. Il n'y a pas de "travail de deuil" de l'amour ou de la mort au XVIIe siècle. L'on souffre en silence et l'on continue de vivre - ou pas. Les blessures et les obsessions ne sont jamais dites.

La vie de Sainte-Colombe est aussi celle d'un refus absolu du monde, de ses corruptions, de ses compromis. Le veuf a définitivement renoncé à la Cour et à ses pompes. Vêtu de noir, à l'ancienne, vivant à la campagne loin de la société élégante, il s'oppose à l'ambitieux Marais, qui veut devenir musicien non pour lui mais pour le public, non pour l'art mais pour la gloire. Marais est vêtu selon la nouvelle mode, il portera plus tard l'habit de cour, rubans et perruque bouclée à la clef.

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Marais préfère les salons de Versailles, lieu d'agitation et de vie, à la solitude d'une mare et de la cabane où Sainte-Colombe trouve la sérénité et l'insipration musicale qui lui permet de retrouver sa femme. Marais est du côté de la vie, de l'action, tandis que Sainte-Colombe est tourné vers la mort qui fait intimement partie de la vie - thème par excellence de l'époque baroque. Ce n'est que dans sa vieillesse que Marais souhaitera lui aussi échapper à la Cour mais il est trop tard, il est condamné à se taire et à mener la dure vie de courtisan.

(Qualité médiocre, qui devrait vous inciter à acheter le DVD, et toc).

L'un des noeuds de la compréhension du XVIIe siècle réside là, à mon humble avis. Dès les années 1620 par exemple, La Mothe Le Vayer évoque la nécessité pour l'homme d'échapper à « l'air contagieux qu'on respire dans la conversation des hommes de ce siècle ». Une tradition éthique et politique avait précédemment mis en valeur la participation active à la vie publique, dans laquelle la prise de responsabilités publiques pouvait être la forme la plus complète de la moralité. Cependant, les moralistes reviennent sur cette idée : la pensée du XVIIe siècle voit en effet l'émergence d'une attitude de méfiance quant à la possibilité d'une valeur morale de l'expérience du siècle. Cela débouche sur une série d'affirmations et de lieux communs, qui justifient le désengagement politique et social. Les prises de positions jansénistes recoupent cette pensée. L'idéal dévot et politique des personnages appartient résolument au passé, tandis que leur austérité et son aspiration à la fuite du monde sont résolument des éléments de nouveauté qui caractérisent le XVIIe siècle.

Cette scène, où Sainte-Colombe assiste, impuissant, à l'agonie de sa fille (mais refuse de lui jouer l'air anciennement composé par son amant), et où Marais refuse dans un premier temps d'aller voir Madeleine mourante, souligne de façon magistrale l'opposition entre les lieux de la cour et du manoir où vit le gentilhomme janséniste.

Marais adulte, alors interprété par Depardieu père, nous montre un visage d'abord décidé, plein de l'autorité de l'homme qui a réussi et se fait respecter... pour se transformer en masque de remords trop tardifs. Pourtant, il continue de diriger l'orchestre royal. Tous les matins du monde sont sans retour, il est trop tard pour sauver Madeleine. Immense conflit intérieur entre les sirènes du pouvoir et le désir de solitude salvatrice. Mais toutes les grandes douleurs sont muettes et le combat est perdu d'avance. La musique seule apportera une consolation en faisant taire le bruit et la fureur des hommes pour élever leur âme. Marais retrouvera la sérénité en jouant l'air qu'il avait composé pour son premier amour pour en honorer la mémoire.

samedi 29 août 2009

Un village Français, un vrai ?





Mardi dernier je suis arrivée chez papamaman avant de convoler en justes noces, ma mère était en train de regarder la télé, et plus précisément Un village français, la dernière production estampillée série-culture-pour-les-nuls de la télévision française. Le concept, pour ceux qui n'ont pas Télérama (alors que moi, si) : décrire la vie d'un petit village bien d'chez nous dans la cambrousse (vallons boisés, petit ruisseau, chemins de traverse et sangliers) pendant l'Occupation, cette période fascinante que Desproges appelait "l'amitié franco-allemande".

Alors il y a les très, très gentils résistants qui font ça pour l'amour de la patrie. Ceux-là sont jeunes (ou très vieux et barbus), communistes donc rejetés de leur papa (futur collabo-salaud), sont souvent des femmes. Mais - feinte du scénario - il y a aussi les résistants moyens gentils, ceux qui piquent les poules de ma mère Michu, et la mère Michu, elle est pas contente, alors elle va les dénoncer aux Allemands, mais après tout, ils l'avaient peut-être mérité (enfin j'en sais rien, j'ai pas tout regardé non plus). Ceux-là sont en général des résistants qui font ça pour l'amour de la Patrie, comme les autres, sauf qu'ils ne sont pas communistes.

Il y a les méchants collabos, dénonceurs de juifs. La grande majorité du village. Rien à signaler, je vous rappelle que c'est les heures les plus sombres de notre histoire.

Il y a les Justes, surtout des femmes, qui font passer des Juifs en zone libre. En général, ils finissent rarement l'épisode, tombant aux mains des méchants chleuh (cf. infra), dénoncés par les méchants collabos (cf. supra).

Il y a les méchants chleuh, blonds, maigres, en général borgnes (les plus méchants), sadiques patentés, qui passent l'essentiel de leurs journées à torturer du monde. Encore une fois, je n'ai pas regardé tous les épisodes, mais à mon avis, dans le tas, il y a sûrement un gentil chleuh dont va tomber l'une des filles qui s'occupe de faire passer des Juifs en zone libre, et même que ça va faire du dilemme cornélien.

Les autres sont "à l'heure du choix" en se demandant s'il est opportun de virer ou non la domestique juive en l'accusant d'avoir piqué les tickets de pain.

Pour tout vous dire, ces fictions sur la Seconde Guerre mondiale, ça me sort par les yeux. Je n'en peux plus de ces reconstitutions à coup de cheveux crantés et de chapeaux en feutre, de bretelles et d'étoiles jaunes. Je n'en peux plus d'entendre répéter que "tout n'est pas blanc, tout n'est pas noir, mais quand même les Français ont globalement tous été des gros salauds".

Je n'en peux plus de ces putassières scènes de torture, lors desquelles les réalisateurs d'aujourd'hui en rajoutent dans le gore en prenant soin de tout filmer. Plus c'est horrible, mieux c'est : si c'est une femme jeune et jolie, c'est encore mieux. On la verra se faire aisément arracher les ongles, être brûlée au visage par un cigare nazi ou se faire lacérer à coup de verre cassé.

Je n'en peux plus de ce manichéisme mal dissimulé sous l'apparente volonté de montrer des "personnages à la conscience torturée".

Je n'en peux plus de cette manière larmoyante et crétine d'évoquer la Shoah, de présenter les Juifs comme des moutons allant à l'abattoir.

Bref, j'ai tenu une demi-heure (faut pas mourir idiot) devant cette débilité télévisuelle et je suis montée pour relire les vieux Pilote de mon père.

jeudi 20 août 2009

L'expérience de la mélancolie - Lérins, 2.


Nous étions aux abords de tour fortifiée destinée à servir de refuge aux moines.

Il y a quelque chose d'assez drôle dans cette tour, organisée comme n'importe quel monastère, avec cloître, salle capitulaire, scriptorium, réfectoire, église abbatiale, dortoirs... mais sur la hauteur. Des chapiteaux décorés, des colonnes, des voûtes gothiques, tout l'attirail du monastère qui se respecte. Sauf qu'on est entre des murs énormes, destinés à résister aux boulets de canon.

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Les colonnes de la salle capitulaire, vues du cloître.

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Entre ces murs énormes, il fait frais, calme. Il est assez drôle d'imaginer les moines au premier étage en plein chapitre, les soldats sur la terrasse en haut en train de surveiller la mer... deux types d'hommes qui devaient plus ou moins bien cohabiter.

Si le monastère a plutôt bien résisté aux Sarrasins et un peu moins bien aux soudards préposés à sa défense au XVIIe siècle, la Révolution a presque réussi à avoir raison de lui. Acheté par un type qui fit de la bibliothèque une carrière de pierres, revendu à une actrice qui en fit sa demeure de villégiature, le monastère est couvert de plaies pansées par Prosper Mérimée à la moulinette néo-gothique duquel il fut passé.

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Ce qui reste de la bibliothèque... une énorme plaie dans le ventre de la tour.

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Par exemple, Mérimée a eu une idée, il a rajouté un faux clocher, parce qu'il trouvait que ça faisait plus tour que monastère, sans ça.
Personne ne lui a dit que justement, si ça se trouve, c'était fait exprès.

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Les baies de l'église abbatiale.



Et quand ou vous dit qu'on pouvait surveiller de loin le perfide Sarrasin ou l'infâme Espagnol...
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Et voir la mer - ou tirer sur l'assaillant ?




Puis l'île a été rendue aux moines, à leurs vignes et à leurs oliviers. Aux serpents et aux faisans.
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La "nouvelle" église abbatiale (années 1930).


Il ne me reste qu'à vous souhaiter de pouvoir vous y rendre, d'assister à l'office des moines, de vous imaginer en abbé constructeur du XIe siècle, en Sarrasin conquérant, en soldat du roi Louis XIII... Je vous laisse aussi deviner quel personnage je me suis choisi.


mercredi 19 août 2009

L'expérience de la mélancolie - Lérins, 1.

Les îles de Lérins, en face de Cannes, sont de vieilles amies d'enfance. Il se trouve que nous avons des cousins qui vivent dans l'aimable cité festivalière et que, quand nous allons les voir, et ce depuis toujours, il est de coutume d'aller faire une excursion sur les îles de Lérins, Sainte Marguerite et Saint Honorat.

J'ai toujours eu une préférence pour Saint Honorat, terre des moines depuis l'antiquité, plutôt que pour Sainte Marguerite, plus grande et plus amène mais envahie de touristes gras et suintants.

Lorsque saint Honorat, au IVe siècle, s'est installé sur l'île, on comprend qu'il était tout sauf un imbécile - même s'il paraît que le coin était au départ infesté de serpents.

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Sur l'île, les moines sont seuls - avec quelques touristes et quelques personnes qui font des retraites. Tout séjour de plus d'une journée y est interdit. Le silence est la règle que les cigales sont les seules à ne pas respecter. Pour peu que l'on erre sur les sentiers qui font le tour de l'île, on sait alors ce qu'est l'essence du monachisme : le retrait du monde et la contemplation de la création.


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L'île est jalonnée de sept chapelles dont cinq sont encore debout et ne sont pas englouties par les oliviers qui poussent sauvagement. Réparties sur le pourtour de l'île, elles impriment la marque du sacré. Elles servent encore de lieu de retraite pour les moines désireux de se faire ermites quelques temps, mais sont aussi des lieux de processions et de pélerinage au cours de l'année liturgique.

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Ce lieu de prière n'a pourtant pas eu de chance : convoité par les Sarrasins au Moyen-âge, puis par les Espagnols pendant la guerre de Trente ans, il a aussi connu la destruction et la mort. Aussi les moines construisirent un monastère fortifié sur la presqu'-île tournée vers le large. Tour imposante, presque incongrue. Refuge des moines en cas d'attaque, mais aussi tour de garnison pour les soldats du XVIIe siècle.

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Cette tour est à la fois superbe et déplacée. Énorme, margnifique, trop grosse pour ce petit sanctuaire, et pourtant nécessaire à sa survie lorsqu'un navire de guerre s'approchait.


Demain, nous entrerons dedans...