samedi 5 septembre 2009

Quand le passé nous rattrape.

Nous sommes modernes et avides de nouvelles technologies. Nous avons balancé nos vieux walkmans, compagnons de voyages en voiture avec papamaman pour aller voir - ô ténèbres de l'ennui - tante Marie-Bénédicte à Saint Bouzieux le Haut. Nous avons un lecteur MP3 grâce auquel nous nous bouchons discrètement les oreilles pour éviter de nous farcir à chaque station de métro Un amour de Saint Jean interprété de façon approximative par tous les types qui font la manche dans la caverne de la RATP.

Pourtant, le passé frappe à nos portes. Au moment le plus inattendu.

C'est-à-dire, quand le curé qui recevra nos consentements énamourés et plein de désirs d'avenir (Ségo sors de ce corps) nous déclare, à Chéri et à moi, que "la musique d'entrée et de sortie de la cérémonie, il faudra l'apporter sur une cassette, avec une petite étiquette dessus".

Oh. Chéri et moi échangeons un regard affolé. À la sortie du presbytère, une question s'échappe de nos lèvres : "on a ça, nous ? - non, hein ?".

Si nous persistons à vouloir passer de la jolie musique (du Rameau et du Mozart) et faire de cet instant le moment le plus hype de notre vie, nous devons trouver

- un lecteur de CD (pas l'ordinateur et sa collection de MP3 honteusement téléchargés, copiés, piratés).

- des cassettes audio (alors que ça doit faire bien sept ou huit ans que personne n'en a vu l'ombre de la queue d'une)

- un appareil qui lise CD et cassettes audio, et qui marche. Le plus dur.

Je déclare à Chéri, avec toute la mauvaise foi qui m'est coutumière, que c'est de sa faute, qu'il m'a obligée à jeter mon vieux lecteur qui, j'en suis sûre, avec deux ou trois coups de latte, se serait remis à marcher.


Devant son air dubitatif, je me résouds à envoyer un courriel aux amis, en leur demandant s'ils sont en possession d'une telle bestiole, moyennant offrande de chocolats. Les réponses fusent :

- J'en ai un, mais je ne sais pas s'il marche.

- J'en avais un, mais je l'ai jeté

- J'en ai un, mais la platine CD est récalcitrante.

- J'en ai un, chez ma grand-mère.

- J'en ai pas, mais c'est rigolo comme idée vintage.

- J'en ai pas, mais je veux bien le chocolat.

- Et pourquoi vous vous payez pas Les Musiciens du Louvre de Marc Minkowski ?

Le tout jusqu'à ce qu'une âme charitable signale qu'elle détient un truc de la sorte chez elle, et que ça marche, sans garantie, mais on peut toujours essayer. On essaiera.

Reste à trouver des cassettes.

Des cassettes. Seigneur.

Je me dirige droit vers la Fnac de la rue de Rennes, persuadée d'essuyer les quolibets des vendeurs. Au demeurant, je suis blindée depuis la fois où, l'an passé, j'ai porté le magnétoscope de papamaman chez le réparateur ("mais ma brave dame, vous connaissez le lecteur DVD ? - oui mais ma collection de films des années 40, elle est sur cassettes vidéo enregistrées au Cinéma de minuit, pauvre type").

Je vous passe les remarques, les allers-retours d'un vendeur à l'autre. Je vous passe même l'expression de celui qui ne savait pas ce qu'était une cassette. C'était un petit stagiaire d'environ 17 ans. À ce moment que je me suis sentie très, très vieille et très, très lasse.

La comédie a duré jusqu'à ce que le chef de l'étage multimédia se résolve à aller faire de la spéléologie dans le magasin et revienne, triomphalement, avec un petit paquet à la main.

Des cassettes. Avec leur petite bande qu'on pouvait enrouler et dérouler au doigt, et qui, lorsqu'elle se défaisait, pouvait être l'origine d'un drame. Avec leur petit air désuet. J'entendais déjà les petits défauts de la bande-son, le "clac" qu'on entendait lorsqu'on avait lancé l'enregistrement d'une chanson qu'on aimait bien et qui passait à la radio, pratiquant le piratage alors qu'on ne savait même pas que cela existait et qu'Hadopi n'avait pas encore été inventée pour tous nous liberticider.

Toute mon adolescence ingrate m'est revenue à la figure. Les cassettes, c'est la découverte de Dire Straits et de Bruce Springsteen, de La Fabrique de l'Histoire sur France Culture, et des enregistrements du Masque et la Plume que je ne pouvais rater sous aucun prétexte. Le walkman écouté dans le noir à des heures indues, où l'on essayait d'appuyer les boutons le plus discrètement possible afin que le clicclac de l'enclanchement ne réveillât point la vigilance parentale. Des cassettes précieusement engrangées dans le tiroir de la table de nuit de ma chambre d'enfant, où elles doivent encore m'attendre sans le moindre espoir de servir encore, puisque ce vieux walkman, lui, a disparu.

Sur le chemin de la maison, j'ai eu treize ans. À l'arrivée, j'ai pris un goûter, de la grenadine et des biscuits en dinosaures au chocolat.

(En passant : merci à tous ceux qui ont répondu, favorablement ou non d'ailleurs, à ma requête via courriel. J'ai eu des tas de propositions gentilles pour des prêts de chaînes ou de lecteurs divers et variés, en plus des bonnes tranches de rigolades à lire certaines réponses. Vous êtes chous, je danse la vie, je chante la vie, je ne suis qu'amour).

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