samedi 29 août 2009

Un village Français, un vrai ?





Mardi dernier je suis arrivée chez papamaman avant de convoler en justes noces, ma mère était en train de regarder la télé, et plus précisément Un village français, la dernière production estampillée série-culture-pour-les-nuls de la télévision française. Le concept, pour ceux qui n'ont pas Télérama (alors que moi, si) : décrire la vie d'un petit village bien d'chez nous dans la cambrousse (vallons boisés, petit ruisseau, chemins de traverse et sangliers) pendant l'Occupation, cette période fascinante que Desproges appelait "l'amitié franco-allemande".

Alors il y a les très, très gentils résistants qui font ça pour l'amour de la patrie. Ceux-là sont jeunes (ou très vieux et barbus), communistes donc rejetés de leur papa (futur collabo-salaud), sont souvent des femmes. Mais - feinte du scénario - il y a aussi les résistants moyens gentils, ceux qui piquent les poules de ma mère Michu, et la mère Michu, elle est pas contente, alors elle va les dénoncer aux Allemands, mais après tout, ils l'avaient peut-être mérité (enfin j'en sais rien, j'ai pas tout regardé non plus). Ceux-là sont en général des résistants qui font ça pour l'amour de la Patrie, comme les autres, sauf qu'ils ne sont pas communistes.

Il y a les méchants collabos, dénonceurs de juifs. La grande majorité du village. Rien à signaler, je vous rappelle que c'est les heures les plus sombres de notre histoire.

Il y a les Justes, surtout des femmes, qui font passer des Juifs en zone libre. En général, ils finissent rarement l'épisode, tombant aux mains des méchants chleuh (cf. infra), dénoncés par les méchants collabos (cf. supra).

Il y a les méchants chleuh, blonds, maigres, en général borgnes (les plus méchants), sadiques patentés, qui passent l'essentiel de leurs journées à torturer du monde. Encore une fois, je n'ai pas regardé tous les épisodes, mais à mon avis, dans le tas, il y a sûrement un gentil chleuh dont va tomber l'une des filles qui s'occupe de faire passer des Juifs en zone libre, et même que ça va faire du dilemme cornélien.

Les autres sont "à l'heure du choix" en se demandant s'il est opportun de virer ou non la domestique juive en l'accusant d'avoir piqué les tickets de pain.

Pour tout vous dire, ces fictions sur la Seconde Guerre mondiale, ça me sort par les yeux. Je n'en peux plus de ces reconstitutions à coup de cheveux crantés et de chapeaux en feutre, de bretelles et d'étoiles jaunes. Je n'en peux plus d'entendre répéter que "tout n'est pas blanc, tout n'est pas noir, mais quand même les Français ont globalement tous été des gros salauds".

Je n'en peux plus de ces putassières scènes de torture, lors desquelles les réalisateurs d'aujourd'hui en rajoutent dans le gore en prenant soin de tout filmer. Plus c'est horrible, mieux c'est : si c'est une femme jeune et jolie, c'est encore mieux. On la verra se faire aisément arracher les ongles, être brûlée au visage par un cigare nazi ou se faire lacérer à coup de verre cassé.

Je n'en peux plus de ce manichéisme mal dissimulé sous l'apparente volonté de montrer des "personnages à la conscience torturée".

Je n'en peux plus de cette manière larmoyante et crétine d'évoquer la Shoah, de présenter les Juifs comme des moutons allant à l'abattoir.

Bref, j'ai tenu une demi-heure (faut pas mourir idiot) devant cette débilité télévisuelle et je suis montée pour relire les vieux Pilote de mon père.

jeudi 20 août 2009

L'expérience de la mélancolie - Lérins, 2.


Nous étions aux abords de tour fortifiée destinée à servir de refuge aux moines.

Il y a quelque chose d'assez drôle dans cette tour, organisée comme n'importe quel monastère, avec cloître, salle capitulaire, scriptorium, réfectoire, église abbatiale, dortoirs... mais sur la hauteur. Des chapiteaux décorés, des colonnes, des voûtes gothiques, tout l'attirail du monastère qui se respecte. Sauf qu'on est entre des murs énormes, destinés à résister aux boulets de canon.

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Les colonnes de la salle capitulaire, vues du cloître.

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Entre ces murs énormes, il fait frais, calme. Il est assez drôle d'imaginer les moines au premier étage en plein chapitre, les soldats sur la terrasse en haut en train de surveiller la mer... deux types d'hommes qui devaient plus ou moins bien cohabiter.

Si le monastère a plutôt bien résisté aux Sarrasins et un peu moins bien aux soudards préposés à sa défense au XVIIe siècle, la Révolution a presque réussi à avoir raison de lui. Acheté par un type qui fit de la bibliothèque une carrière de pierres, revendu à une actrice qui en fit sa demeure de villégiature, le monastère est couvert de plaies pansées par Prosper Mérimée à la moulinette néo-gothique duquel il fut passé.

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Ce qui reste de la bibliothèque... une énorme plaie dans le ventre de la tour.

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Par exemple, Mérimée a eu une idée, il a rajouté un faux clocher, parce qu'il trouvait que ça faisait plus tour que monastère, sans ça.
Personne ne lui a dit que justement, si ça se trouve, c'était fait exprès.

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Les baies de l'église abbatiale.



Et quand ou vous dit qu'on pouvait surveiller de loin le perfide Sarrasin ou l'infâme Espagnol...
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Et voir la mer - ou tirer sur l'assaillant ?




Puis l'île a été rendue aux moines, à leurs vignes et à leurs oliviers. Aux serpents et aux faisans.
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La "nouvelle" église abbatiale (années 1930).


Il ne me reste qu'à vous souhaiter de pouvoir vous y rendre, d'assister à l'office des moines, de vous imaginer en abbé constructeur du XIe siècle, en Sarrasin conquérant, en soldat du roi Louis XIII... Je vous laisse aussi deviner quel personnage je me suis choisi.


mercredi 19 août 2009

L'expérience de la mélancolie - Lérins, 1.

Les îles de Lérins, en face de Cannes, sont de vieilles amies d'enfance. Il se trouve que nous avons des cousins qui vivent dans l'aimable cité festivalière et que, quand nous allons les voir, et ce depuis toujours, il est de coutume d'aller faire une excursion sur les îles de Lérins, Sainte Marguerite et Saint Honorat.

J'ai toujours eu une préférence pour Saint Honorat, terre des moines depuis l'antiquité, plutôt que pour Sainte Marguerite, plus grande et plus amène mais envahie de touristes gras et suintants.

Lorsque saint Honorat, au IVe siècle, s'est installé sur l'île, on comprend qu'il était tout sauf un imbécile - même s'il paraît que le coin était au départ infesté de serpents.

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Sur l'île, les moines sont seuls - avec quelques touristes et quelques personnes qui font des retraites. Tout séjour de plus d'une journée y est interdit. Le silence est la règle que les cigales sont les seules à ne pas respecter. Pour peu que l'on erre sur les sentiers qui font le tour de l'île, on sait alors ce qu'est l'essence du monachisme : le retrait du monde et la contemplation de la création.


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L'île est jalonnée de sept chapelles dont cinq sont encore debout et ne sont pas englouties par les oliviers qui poussent sauvagement. Réparties sur le pourtour de l'île, elles impriment la marque du sacré. Elles servent encore de lieu de retraite pour les moines désireux de se faire ermites quelques temps, mais sont aussi des lieux de processions et de pélerinage au cours de l'année liturgique.

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Ce lieu de prière n'a pourtant pas eu de chance : convoité par les Sarrasins au Moyen-âge, puis par les Espagnols pendant la guerre de Trente ans, il a aussi connu la destruction et la mort. Aussi les moines construisirent un monastère fortifié sur la presqu'-île tournée vers le large. Tour imposante, presque incongrue. Refuge des moines en cas d'attaque, mais aussi tour de garnison pour les soldats du XVIIe siècle.

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Cette tour est à la fois superbe et déplacée. Énorme, margnifique, trop grosse pour ce petit sanctuaire, et pourtant nécessaire à sa survie lorsqu'un navire de guerre s'approchait.


Demain, nous entrerons dedans...

samedi 15 août 2009

Le Corbeau du Connoly's corner

Passage des Patriarches, Paris Ve. Un mystérieux corbeau dénonce les pratiques sexuelles d'honnêtes citoyens. Cela nous renvoie aux heures les plus sombres de notre histoire.

Un cliché accablant.

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Oui, vous lisez bien - et avec une fautes d'orthographe - Francis se tape des cucurbitacés.



Voilà cinq ans que j'ai commencé à aller boire des pintes avec les copines au Connoly's corner. J'y ai toujours vu ce graffiti, écrit au bic sur les lambris des toilettes. J'en suis toujours autant par terre de rigolade.

Selon toute probabilité, il n'y a pas grand-chose à enquêter, sinon sur les méfaits de l'alcool qui pousse les gens, par frustration littéraire, à inscrire le fond de leur pensée sur les parois.




(Et bon 15 août. J'étais à la messe de ma paroisse à Paris, on a eu droit à la présence de l'évêque auxiliaire et à la lecture intégrale du voeu de Louis XIII - consécration de la France et de la Couronne à la Vierge - et d'ailleurs l'ordonnance est signée Sublet - quand je vous dis qu'il est partout - et le sermon était drôlement chouette, sur la Vierge et sa participation à l'oeuvre du salut, rien chouette je vous dis.)


dimanche 2 août 2009

Les gros branleurs du Quai Branly.


Je n'avais jamais fichu les pieds au musée du Quai Branly jusqu'à hier. Un peu parce que je n'avais jamais trouvé le temps, et beaucoup parce que les fétiches océaniens troglodytes, je m'en fous un peu. Jusqu'à hier, je ne savais pas trop pourquoi, mais heureusement, j'étais accompagnée de ma chère Élise qui a su mettre des mots - comme toujours - sur ce que je ressentais vaguement.

En fait, les statuettes phalliques en bois, les colliers en coquillage, les pagnes en peau de zébu, les paniers en vannerie et les pots en poterie, c'est hyper moche. Les snobs trouvent ça beau mais en fait cela ne fait que réveiller des pulsions. Cela ne fait appel à aucun sens du beau, du sublime. C'est juste là. Et en plus, c'est moche (mais je l'ai déjà dit).

Cependant, faut pas mourir idiot. Et puis, avec ma copine Élise, on voulait aller reluquer les pectoraux de Johnny Weissmüller voir l'exposition sur Tarzan, qui se peut visiter en ce mois d'août au Quai Branly.

On se pointe donc sur place et là, franchement, agréable surprise : le jardin, le bâtiment, c'est plutôt réussi. Frais et agréable, avec des petits nanimaux dans les bassins (des piafs, pas des hippopotames, faut pas rêver non plus). Et en plus, comme nous sommes jeunes et belles, on ne paie pas notre entrée. La vie est belle.

C'est dans l'exposition que ça se complique et que nous nous énervons progressivement. La raison ? Pour un musée qui se veut "haut de gamme", cette exposition n'est pas une exposition scientifique. Et en plus, c'est assez mauvais, un comble avec un sujet en or pareil.

Pourtant, tout commençait bien. Le sous-titre de l'expo ("Rousseau chez les Waziris") semblait indiquer que le commissaire avait bien pigé l'intérêt de son sujet, à savoir : quelle vision de l'homme, de la nature, du "bon sauvage", transparaît dans ce mythe du XXe siècle ?

Si l'on prend la retape de l'expo sur le site, on lit :

Cette exposition, consacrée à une icône de l’imagerie populaire, propose au public de découvrir les voies de la création du héros, et le décryptage du mythe qu’il incarne.

=> Cette exposition ne permet rien du tout au public. Rien n'est dit ou presque sur Edgar Rice Burroughs, créateur du personnage de Tarzan. On a à peine ses dates et deux-trois considérations banales sur l'histoire d'un gosse dont papa aurait préféré qu'il fît carrière d'ingénieur mais qui se dirigea vers les petis mickeys. Idem, quasiment rien sur ses influences, ou très mal fichu. Le rapport entre l'univers de Kipling (Le Livre de la Jungle) et Tarzan, pourtant évident, est à peine effleuré. Les considérations sur le contexte de la fin du XIXe siècle, sur les colonies, les grandes explorations, sont réduites à quelques phrases banales de l'ordre du "à l'époque, les gens étaient racistes, et pi aussi puritains, d'ailleurs Tarzan et Jane ne sont jamais à poil, et puis alors l'Afrique, ça faisait fantasmer le petit bourgeois londonien". Sans blagues.

Si Edgar Rice Burroughs est le père absolu du personnage de Tarzan, tous ceux qui le mirent en scène - dans la bande dessinée, le cinéma, l’affiche, la figurine, le disque, le jeu…- se réfèrent à des imageries et des représentations collectives qui fondent quelques unes des mythologies les plus fortes de notre siècle.

=> Là encore, un certain nombre de documents variés ont été réunis. Planches de BD, éditions en plusieurs langues des livres de Tarzan, films - du muet à Christophe Lambert. L'ennui ? Rien de tout cela n'est daté, mis en perspective, exploité. On a collectionné, rien de plus. Les commentaires des pièces sont rédigés dans le style café du commerce intello alliant périphrase foireuses ("le parfait petit meccano de l'imaginaire colonial" pour "la série de clichés coloniaux habituels") et considérations déplacées : on se souviendra notamment d'un carton consacré à l'épisode où l'on voit Jane sortir nue d'un buisson, aussitôt rhabillée en bikini panthère par la censure des illustrés pour enfants, se terminant sur cette phrase inimitable : "Aujourd'hui, une certaine Sarah Palin semble suivre la même voie de censure". Mais quel rapport, bordel ?

Alors certes, point intéressant de l'exposition, les extraits de films, plutôt rigolos (et puis les pectoraux de Johnny Weissmüller, quoi) et bien choisis. Des comiques, des très sérieux, un avec Christophe Lambert, un avec des vrais animaux, d'autres avec des léopards en peluche et des types déguisés en gorilles, de l'érotisme à deux balles des années 1930, bref, ça vaut son pesant de cacahuètes. Mais de là à en tirer quelque chose d'intéressant...

L’exposition parcourt les origines et la nature de Tarzan, en tant que personnage et en tant que mythe (de Saturnin Farandoul, documentaire de 1914, à Greystoke en 1983), et réhabilite le personnage en tant que héros contemporain de défense de la nature.

=> Eh bien non ! Rien ou presque n'est dit sur le personnage de Tarzan, sur son histoire. On ne prend même pas la peine de vous expliquer comment un type blanc a débarqué dans la jungle africaine (le coup de lord et lady Greystoke qui l'ont paumé entre deux lianes, etc).

En revanche, et c'est là le pompon de la débilité politiquement correcte, on nous en fait un héros écolo. Avec des cartons du parcours enfant qui vous expliquent que "comme Tarzan, sois l'ami des bêtes", "comme Tarzan qui se déplace super vite dans la jungle, prends ta trotinette pour lutter contre le réchauffement climatique", "comme Tarzan, protège les ours blanc et ne prends pas l'avion pour aller faire des safaris pour tes vacances".

Comme si l'écologie c'était un truc de héros. N'importe quoi. Bien sûr qu'il y a un côté "écolo" même dans l'oeuvre originelle (sur le mode "science sans conscience n'est que ruine de l'âme"), bien sûr qu'il y a un côté admiratif pour une Afrique pure et fantasmée. N'empêche que Burroughs, s'il critique comme Kipling la société occidentale et coloniale, n'en prend pas moins les Africains pour des crétins - ou des cannibales.

Quand on a peur des mots et des héros du XIXe siècle, on prend Candy comme sujet d'expo, pas Tarzan. Tarzan, c'est le mâle blanc dans toute sa splendeur d'homme occidental : il a beau vivre parmi les singes et être avant tout un modèle de force brute, c'est aussi un modèle de raffinement - il parle aussi l'anglais médiéval, le français, l'allemand et d'autres langues européennes. Rien à voir avec un héros écolo et proche de la nature. D'ailleurs, le mâle blanc qui sauve la jungle, c'est colonial et fââââchiste : il faut donc réhabiliter le personnage, bien sûr ! Quoi de mieux que l'écologie.

L'expo se termine enfin en eau de boudin par la pub de Jean-Paul Goude pour le parfum homme de Guerlain (celle avec un beau gosse aux yeux verts qui boit dans un marigot avec un copain léopard puis devient léopard lui-même), un extrait de film avec Marlène Dietrich dans une revue de music-hall déguisée en singe (on ne sait pas ce qu'il fout là cet extrait de film, probablement qu'ils n'ont pas su le caser ailleurs), et par une allégorie de la pureté : une femme africaine allaitant. Bref, du gros n'importe quoi.

J'en conclus que le commissaire de l'expo, tout ethnologue connu qu'il est, ne sait pas que l'ethnologie est une science, et qu'il n'est pas interdit d'en faire sérieusement. Ou alors, il le sait mais il est tellement affolé à l'idée de passer pour un gros vilain méchant colonialiste qu'il est prêt à faire dire n'importe quoi à son sujet.

Dans tous les cas, c'est grave.

Mais quand même, il y a Johnny Weissmüller.

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