dimanche 2 août 2009

Les gros branleurs du Quai Branly.


Je n'avais jamais fichu les pieds au musée du Quai Branly jusqu'à hier. Un peu parce que je n'avais jamais trouvé le temps, et beaucoup parce que les fétiches océaniens troglodytes, je m'en fous un peu. Jusqu'à hier, je ne savais pas trop pourquoi, mais heureusement, j'étais accompagnée de ma chère Élise qui a su mettre des mots - comme toujours - sur ce que je ressentais vaguement.

En fait, les statuettes phalliques en bois, les colliers en coquillage, les pagnes en peau de zébu, les paniers en vannerie et les pots en poterie, c'est hyper moche. Les snobs trouvent ça beau mais en fait cela ne fait que réveiller des pulsions. Cela ne fait appel à aucun sens du beau, du sublime. C'est juste là. Et en plus, c'est moche (mais je l'ai déjà dit).

Cependant, faut pas mourir idiot. Et puis, avec ma copine Élise, on voulait aller reluquer les pectoraux de Johnny Weissmüller voir l'exposition sur Tarzan, qui se peut visiter en ce mois d'août au Quai Branly.

On se pointe donc sur place et là, franchement, agréable surprise : le jardin, le bâtiment, c'est plutôt réussi. Frais et agréable, avec des petits nanimaux dans les bassins (des piafs, pas des hippopotames, faut pas rêver non plus). Et en plus, comme nous sommes jeunes et belles, on ne paie pas notre entrée. La vie est belle.

C'est dans l'exposition que ça se complique et que nous nous énervons progressivement. La raison ? Pour un musée qui se veut "haut de gamme", cette exposition n'est pas une exposition scientifique. Et en plus, c'est assez mauvais, un comble avec un sujet en or pareil.

Pourtant, tout commençait bien. Le sous-titre de l'expo ("Rousseau chez les Waziris") semblait indiquer que le commissaire avait bien pigé l'intérêt de son sujet, à savoir : quelle vision de l'homme, de la nature, du "bon sauvage", transparaît dans ce mythe du XXe siècle ?

Si l'on prend la retape de l'expo sur le site, on lit :

Cette exposition, consacrée à une icône de l’imagerie populaire, propose au public de découvrir les voies de la création du héros, et le décryptage du mythe qu’il incarne.

=> Cette exposition ne permet rien du tout au public. Rien n'est dit ou presque sur Edgar Rice Burroughs, créateur du personnage de Tarzan. On a à peine ses dates et deux-trois considérations banales sur l'histoire d'un gosse dont papa aurait préféré qu'il fît carrière d'ingénieur mais qui se dirigea vers les petis mickeys. Idem, quasiment rien sur ses influences, ou très mal fichu. Le rapport entre l'univers de Kipling (Le Livre de la Jungle) et Tarzan, pourtant évident, est à peine effleuré. Les considérations sur le contexte de la fin du XIXe siècle, sur les colonies, les grandes explorations, sont réduites à quelques phrases banales de l'ordre du "à l'époque, les gens étaient racistes, et pi aussi puritains, d'ailleurs Tarzan et Jane ne sont jamais à poil, et puis alors l'Afrique, ça faisait fantasmer le petit bourgeois londonien". Sans blagues.

Si Edgar Rice Burroughs est le père absolu du personnage de Tarzan, tous ceux qui le mirent en scène - dans la bande dessinée, le cinéma, l’affiche, la figurine, le disque, le jeu…- se réfèrent à des imageries et des représentations collectives qui fondent quelques unes des mythologies les plus fortes de notre siècle.

=> Là encore, un certain nombre de documents variés ont été réunis. Planches de BD, éditions en plusieurs langues des livres de Tarzan, films - du muet à Christophe Lambert. L'ennui ? Rien de tout cela n'est daté, mis en perspective, exploité. On a collectionné, rien de plus. Les commentaires des pièces sont rédigés dans le style café du commerce intello alliant périphrase foireuses ("le parfait petit meccano de l'imaginaire colonial" pour "la série de clichés coloniaux habituels") et considérations déplacées : on se souviendra notamment d'un carton consacré à l'épisode où l'on voit Jane sortir nue d'un buisson, aussitôt rhabillée en bikini panthère par la censure des illustrés pour enfants, se terminant sur cette phrase inimitable : "Aujourd'hui, une certaine Sarah Palin semble suivre la même voie de censure". Mais quel rapport, bordel ?

Alors certes, point intéressant de l'exposition, les extraits de films, plutôt rigolos (et puis les pectoraux de Johnny Weissmüller, quoi) et bien choisis. Des comiques, des très sérieux, un avec Christophe Lambert, un avec des vrais animaux, d'autres avec des léopards en peluche et des types déguisés en gorilles, de l'érotisme à deux balles des années 1930, bref, ça vaut son pesant de cacahuètes. Mais de là à en tirer quelque chose d'intéressant...

L’exposition parcourt les origines et la nature de Tarzan, en tant que personnage et en tant que mythe (de Saturnin Farandoul, documentaire de 1914, à Greystoke en 1983), et réhabilite le personnage en tant que héros contemporain de défense de la nature.

=> Eh bien non ! Rien ou presque n'est dit sur le personnage de Tarzan, sur son histoire. On ne prend même pas la peine de vous expliquer comment un type blanc a débarqué dans la jungle africaine (le coup de lord et lady Greystoke qui l'ont paumé entre deux lianes, etc).

En revanche, et c'est là le pompon de la débilité politiquement correcte, on nous en fait un héros écolo. Avec des cartons du parcours enfant qui vous expliquent que "comme Tarzan, sois l'ami des bêtes", "comme Tarzan qui se déplace super vite dans la jungle, prends ta trotinette pour lutter contre le réchauffement climatique", "comme Tarzan, protège les ours blanc et ne prends pas l'avion pour aller faire des safaris pour tes vacances".

Comme si l'écologie c'était un truc de héros. N'importe quoi. Bien sûr qu'il y a un côté "écolo" même dans l'oeuvre originelle (sur le mode "science sans conscience n'est que ruine de l'âme"), bien sûr qu'il y a un côté admiratif pour une Afrique pure et fantasmée. N'empêche que Burroughs, s'il critique comme Kipling la société occidentale et coloniale, n'en prend pas moins les Africains pour des crétins - ou des cannibales.

Quand on a peur des mots et des héros du XIXe siècle, on prend Candy comme sujet d'expo, pas Tarzan. Tarzan, c'est le mâle blanc dans toute sa splendeur d'homme occidental : il a beau vivre parmi les singes et être avant tout un modèle de force brute, c'est aussi un modèle de raffinement - il parle aussi l'anglais médiéval, le français, l'allemand et d'autres langues européennes. Rien à voir avec un héros écolo et proche de la nature. D'ailleurs, le mâle blanc qui sauve la jungle, c'est colonial et fââââchiste : il faut donc réhabiliter le personnage, bien sûr ! Quoi de mieux que l'écologie.

L'expo se termine enfin en eau de boudin par la pub de Jean-Paul Goude pour le parfum homme de Guerlain (celle avec un beau gosse aux yeux verts qui boit dans un marigot avec un copain léopard puis devient léopard lui-même), un extrait de film avec Marlène Dietrich dans une revue de music-hall déguisée en singe (on ne sait pas ce qu'il fout là cet extrait de film, probablement qu'ils n'ont pas su le caser ailleurs), et par une allégorie de la pureté : une femme africaine allaitant. Bref, du gros n'importe quoi.

J'en conclus que le commissaire de l'expo, tout ethnologue connu qu'il est, ne sait pas que l'ethnologie est une science, et qu'il n'est pas interdit d'en faire sérieusement. Ou alors, il le sait mais il est tellement affolé à l'idée de passer pour un gros vilain méchant colonialiste qu'il est prêt à faire dire n'importe quoi à son sujet.

Dans tous les cas, c'est grave.

Mais quand même, il y a Johnny Weissmüller.

Johnny_Weissmueller.jpg

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