lundi 12 juillet 2010

Histoire de la médecine et quelques éléments de réflexion historique pour l'été.

À chaque fois que j'ai la migraine - en moyenne une fois par semaine, du genre à se taper la tête contre le mur - et que j'avale frénétiquement une surdose d'anti-douleurs, je me pose la même question : mais comment faisaient-ils, avant ? Je veux dire, comment faisaient-ils pour supporter la non-découverte de l'aspirine, l'absence de traitement contre les coliques néphrétiques et de cette chose fascinante qu'est l'anesthésie ?

Aussi l'histoire de la médecine est-elle un truc passionnant. J'aime beaucoup les musées d'histoire de la médecine - et en plus, ça tombe bien, il y en a plein à Paris. Voici donc quelques idées pour un parcours estival et muséographique :


Le musée d'histoire de la médecine

Celui-là, il est tout petit. Situé dans l'école de médecine de Paris (rue de l'Ecole de médecine, Paris Ve), on le trouve après avoir erré bien dix minutes dans les couloirs en suivant avec application les panneaux idoines et congruents (mais non sans se dire deux ou trois fois mais je ne serais pas déjà passé par là ?). Une grande salle avec des vitrines anciennes - quelques instruments de médecine égyptienne et grecque, quelques éléments médiévaux, mais ça commence à être vraiment amusant à partir de l'époque moderne. Il y a même le trépan d'Ambroise Paré et le bidule avec lequel on a opéré la fistule de Louis XIV, c'est vous dire. Pour trois euros, vous pouvez avoir une visite guidée plutôt bien fichue même si très old school - ne vous attendez pas à ce qu'il y ait des animations pour les petits enfants.


Le musée d'histoire de la médecine militaire

Au Val-de-Grâce, place Alphonse Laveran, Paris Ve. Se visite sur rendez-vous ou pendant les journées du patrimoine. Remarquables collections, tableaux, instruments, pots d'apothicaires, moulages - attention, il est fortement déconseillé de prendre un café au lait avant d'entrer dans les salles consacrées aux gueules cassées de la Première guerre mondiale.
Et en plus, vous passez par les appartements d'Anne d'Autriche au Val de Grâce, et vous terminez la visite par la chapelle qui vaut à elle seule le détour (si vous voulez du baroque, vous en aurez à la pelle).


Le musée d'anatomie Delmas-Orfila-Rouvière.

Rue des Saints Pères. Femmes à barbes, moulages de têtes de suppliciés du XIXe siècle, statue du nain de Stanislas Lesczinsky, et le moulage des os d'un Kalmouk qui mesurait plus de deux mètres cinquante.
Une vraie rigolade.


Le musée Dupuytren.

Également rue de l'Ecole de médecine, Paris Ve. Pour le coup, ce n'est pas le café au lait qui est déconseillé, c'est d'avoir mangé, tout court. À vous les veaux à deux têtes, les colonnes vertébrales dédoublées et tordues, les malformations diverses et variées, les tumeurs en bocaux. Visites limitées, seulement l'après-midi. En plus, c'est souvent désert parce que personne ne sait que ça existe.
En outre, ce musée vit quasi-seulement avec les sous que rapportent les quelques milliers de visiteurs annuels, donc soyez sympa, contribuez à la vie de la muséographie française.


Le musée Fragonard de l'école vétérinaire de Maisons-Alfort.

Le plus épatant, découvert très récemment. Rien à voir avec le peintre spécialisé dans la scène de drague - encore qu'en réalité si, puisqu'Honoré Fragonard était le cousin du peintre. Chirurgien, puis professeur d'anatomie dans l'école vétérinaire d'Alfort, fondée par Louis XV, Fragonard, en bon homme du XVIIIe siècle, était atteint de collectionnite aiguë, et rêva de fonder un Cabinet national d'Anatomie. Il se spécialisa en particulier dans la réalisation d'écorchés, les plus célèbres étant le Cavalier, le Singe, l'Homme à la mandibule, et surtout le Groupe de foetus dansant la gigue.

Oui, vous avez bien lu, un groupe de trois foetus - humains, si, si - dansant la gigue. Réalisé non pas pour une exposition au parfum vaguement scandaleux du début du XXIe siècle, mais bien à des fins scientifico-artistiques, entre 1766 et 1771. Cela dit, il paraît que le truc eut un succès fou auprès de la bonne société qui se précipitait pour voir les foetus de Fragonard.
On sait par les inventaires que Fragonard s'intéressait particulièrement à la mise en scène de la mort, et qu'il réalisa d'autres compositions à base d'écorchés montés sur des chevaux entourés de foetus humains montés sur des moutons pour faire l'armée de l'apocalypse.


Moyennant quoi il me paraît difficile de ne pas réfléchir aux prétendus débats de notre temps. Régulièrement, je reçois dans ma boîte mail des propositions pour apposer ma signature au bas d'une pétition pour un énième débat éthique, contre l'utilisation des cellules souches, ou pour retirer du marché la prétendue crème à base de cellules dérivées de foetus avortés - et là, du reste, je serais curieuse de savoir dans quelle mesure c'est vrai, le coup des cellules de foetus.

Quand on fréquente ces musées, on est bien obligé de se dire que finalement, les hommes des siècles précédent étaient bien plus décoincés que nous. Chez eux, point de débat bioéthique à n'en plus finir - et qui, au final, tournent au dialogue de sourds. On lançait sa petite affaire à base d'écorchés, sa petite recherche à base de cadavres récupérés un peu n'importe où, et ensuite, certes, on pouvait avoir de graves ennuis avec la justice si celle-ci estimait que là, ça déconnait sévère, mais sinon, on vous foutait la paix. Et on pouvait même se tailler son petit succès de société.

Aussi me paraît-il curieux de dénoncer le décadentisme de nos moeurs actuelles. Ce genre de semi-plaisanteries à vocation scientifique n'est pas une nouveauté. Au contraire, nous avons beaucoup à apprendre, encore, sur les siècles qui nous ont précédé. Qui étaient ces hommes qui n'étaient pas choqués par des foetus mis en scène, dans une Europe pourtant encore massivement chrétienne et que l'on croit verrouillée par l'Église et le pouvoir monarchique ? Qui étaient ces hommes qui ne croyaient pas au débat et que cela n'empêchait pas d'avancer et de rester à l'affût de la nouveauté sans que ce fût pour eux une valeur positive ?

Ces hommes du passé n'ont pas fini de nous surprendre et de nous donner des leçons d'humilité sur la complexité de la nature humaine.

10 commentaires:

  1. Le coup des cellules de foetus de ce que j'en ai compris c'est à base de cellules clonées en laboratoire (un peu comme les cultures de peau pour les grands brulés), ils broient pas des armées de foetus pour la fabriquer.
    Sinon ça donne envie d'aller au musée tout ça.

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  2. Bob,

    oui, c'est ce que j'avais compris aussi. Ensuite, reste à savoir si c'est pas juste un délire marketing, ou si c'est vraiment, effectivement, une histoire de cellules clonées...

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  3. Je ne sais pas ce qu'il en est de cette crème antiride, n'empêche qu'on fabrique des vaccins à base de foetus avortés. L'académie pontificale pour la vie s'en est ému.

    http://www.avortementivg.com/content/les-vaccins-%C3%A0-base-de-foetus-avort%C3%A9s

    Quand le foetus et l'embryon sont considérés comme des matériels corporels humains, ainsi que le stipule la loi belge, il ne faut pas s'étonner s'il y a des dérives du point de vue éthique.

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  4. Je n'ai pas entendu parler de ces histoires de foetus (beurk d'ailleurs) mais comme le dit Bob, vos comptes rendus donnent envie d'aller faire une petite visite.
    (Ah et sinon j'ai beaucoup aimé l'extrait du Lac des cygnes.)

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  5. C'est un article très intéressant, merci. (Je choisis le musée Dupuytren)

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  6. > Sébastien,

    oui, j'ai vu ça. Enfin cela dit, ce n'est pas très étonnant. En général, quand vous avortez ou que vous faites une fausse couche, on ne vous demande pas ce que vous avez l'intention de faire du foetus. Donc... j'imagine bien...


    > M* :

    oui, beurk, on est d'accord :p
    le lac des cygnes, c'est chouette, moi qui ne suis pas du tout connaisseuse, j'ai adoré la chorégraphie de Noureev - si en plus vous avez Karl Paquette dedans, vous avez tout bon :)


    > Suzanne,

    Merci ! vous avez bien raison, c'est le plus rigolo à mon avis.

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  7. Pour les assemblages de foetus de l'apocalypse, peut-être étaient-ils aussi signés Fragonard?

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  8. Naif,

    je ne sais pas s'ils sont signés. Ce qui est rigolo, c'est qu'ils ont été célèbres au XVIIIe siècle, encore un peu au XIXe siècle, mais qu'aujourd'hui ils gênent énormément.

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  9. Tu as oublié le musée de l'hôpital Saint-Louis, je crois que c'est pas mal dans le genre galerie des monstres et des tumeurs sous bocal (je ne l'ai pas vu). A voir ?
    Bises

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  10. > La martienne,

    ah, je ne le connaissais pas, celui-là ! merci !
    bises

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