jeudi 26 septembre 2013

Histoire de reprendre.



Rentrée. Nouveau métier, professeur en lycée. Nouvelle vie, nouveau salaire aussi (c'est pas qu'on travaille que pour l'argent, hein, mais quand même).

J'ai de la chance, très objectivement. Des collègues gentils et accueillants, un établissement plutôt pas mal, un proviseur et une administration au poil, une amie déjà "dans la place", des élèves pas bien méchants, un emploi du temps sans trous. Je me tape donc sans trop de râlerie l'heure et demie de bus pour y aller le matin en tombant du lit à 6h, départ 6h30. Ce qui relève de l'exploit personnel, étant donné que me lever avant 9h relève en général de la torture mentale. 

Trois semaines de cours et certaines choses me sautent cruellement aux yeux. 

D'abord, la vacuité des cerveaux des élèves qui déboulent au lycée. L'élève de seconde moyen, en histoire-géo, ne sait pas rédiger un paragraphe. N'a absolument rien appris au collège (et est capable de soutenir mordicus que non, il n'a jamais entendu parler de la guerre de 14-18, et tant pis si vous connaissez son prof de collège qui l'a, lui, pourtant bien enseigné...). Ne sait pas la boucler en cours. Et surtout, a développé un sentiment d'impunité, largement encouragé par ses parents, fondé sur la conviction d'être le nombril du monde, omniscient, génial, parfait. Et d'une manière générale, plus aucun ne sait écrire sans faute d'orthographe. Dernier paquet de copies ramassé, je n'ai jamais trouvé moins d'une quinzaine de fautes d'orthographe par élève. 

Ce qui est difficile, c'est de n'avoir aucune prise sur eux. La menace des notes ? La plupart s'en fichent assez largement. Quand on demande un devoir, en prévenant que ceux qui ne rendront rien auront zéro, vous en avez déjà qui, dès septembre, préfèrent le zéro au fait de fournir un effort, aussi minime soit-il. Idem pour les interrogations écrites sur le cours, où il suffit de réciter : moyenne de 6/20. La menace de l'exclusion ? Ils passeraient pour des héros. Certains sont collés dès la première semaine - j'ai la chance d'être dans un bahut où les sanctions ne sont pas découragées. Rien n'y fait, ils la ramènent toujours autant en cours. Que le CPE ou même le proviseur en personne leur souffle dans les bronches ne change à peu près rien. 

Bref, le système est fait pour des élèves qui seraient gentils, travailleurs, facilement effrayés par la menace d'un zéro ou d'une engueulade de la part d'un adulte. Evidemment, on rigole doucement. 

Que faire avec un élève qui arrive avec un dossier minable, mais qui est passé en seconde grâce au forcing acharné de ses parents qui invoquent la discrimination à tout bout de champ ? 
J'ai aussi un certain nombre de redoublants, pourtant loin d'être idiots à première vue, mais dont la maturité doit à peine dépasser celle de mon rejeton de 18 mois, du genre à être incapable de se taire plus de 5 secondes en cours. J'en ai un autre qui ne parle ni ne bouge en cours (béni soit-il) mais qui a passé tout l'an dernier avec une moyenne oscillant entre zéro et deux. Qu'en faire ? Tous savent parfaitement qu'ayant redoublé une première fois leur seconde, ils passeront forcément en première. 
Je les retrouverai l'an prochain. Ils seront probablement un peu moins bavards, un peu moins agités, le plomb leur entrant progressivement dans le crâne. Mais toujours aussi peu outillés. Et ils passeront en terminale. Et puis, et puis ? 
Je ne peux m'empêcher de me ronger les sangs en pensant à l'avenir de ces gosses qui ne savent même pas écrire une phrase correcte. On nous demande de leur enseigner les mutations culturelles de la Renaissance à ces jeunes gens qui ne savent pas quand a vécu François Ier, ni si c'était il y a longtemps, ni rien. L'angoisse de devoir mener un programme. Il faut voir en quatre heures un chapitre mais, compte tenu du bavardage intense à réprimer en permanence (je refuse de parler dans le bruit, et je perds régulièrement la moitié d'une heure de cours à les faire taire), il en faudra huit pour le mener à bien. Forcément, on ne fera pas tout. Quelle génération de vide sommes-nous en train de forger ? 

J'aime enseigner à ces jeunes gens. Je l'ai su dès la première minute où j'ai commencé à faire cours devant eux. Certaines classes sont chiantes comme la pluie, pourtant j'aime ce que je fais, et l'endroit où je le fais. Je me sens tellement plus utile là que dans mon ancien poste, aussi... mais que faire ? 

Vous me direz : il faut imaginer Sisyphe heureux. 



15 commentaires:

  1. Bonjour,
    Qu'a donné la thèse ? (je me permets de poser la question, car il me semblait qu'il y en avait une en cours, en raison des cours donnés à la fac et les recherches aux archives).
    Belle journée,
    Aurore
    PS : le précédent message avait une faute il me semble, le chat a joué avec la souris et a donc validé avant que je ne puisse lire le message...

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  2. Bonjour,
    merci de vous en souvenir ! bon, la thèse est en cours de relecture et devrait être soutenue d'ici la fin de l'année scolaire...
    belle journée à vous aussi !

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  3. Bof... moi j'ai bien repéré au moins une faute d'orthographe dans ton post (dans les bronchE), et toc !
    Plus une faute de syntaxe : "On nous demande de leur enseigner les mutations culturelles de la Renaissance à des jeunes gens".

    ...Donnez-moi votre carnet de correspondance. Mot aux parents.

    Et des bisous et du courage aussi :-)

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    1. oups ! c'est corrigé. Je ne devais pas être bien fraîche, hier...

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  4. Peut-être devrais-tu leur faire gentiment part de tes angoisses et leurs raisons avec sincérité qu'ils n'y voient pas un moyen de pression et un réel souci et puisque tu enseignes l'histoire, raccroche les wagons avec François Ier qui était un homme qui non seulement savait bien manier l'épée à double tranchant dans les batailles et les tournois mais parlait latin, grec et italien et qu'il aimait tellement les livres qu'il a créé la bibliothèque nationale. Et pour les filles, rappelle que sa sœur était la plus grande femme de lettres du siècle. ça va peut-être les faire réfléchir.

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    1. Je pourrais faire ainsi, en effet, si j'étais dans un établissement bisounours, ou dans un autre pays où les élèves sont peu nombreux et à peu près éduqués. Faire cela dans les classes d'un lycée moyen français, c'est malheureusement voué à l'échec le plus complet. C'est dommage d'ailleurs : les professeurs, en France, ne peuvent plus fonctionner que par le bras de fer.

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  5. Cela fait plaisir de vous relire et de voir que vous gardez le sourire et l'espoir avec vos cancres. Mais sont-ils capables de faire la différence entre François 1er et Fernandel?
    [youtube=http://www.youtube.com/watch?v=PslUvcr7qHA]

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    1. merci pour la vidéo !
      Mais vous savez, mes élèves ne sont même pas considérés comme des "cancres". Ce sont les élèves moyens de seconde générale, dans un lycée normal, plutôt tranquille, où les professeurs sont soutenus par la hiérarchie.

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  6. Oh Artémise, je n'avais pas vu ce billet! Allez, courage (même si tu en as moins besoin présentement)! Les premiers mois sont difficiles... Les faire progresser, c'est l'essentiel même si ton constat est juste...

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    1. Et encore j'ai bien conscience de n'avoir pas trop à me plaindre : un emploi du temps coolissime (j'en ai presque honte, d'ailleurs, à voir celui de certains collègues), pas de gros cas sociaux...
      Enfin, on verra pendant la seconde partie de l'année...

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  7. Hélas, trois fois hélas, le constat que vous faites n'est que trop justifié.

    "Il ne faut donc point se rassurer que les barbares sont encore loin de nous; car, s'il y a des peuples qui se laissent arracher des mains la lumière, il y en a d'autres qui l'étouffent eux-mêmes sous leurs pieds."

    Nous en sommes là. Et pourtant il faut continuer à semer, si infertile que soit devenue la terre. Qui si un jour un grain ne germera pas?

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    1. Eh oui ! si même nous professeurs, baissons les bras, tout est fichu, on n'a plus qu'à se flinguer.
      Je persiste à croire que nous pouvons encore faire quelque chose. Dans ma salle des profs, je vois des gens qui bataillent pour faire entrer quelque chose dans la tête de ces jeunes gens - on y est d'ailleurs à des années-lumières de l'image volontiers colportée, du prof-gauchiste-feignant-inculte-copain de ses élèves.

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  8. Et ben moi je les vois en fac ces jeunes gens là. Ben oui, parce qu'on leur donne leur bac, du coup ils arrivent forcément jusqu'à l'université... Côté faute, on s'arrache les cheveux. Et côté culture (j'enseigne en Histoire de l'Art), c'est le degré zéro... La fac a du se mettre à niveau. Et je vois en Master des étudiants qui n'auraient pas passé le cap du DEUG il y a quelques années. Bon, cela dit, ça permet de repérer les vrais bons. Ceux qui vont faire progresser la science. Les autres ne sont là que pour faire baisser les chiffres du chômage.

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  9. Bienvenue dans la vraie vie ... Moi j'ai choisi , il y a 20 ans ,de passer le PLP2 et d'exercer en Lycée Professionnel ...je vous laisse deviner le niveau culturel de mes élèves et leur goût de l'effort aujourd'hui . Il y a 15 ans encore ils y en avait un maximum décidés à "s'en sortir" , et l'idée de les aider avait motivé mon choix ...Courage avec vos bavards , il faudra peut-être renoncer un jour au silence total dans ce métier ...au moins il semble que l'on ne vous lance pas de projectiles !

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  10. Ah oui terrifiant, cette satisfaction de soi dans l'inculture. Génération sms, qui doit se dire que puisqu'il est possible d'être célèbre en chantant des onomatopée ou en passant par la case chirurgie esthétique, il n'est sans doute pas nécessaire de savoir ce qui s'est passé à Verdun ou de comprendre les règles d'accord du participe passé.

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Soyez gentils, faites l'effort de signer votre message - ne serait-ce que dans le corps d'icelui, si vous ne voulez pas remplir les champs destinés à cet effet - c'est tellement plus agréable pour ceux qui les lisent...