samedi 19 décembre 2009

Mémoires.

Dans la série trucs improbables, des petits rigolos ont piqué l'inscription qui couronne (enfin couronnait, puisque justement, ils l'ont piquée) l'entrée d'Auschwitz, le fameux, l'innénarrable Arbeit macht frei, qui rappelle qu'en plus d'être des fachos, les nazis avaient de l'humour.

Mauvais, certes, l'humour, mais quand même. Personnellement, je n'aurais pas eu l'idée, j'aurais plutôt mis "vous qui entrez ici laissez toute espérance", mais je n'ai pas le sens du comique de situation d'un kapo.
À moins que les dirigeants d'Auschwitz n'aient pas lu Dante - hypothèse tout à fait soutenable, en somme.

Dans Le Monde, les gens se déchaînent sur l'antisémitisme et le néo-nazisme qui auraient motivé ce geste. Il faut quand même être rudement barré pour en arriver à cette conclusion. Il s'agit probablement d'un collectionneur fétichiste guilleret mais aux goûts légèrement douteux, qui a dû commanditer la subtilisation de l'élément de ferraille. En plus, ça a dû lui coûter très cher - d'autant qu'on dit que le site d'Auschwitz est très surveillé.


Quand je serai professeur, parmi les trucs que j'aimerais faire avec des élèves (des premières ou des terminales, faut pas déconner non plus), c'est de les emmener visiter Auschwitz. Du genre leur faire lire Primo Levi avant, coller deux-trois exposés vachards sur "Histoire et Mémoire", "Les lieux de mémoire", "le devoir de mémoire", et ensuite leur infliger une série de travaux au retour - parce que pour être professeur, on n'en est pas moins sadique.
Je pense qu'on peut faire faire des tas de choses intelligentes à des élèves. Des choses qui dépassent le simple stade du larmoyage et de la compassion. Qui leur fasse piger que l'histoire, c'est pas des dates à apprendre (bon même si c'est mieux de savoir que 14-18 et 39-45, hein), mais l'histoire de millions d'hommes qui ont vécu pour de vrai. Avant nous. Et que donc, cela ne nous appartient pas, donc qu'on ne peut pas l'oublier, le jeter dans les poubelles de notre mémoire.

Si je fais de l'histoire, c'est, entre autres choses, parce que le premier jour de terminale, notre professeur nous a lu, avant d'entamer le programme (qui à l'époque commençait avec les origines de la Seconde Guerre mondiale), l'extrait de La Douleur de Marguerite Duras, le passage où elle attend le retour de son mari des camps de concentration. En nous disant que faire de l'histoire, c'était plus que de la chronologie : des hommes bien réels. L'histoire a goût de chair humaine, disait Marc Bloch.

Je n'aime pas Duras et je ne suis pas devenue contemporanéiste, bien entendu. Mais je lirai aussi cet extrait devant mes classes, avec le même discours.

Et si un jour un ancien élève vient me trouver en me disant qu'il est devenu professeur parce qu'il se souvient de ce que je lui ai dit, je serai un professeur heureux.

7 commentaires:

  1. Mais il me semble que quand on a lu Primo Levi (et quelques autres), il n'est plus besoin d'aller faire le touriste à Auschwitz. D'autant que – le même Primo Levi dixit – ce que nous voyons aujourd'hui n'a plus aucun rapport avec ce qu'il a connu entre novembre 1943 et janvier 1945.

    RépondreSupprimer
  2. Souvenirs, souvenirs... Je n'ai jamais eu de prof semblable au lycée. Mais je me souviens du premier cours sur l'histoire de la Normandie à l'époque moderne. Notre professeur nous montre un tableau représentant le massacre des innocents. Daté de 1642 ou 1643. Question : "Que voyez-vous?" Les cultivés répondent en choeur : "Le massacre des saints innocents!" Et là, boum, la réponse "Oui mais non. Pas seulement. Ce tableau évoque de façon certaine la répression des Nu-pieds de 1639. Alors qu'il était impossible de critiquer ouvertement le pouvoir royal, on le fait par des moyens détournés. La répression, féroce, avait suscité une grande peur dans la population..." Ça a été magique. Entrer dans l'époque moderne de cette façon-là, découvrir la complexité des messages que portent les documents... J'en soupire encore d'aise et d'enchantement...

    RépondreSupprimer
  3. L'idée d'emmener des élèves à Auschwitz me met toujours mal à l'aise. C'est devenu depuis cinq ou six ans le "voyage à la mode", le nec plus ultra de la sortie pédagogique, en concurrence avec le voyage en Angleterre, en Espagne ou en Italie. C'est en tous cas de cette façon que le perçoivent les élèves.
    En novembre, les collègues d'histoire de mon collège ont organisé la visite d'Oradour sur Glane pour les élèves de 3ème. J'ai appris que parmi les élèves de ma classe (considérée comme une "bonne" classe d'élèves "sérieux"), un élève a jeté une canette de coca dans les ruines, trois ou quatre autres se sont comportés pendant toute la visite comme s'ils étaient dans la cour de récréation. Lorsque j'ai demandé aux élèves de me rendre compte de leur sortie, les commentaires sont allés de "bof" à "y'avait pas grand chose à voir" (!), en revanche ils avaient trouvé vraiment bien l'exposition sur le 11 septembre ! J'ai cru qu'ils s'étaient trompés, mais non ! Qu'on puisse mettre en parallèle, dans ce lieu, ces deux périodes de l'histoire m'a laissée pantoise ; rien de tel, me semble-t-il pour semer la confusion dans l'esprit d'élèves qui n'ont que très peu de repères chronologiques et pour, une fois encore, tout niveler. Quant aux élèves de 3ème, je sais qu'ils traversent "l'âge bête" et que certains s'y attardent, mais en fin de compte, qu'auront-ils retiré réellement de cette journée, sinon pour la plupart une bonne occasion de ne pas être au collège ? Et pour avoir enseigné en lycée, je ne suis pas sûre que des élèves de lycée aient fait preuve de plus de maturité.
    Mais tout ça doit venir de mon vieux fonds de pessimisme !
    France-Hélène

    RépondreSupprimer
  4. > Didier :

    oui, bien sûr, c'est dans la postface de l'oeuvre. N'empêche que cela fait partie des choses qui marquent l'histoire martyre de la Pologne, et il n'en reste pas beaucoup : comment se douter, à première vue, que Varsovie a été entièrement rasée ?

    Tout le problème des reconstitutions est aussi là : qu'en faire ? C'est un peu comme quand les types qui ont conçu l'historial de Péronne ont créé une vraie fausse tranchée de la guerre de 14, avec bruitages et tremblements de terre à la clef. Finalement, c'est quoi ? Faire vivre les tranchées aux gens ? Mais tout est biaisé parce que vous êtes un touriste et que vous savez très bien que vous n'y risquez pas votre vie, vous ne pataugez pas dans la boue, vous avez dormi la veille.
    Après, vous pouvez aussi montrer les endroits où l'on a conservé des trous d'obus : c'est moins disneyland mais voir ce sol marqué, encore éventré, est une puissante évocation de la guerre. Evidemment, c'est artificiel. Mais pas négligeable.



    > La souris :

    Belle anecdote. On a parfois des souvenirs de fulgurances en cours d'histoire, des révélations, comme ça, au détour d'un TD...


    > France-Hélène :

    Objectivement, je n'ai pas l'impression qu'il y ait tant de monde que ça qui aille à Auschwitz. En outre, il y a des tas d'autres camps de concentration à voir. Si on n'a pas envie de se fatiguer, on peut se contenter du Struthof - après tout, vous avez raison, y'a pas qu'Auschwitz dans la Shoah, et peut-être qu'être obsédé par Auschwitz (le côté "nec plus ultra du voyage de classe") n'est pas forcément la bonne idée.

    Vous avez aussi raison, c'est le genre de voyage qui se prépare et qui ne peut pas se faire avec des petits (au moins des première ou des terminales, et des bonnes classes) et ça se prépare sérieusement.
    (notez que sérieusement, si je chope un gosse à jeter une canette de Coca à Oradour, je lui colle une baffe sans préavis, c'est méchant pas pas négociable).

    Personnellement, j'avais été quand même assez remuée par la visite qu'on nous avait fait faire du camp des Milles, à côté de chez mes parents (http://fr.wikipedia.org/wiki/Camp_des_Milles). Et pourtant j'étais en plein âge bête, absolument pas intéressée par l'histoire à l'époque. Et c'est loin d'être du niveau des camps de concentration polonais...

    RépondreSupprimer
  5. je voulais écrire "auraient fait preuve".
    F-Hélène

    RépondreSupprimer
  6. Artémise! T'es pas quelqu'un d'intelligent. En parlant de camp de concentration POLONAIS tu insultes mon pays. C'est les ALLEMANDS qui les ont construit.

    RépondreSupprimer
  7. > Anonyme :

    si vous voulez... ils étaient bien en Pologne, cependant ? Loin de moi l'idée de vouloir dire que les Polonais sont responsables des camps de concentration.
    Du reste, vous insultez vous même aussi les Allemands : si on veut vraiment être précis, ce sont les nazis qui ont construit ces camps.

    Et vous êtes gentil, vous évitez d'insulter mon intelligence, merci.

    RépondreSupprimer

Soyez gentils, faites l'effort de signer votre message - ne serait-ce que dans le corps d'icelui, si vous ne voulez pas remplir les champs destinés à cet effet - c'est tellement plus agréable pour ceux qui les lisent...