lundi 3 mai 2010

Le XVIIe siècle en film. Molière, Ariane Mnouchkine, 1978.


Molière de Mnouchkine. Je vous vois arriver avec vos gros sabots : "film à profs de français".

Ouais. J'assume. En même temps, on pourrait considérer ça sous l'angle qui veut qu'avoir été engendré par des parents professeurs de lettres classiques permet de faire des découvertes précoces en terme de septième art (mais n'allez pas croire n'importe quoi, j'ai aussi vu Austin Powers au cinoche avec mon papa).



Molière de Mnouchkine, donc. Film fulgurant de beauté, un de mes premiers vrais émois cinématographiques (avant même Errol Flynn, c'est dire. Le script n'est pas bien compliqué, c'est l'histoire de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière, "le baladin qui a fait le succès du théâtre français" comme dit la chanson de ce dessin animé pour enfants de profs de français.

çuilà :



(série hautement recommandable même si un peu vieillotte, mais on ne s'en lasse pas).


Molière, dans le film, est interprété du début à la fin par Philippe Caubère, ce qui implique essentiellement de ne pas avoir peur du maquillage à la truelle pour les dernières séquences sur les dernières années de la vie du grand homme. Les autres acteurs sont essentiellement des gens issus du monde du théâtre, pas très connus, sauf Roger Planchon et Daniel Mesguich qui campe un duc d'Orléans assez impayable. Mention spéciale aux rôles d'enfants et d'adolescents qui ajoutent une touche émouvante au film...







Les reconstitutions de costumes sont excellentes, soignées, léchées, comme on peut le voir. La photo et la lumière font qu'on se croit dans un tableau du plus pur style clair-obscur à la Caravage (César de la meilleure photographie et du meilleur décor, quand même). Mise en scène baroque, acteurs de théâtre jouant du théâtre dans un film sur le théâtre, amis de la mise en abyme et du jeu de miroirs, bonjour !

Si les scènes d'intérieur sont de parfaits petits tableaux baroques, les scènes d'extérieur, en particuliers celles de la période où Molière est lancé sur les chemins de France avec ses petits camarades de l'Illustre théâtre, sont parfois à couper le souffle. Je pense notamment où les comédiens courent après un décor de théâtre en pleine cambrousse. Et ça court, et ça rit, et on rit, et on a envie de participer à la folie du théâtre. Et les gondoles de Venise dans la neige, que c'est beau !

Si j'ai une grande tendresse pour ce film, c'est aussi à cause de sa grande intelligence dans la manière dont il prend en compte les rapports humains et sociaux au XVIIe siècle. Bien sûr, il fait la part aux clichés (mariages arrangés, médecins-bouchers à trognes patibulaires, bouillasse sur les chemins et Molière-qui-est-mort-en-jouant), mais on est bien éloignés de la réalité froide avec laquelle on nous décrit les hommes et les femmes de ce temps. Quelques exemples : une scène du début montre le petit frère de Molière la tête posée sur les genoux de sa mère qui le câline. Le grand frère arrive, chasse le petit frère, pose la tête sur les genoux de sa mère à son tour, se fait câliner. Arrive le père, qui a tout du gros bourgeois pas très aimable... il chasse son fils de la pièce... et s'agenouille à son tour pour poser sa tête sur les genoux de son épouse et se faire cajoler.

Une autre scène : celle où Jean-Baptiste pas encore Molière annonce à son papa (qui a toujours une trogne de bourgeois pas aimable) qu'il veut devenir comédien. Et ça s'engueule à tout va entre père et fils... et ça ne tarde pas trop finalement à aboutir à un silence gêné (passage hilarant), puis à une réconciliation - où papa finit par aider fiston à monter son affaire de théâtre.
Et enfin, la scène impayable où les collégiens élèves des jésuites (plus ou moins pilotés par des laïcs de la future Compagnie du Saint-Sacrement) font tout ce qu'ils peuvent pour pouvoir faire leur carnaval et embêter leurs professeurs.


Trois scènes qui chassent les visions froides de l'homme d'aujourd'hui qui veut absolument nous faire croire qu'avant, les gens n'aimaient pas leurs enfants, que les hommes n'aimaient pas leur femme, que les mariages dits arrangés n'étaient que des symboles de l'oppression, et que les enfants étaient prisonniers de leurs parents - et où l'Église oppressait les gens qui étaient tous très malheureux, il faut bien le dire.
Trois scènes merveilleusement émouvantes (dommage que je ne les aie pas retrouvées sur youtube, mais ça vous fera une bonne raison d'acheter le DVD) qui rendent ces hommes de l'époque classique, que l'on veut volontiers raides, tous confits dans le jansénisme et l'obsession patrilinéaire, proches, touchants, attachants.


http://www.youtube.com/watch?v=S-dJx0w6VhA&feature=related


La scène en lien ci-dessus (désolée, pas insérable) alterne avec bonheur l'évocation de l'intimité et de la sensibilité de l'époque baroque, puis les trucculentes réalités du monde du théâtre au XVIIe siècle, finalement peu différentes de celles d'aujourd'hui ("mais pousse - j'arrête pas de pousser mais ça démarre pas - mais pousse j'te dis !".

Des petits bémols, un surtout : c'est long, très long, surtout vers la fin où Molière n'en finit pas de mourir. Et on s'amuse surtout dans la première partie - en fait, la gloire, c'est beaucoup moins rigolo que la dèche et que la conquête du public. Et oui, c'est un film à profs de français, c'est-à-dire qu'il pèche légèrement par excès de pédagogisme - faut pouvoir le montrer à des élèves et qu'ils comprennent tout. Enfin, la seconde partie insiste lourdement sur la querelle du Tartuffe (comme tous les manuels d'histoire littéraire... à croire qu'il n'y a que ça d'intéressant chez Molière) et puis paf, on passe quasiment directement à la mort de notre grand homme, ce qui ajoute des lourdeurs au scénario.

Mais j'aime la grâce légère des acteurs, l'élégance des choix de lumière, de musiques et de costumes, et le soin apporté à la reconstitution du parler du XVIIe siècle. Et j'aime l'idée de me sentir proche, une fois de temps en temps, de ces hommes d'avant.



Note : paraît que c'était un des films favoris de François Mitterrand. En ce moment, je me découvre plein de goûts en commun avec notre défunt président, je trouve ça plutôt rigolo outre que ça prouve que la Mite avait de bons goûts.


4 commentaires:

  1. Jamais vu Le Molière de Mnouchkine, par contre je me souviens très bien de Molierissimo!

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  2. Je l'ai vu en plusieurs épisodes à la télé il y a fort longtemps, j'étais ado, je le regardais avec mon père et j'en garde un souvenir très ému. Merci pour le flash black :-)

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  3. > M* :

    je t'assure, ça vaut vraiment le coup ! je ne sais pas si ça se trouve facilement, comme film, en revanche.


    > Ellen :

    oh mais vous savez, pour moi, cette catégorie a aussi une visée "séquence émotion/enfance" tout à fait assumée :)

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  4. 1978... Seconde A4. Les profs de Lettre ont organisé la sortie à la ville, Orléans. La plupart de mes camarades s'en fichent. C'est une après-midi sans cours, voilà tout. Et le noir se fait. Et c'est le choc. Le miracle. En plus ce n'est pas un truc de profs. C'est gai, un peu bordelique. La révolution française, ça c'est un truc de profs. Pédagogique.Chiant. La preuve? Mes élèves, la scène des gondoles, ils y ont droit...
    Bruno B.

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