jeudi 18 novembre 2010

Rire de tout.


Et un marronnier, un !
Parmi les phrases que je déteste le plus au monde, il y a celle-ci : "on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui". Parce qu'elle s'accompagne de l'air méprisant de celui qui la prononce, destiné à vous faire comprendre que si telle ou telle blague ne vous fait pas rire, c'est que vous n'êtes qu'un crétin et que - insulte absolue de nos jours - vous n'avez pas d'humour.

Et comme personne ne veut passer pour le rabat-joie de service, on se force à s'arracher un rire d'une blague qui ne nous amuse pas, parce qu'elle n'est pas drôle, parce que ça fait soixante quatorze fois qu'on vous la fait, parce que ça touche une corde sensible.

Il y a encore quelques temps, je n'aimais pas jouer les pisse-vinaigre, aussi je m'efforçais d'émettre au moins un ricanement, de répondre spirituellement, comme si je n'étais pas atteinte par la pique - ou comme si à l'inverse il y avait de quoi se poiler.
Et puis un jour je suis tombée sur un billet tout bête d'un site où l'on peut trouver des jolies perles de réflexion. Pour ceux qui ont la flemme d'aller voir le lien, c'est un Arabe qui n'en peut plus d'avoir droit à des blagues sur le mode "tiens voilà le livreur de pizzas" quand tu sonnes à la porte d'un ami qui organise une soirée.

Passé un certain âge, on se fatigue des attaques - qui ne se veulent pas toujours méchantes, mais qui exaspèrent à force de répétition. Dans mon cas, par exemple, je citerai les blagues sur les curés pédophiles, les scouts pédophiles et fachos, les blagues misogynes/machistes, les piques sur les "intellos", les plaisanteries à deux roubles sur l'accent ou la fainéantise supposée des Provençaux et des profs (alors, des profs provençaux, je n'en parle même pas).

On m'a ainsi souvent demandé pourquoi malgré mes capacités je m'obstinais à bosser dans l'enseignement public "alors que mes qualités seraient tellement mieux reconnues dans le privé". Sauf qu'à voir comment même passée la trentaine, le commercial s'en donne à coeur joie sur l'intello (comprenez, celui qui sait lire) de la boîte, désolée mais je préfère rester parmi mes semblables.

Et moi, je suis fatiguée de devoir faire bonne figure et d'avoir de l'humour vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Tu n'es pas drôle, toi, quand, lorsque je te réponds un peu sèchement, ton premier mouvement est de ricaner "t'as tes règles ou quoi ?". Tu n'es pas drôle quand tu ressors la blagues des jambes des femmes qui ne servent qu'à aller plus vite du lit à la cuisine. Tu n'es pas drôle quand tu contrefais l'accent provençal que tu crois être un accent arabe mâtiné de vulgarité. Tu n'es pas drôle quand tu ressors la blague du curé pédophile que tout le monde connaît. Tu n'es pas drôle quand tu me demandes si je suis en vacances ou en grève. Tu n'es pas drôle quand tu te fous de la gueule de quelqu'un qui aime lire/visiter des expositions/voir un film dont la bande son est autre chose que pif ! pif ! boum ! boum ! racatacatac !, et que tu estimes que cela te confère une supériorité sur l'intello à lunettes.

Comme je deviens une vieille conne (c'est que je suis plus proche de trente que de vingt ans maintenant), j'ai pris l'habitude de ne plus avoir peur de plomber l'ambiance d'une soirée ou d'un dîner. Je ne veux plus faire croire que j'ai de l'humour à toute épreuve. Je m'en balance d'avoir l'air drôle. Et je ne veux plus avoir l'air de ne pas être atteinte par les mauvaises plaisanteries. Oui, il y a des choses qui m'atteignent, qui me blessent cruellement. Et je me réserve le droit d'avoir l'air susceptible, et de t'envoyer paître, toi qui veut faire rire à mes dépends, toi qui croit que la provocation est le seul mode de communication.

La phrase de Desproges, quand tu la laisses tomber d'un air condescendant parce que je ne me suis pas esclaffée sur ta sortie délicate, ne sert qu'à te rendre encore plus crétin. Rire de tout mais pas avec n'importe qui ne signifie pas que le monde se partagerait en deux, les surhommes pleins d'humour qui auraient le don de pouvoir tout brocarder sans distinction et de l'autre côté les pisse-vinaigres trop cons pour rire, mais bien au contraire qu'il faut manipuler l'humour avec une extrême précaution pour ne pas le transformer en méchanceté et en humiliation gratuite.

Mais du haut de ta superbe d'homme drôle autoproclamé, tu ne comprendras probablement pas.




14 commentaires:

  1. "Rendons au rire son authentique signification ! Enlevons-le à ceux qui en font une raillerie sacrilège, frivole et mondaine !" (Nikolaï Gogol).

    Superbe billet Artémise !

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  2. Magnifique article. J'aime beaucoup et suis tout à fait d'accord avec toi.
    Moi aussi je déteste cette phrase, qui ne veut rien dire (ou qui perd son sens comme tu le soulignes à la fin)

    Les blagues "pédophiles" me mettent particulièrement mal à l'aise. Plus jeune, j'étais obligée de quitter la pièce pour aller pleurer tant elles m'étaient insupportables.
    Aujourd'hui, je me permets de demander en quoi c'est drôle, m'en fiche si on me met l'étiquette de "la pauvre victime qui n'arrive pas à rire de son drame"
    Il y a des sujets qui ne portent pas à l'humour.

    LEs récentes blagues sur les bébés congelés, j'ai du mal aussi.

    Je suis loin d'être rabat-joie pourtant!

    J'ai aussi un ami qui se moque de moi parce que j'aime l'art, la musique classique etc... Lui est ingénieur, et se gargarise de son savoir scientifique. Mes passions à moi ne sont que du vent selon lui.
    J4ai envie de pleurer quand il me tient ce discours, tant l'art est prépondérant dans ma vie, et parce que je n'arrive pas à lui expliquer pourquoi, faute d'arguments "concrets"...

    Merci pour cette reflexion, très juste et très bien écrite! :-)

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  3. L'art et les bébés congelés cela n'a rien à voir, donc ne stigmatisons pas tous les apprentis (plus ou moins) humoriste.

    Il faudrait ajouter dans vos dictons: ne pas rire à tout est une preuve de sagesse (surtout quand cetout vient de n'importe qui).

    Vous pouvez également essayer la réponse cinglante, le truc quin'est pas drôle, ne prétend pas être frôle mais que l'autre devrait prendre pour une plaisanterie. Cela soulage.

    Et surtout, ayez un peu de pitié pour vos contemporains prêts à tous les bides pour un bon mot.

    PS: la stigmatisation des ingénieurs et scientifiques (durs) sur ce blog est proprement insupportable. Ce n'est pas parce qu'on attend la mort du chat de Schrödinger qu'on ne peut pas apprécier les arts et les lettres (sauf Murakami dont les oeuvres ressemblent trop audit chat du dit Schrödinger).

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  4. Bien dit! comme je n'ai pas de (joli!!) accent pronvençal, on se contente de me faire des blagues sur les femmes/intellos/profs. Pour ces dernières, j'avoue avoir de plus en plus de mal à les supporter. J'en ai marre de me justifier alors que j'estime avoir fzait suffisamment d'efforts pour en arriver là. Grrrrrr.

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  5. Tu vois, c'est un peu pour ça que les repas de famille ne me manquent pas... Un par an, c'est à peu près la dose maxi que je peux endurer.

    Mais ce qui est bien quand l'on a réagi ne serait-ce qu'une fois à ce genre de blague (et de préférence en plein dîner avec des tas de gens autour de vous) c'est qu'après les auteurs de ces blagues sont tellement vexés qu'ils n'osent plus en faire en votre présence. D'accord, ils sont un peu froid avec vous, mais c'est justement ce qui est appréciable. Les gros lourds sont mâtés.

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  6. Je ne pensais pas que tu faisais allusion à la phrase de Desproges jusqu'à ce que tu le précises car il ne l'emploie pas du tout dans ce sens là (en tout cas dans le réquisitoire contre Jean-Marie le Pen). Il l'emploie pour dire que dans certains environnements humains il est peu enclin à rire. C'est lui qui ne rit pas, pas l'interlocuteur. (Au passage la phrase est "on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde".)
    bob

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  7. Sortant très peu , et ne me forçant à rien , je n'arrive pas à croire que 1) on soit assez dépourvu de neurones pour faire des blagues sur ces bébés là. 2) que vous vous obligiez à continuer à fréquenter des porcs pareils ... Un peu de courage que diable! Vous verrez au bout, il y a de l'oxygène ... et quelques amis choisis par Montaigne et La Boëtie...

    ( comment faire: c'est tout simple - mais il faut un caractère bien trempe je vous l'accordde- on se lève et on dit : bon c'est assez pour ce soir, j'ai ma valise de conneries remplies pour le semaine/ le mois. - prévoir un mode de locomotion pour rentrer. On veut vous retenir: non ça y est, j'ai mes migraines catameniales. Les porcs en rajoutent : souriez d'un air égaré en faisant un rapide compte mental des heures gagnées en dégageant les nuisances et tout ce que vous pourrez faire a la place : écoutez les oiseaux de Messiean par exemple...

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  8. Comme l'a expliqué un commentateur anonyme plus haut, vos amis n'ont manifestement pas compris la signification de cette phrase de Desproges, laquelle est à mon avis déjà assez lamentable dans le sens où il l'utilise, puisque c'est une manière d'insinuer qu'il y a des gens avec lesquels il ne faut pas rire, ce qui me paraît tout à fait stupide et scandaleux. Personnellement, si je connaissais un nazi ayant de l'esprit, cela ne me dérangerait nullement d'échanger des bons mots avec lui.

    Cela dit, je suis assez d'accord avec votre billet, à ceci près que j'ai du mal à comprendre qu'on puisse être touché par ce genre de blagues. Par exemple, je suis doctorant en philosophie, et quand je dis cela, on me répond souvent sur le ton de la rigolade, ou pas d'ailleurs, que cela ne sert à rien, ce dont à vrai dire je me contrefous. Ce n'est peut-être pas un bon exemple, dans la mesure où je suis tout à fait d'accord : je crois en effet que la philosophie ne présente aucune utilité, au sens strict du terme, sinon par accident. C'est d'ailleurs en général ce que je réponds à mon interlocuteur, qui s'en trouve souvent fort étonné.

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  9. Zut. J'avais une super blague à te raconter, à propos d'un prêtre pédophile provençal qui drague une scout qui a ses règles, et ils rencontrent un prof de philo en grève en se rendant à une rétrospective Bergman, et...
    Bon, ok, j'arrête.

    Mariette

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  10. Quand on a dépassé la quarantaine de peu, comme moi, on mêle le mépris et la contre-attaque, étrange d’observer la face ravagée de celui qui veut bouffer son petit-bourgeois intellectuel comme on bouffe du curé, le voici comme estomaqué, balbutiant « mais…mais… tu n’es pas sensé répliquer », « non, juste déplacer le terrain de jeu, gros con »

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  11. > LMO :

    La plupart des gens (hors cercles d'amis proches) se foutent totalement de savoir s'ils peuvent blesser quelqu'un. Et parfois même parmi les amis proches...


    > NAIF :

    ici, on stigmatise. Je suis une vieille conne, je l'ai dit plus haut :)
    Eh oui, les gens sont prêt à tout pour avoir l'air drôle. Même à plomber l'ambiance ou à se prendre une sale réflexion dans l'affaire. Tout ça pour mettre en avant sa "coolitude".


    > La Souris

    Moi j'ai maté comme ça des relous du cercle amical de mes parents, qui passent leur temps à se gargariser de leurs origines nobles, de leur particule, de leurs invitations à l'assemblée de l'ANF... Bon ils sont pa méchants, hein, mais c'est relou

    Jusqu'au jour où je leur ai expliqué que non, leurs ancêtres n'ont pas fait les croisades (ou alors comme mulet), mais bien que leur noblesse remonte à leur anoblissement sous Louis XVI, juste avant la révolution.
    Ils ne l'ont pas bien pris.


    > Bob,

    Il ne me semble pas que le sens de Desproges soit très différent du mien mais effectivement...


    > Geargies,

    Maintenant, oui, je remballe. Mais parfois, il est difficile d'être vraiment méchant avec le personnage que vous avez en face de vous, quand vous savez que par ailleurs, il est d'une profonde gentillesse.
    Disons que maintenant, j'ai moins de scrupules...


    > Philippe Lemoine,

    Je ne sais pas, je n'ai pas d'amis nazis.
    Plus sérieusement, oui mais non.
    J'ai quelques amis très, très à droite avec lesquels je m'entends incroyablement bien. Mais j'évite de parler politique et/ou société avec eux parce que sinon, je m'énerve.
    Et les blagues sur le QI des noirs et des Arabes ne me font pas rire non plus.

    APrès, en fait, c'est plutôt la répétition de la blagounette qui exaspère
    Exemple : je suis installée à Paris depuis maintenant huit ans. Et ça fait huit ans que chaque fois que je rentre chez mes parents, je dis bien chaque fois, mes oncles, tantes et grands parents me demandent "alors la Parisienne, le beau temps, t'as pas ça, hein ? (non on vit comme les gorilles, dans la brume, 24h sur 24, bien sûr) Et les produits du pays, t'as pas ça, hein ? (non on se nourrit de pilules hyper protéinées) Et le bon air pur, t'as pas ça, hein ? (tu parles d'un air pur, t'es à 50 m d'une nationale...). Et je ne compte pas le nombre de fois où on nous a dit (à moi, l'Epoux, ma soeur ou mon beau-frère) : "Ah moi PAris j'aime visiter, hein, mais vivre je pourrais pas".
    Maintenant, je réponds "ouais tu sous entends qu'on est cons, quoi".
    Bredouillages, confusions en excuses...

    La thèse, c'est pareil. À force d'entendre les louanges du cousin ssiiii brillant mais dont le titre de gloire est d'aligner les fautes d'orthographe sur facebook, vous finissez par gueuler si en plus on vous fait remarqure à vous que votre thèse ne sert à rien.


    > Mariette,

    Tu veux ma mort, c'est vilain :)


    > Memento Mouloud,

    Tiens, elle est bonne celle-là, je la ressortirai !

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  12. Je ne sais pas, je n'ai pas d'amis nazis.
    Plus sérieusement, oui mais non.
    J'ai quelques amis très, très à droite avec lesquels je m'entends incroyablement bien. Mais j'évite de parler politique et/ou société avec eux parce que sinon, je m'énerve.
    Et les blagues sur le QI des noirs et des Arabes ne me font pas rire non plus.
    (Artémise)

    J'ai dit que je n'aurais aucune difficulté à échanger des bons mots avec un nazi s'il s'en trouvait un parmi mes fréquentations. Vous ne faites pas allusion à des bons mots, mais à des blagues lourdingues, comme si c'est de tout ce dont était capable un nazi. Si vous êtes en mesure d'apprécier vos conversations avec vos amis "très à droite", je suppose que c'est parce que, précisément, ils ont de la conversation. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas discuter, voire plaisanter, avec des gens qui ont des opinions politiques ou philosophiques radicalement différentes, y compris sur les sujets qui nous divisent. Or, précisément, c'est que Desproges voulait nous interdire, au motif qu'il y avait des gens avec lesquels il ne devrait pas être permis de plaisanter, en tout cas sur certains sujets. Je trouve que c'est contraire aux règles de sociabilité les plus élémentaires et parfaitement stupide : si ce que votre interlocuteur dit est drôle, pourquoi ne pas rire ? Évidemment, encore faut-il que ce soit drôle, ce qui nous ramène à votre billet.

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  13. Bonjour Artémise,

    Je peux vous affirmer que tout ne peut entendre certaines plaisanteries, je passe souvent pour un monstre car je suis capable de raconter ne public des histoires ignobles et parfois la tête de certains vaut le coup d' être vue.

    Des personnes se sentent gênées en public mais en privé sont bien que je puisse l' être.

    On en m' invite plus en famille, tant cela m' évite d' apercevoir des têtes de cul.

    Quant à la blague sur le livreur de pizza , désolé mais il devrait s'en faire livrer plus souvent car maintenant, ils sont noirs quand la pâte est trop cuite et blancs quand cette dernière est presque crue . C'est pas une blague cela m'est arrivé, j' ai même pensé à un gag , connaissant le patron de la boutique.

    Pour les films, les prise du style drames psychologiques suédois , pff!! J' ai les mêmes dans ma famille.

    Par contre ,les nullités de style " Spartatouille " me font hurler de rire, plus c'est mauvais plus je suis hilare .

    En BD , Bidochon, Kador du même auteur voir Edika.

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