lundi 12 septembre 2011

Paris révolutionnaire, 3. Le cimetière de Picpus.





Si vous voulez vérifier que l'un de vos ascendants s'est fait guillotiner sous la Révolution, vous pouvez toujours commencer par aller faire un tour dans l'est parisien, près de la place de la Nation, où se trouve - mais il faut être au courant - le cimetière de Picpus. Vous n'êtes pas obligé d'avoir des ancêtres guillotinés sous la révolution - personnellement, mes ancêtres, je ne les connais pas (et je m'en fous un peu : à cette époque, le paysan normand devant être plus proche de ses bestiaux que de l'être humain, si l'on en juge par Maupassant, j'ai moyennement envie d'aller leur claquer la bise).

Outre son nom rigolo, le cimetière de Picpus fait partie des vraies curiosités de Paris. Du genre qu'il faut connaître parce que comme chez Total, on n'y va pas par hasard. Situé au 35 rue de Picpus à Paris XIIe, amis chartistes qui passez par là, il suffit de prendre le 29 à la sortie des Archives nationales pour y être en vingt minutes. Sinon, c'est tout près de la place de la Nation.

Rue de Picpus, vous longez un mur. Blanc. Il ne faut pas louper la plaque parce que l'énorme porte, en bois, n'a finalement rien d'extraordinaire.

Vous poussez la porte - elle est ouverte sans qu'il soit besoin de sonner, tous les après-midi que Dieu fait, ou presque, de 14h à 17h si mes souvenirs sont bons. De toute façon on ne vous fiche pas dehors à l'heure tapante, pour la bonne raison que la boutique est tenue par des religieuses chanoinesses de Saint-Augustin qui sont à l'office à l'heure où l'on ferme. La courtoisie la plus élémentaire consiste donc à regarder sa montre et à se mettre dehors soi-même.

D'abord, vous entrez dans une cour couverte de graviers, avec en face une charmante chapelle classique. L'entrée du cimetière (autre épreuve initiatique : c'est comme à Fort Boyard, faut tout trouver tout seul) est à gauche quand on est face à la chapelle, il suffit là encore de pousser la porte.

Mais avant, on peut passer par la chapelle, c'est là qu'on vérifie si on a un arrière-grand-père guillotiné, parce que dans le choeur, on trouve d'immenses plaques commémoratives où sont inscrits les noms de plusieurs centaines (1306, précisément) de morts de la Révolution française.
Le couvent de Picpus, en effet, est un haut lieu de la répression révolutionnaire à son comble dans les années 1793-1794 : on est tout près de la place de la Nation, rebaptisée à ce moment place du Trône renversé (ambiance). Au paroxysme de la Terreur, on a pu y raccourcir une cinquantaine de personnes par jour - heureusement, ça n'a pas duré sinon le combat aurait assez vite cessé faute de combattants, comme dit l'autre.

Pendant ces années guillerettes, le couvent de Picpus a servi tour à tour de prison, de maison de santé, et d'endroit commode pour creuser des fosses communes, dans les jardins du couvent. On y guillotine un peu de tout, du noble, du bourgeois vaguement contre-révolutionnaire, des religieux : c'est ainsi que l'endroit est célèbre pour abriter la fosse commune où furent ensevelis les restes des Carmélites de Compiègne auxquelles Bernanos a fait un sort.

En 1796, le jardin est racheté par

En 1796, le jardin est acheté en secret par la princesse Amélie de Hohenzollern-Sigmaringen (épouse d'Aloys Antoine, prince souverain de Hohenzollern-Sigmaringen), car le corps de son frère, le prince Frédéric III de Salm-Kyrburg, guillotiné en 1794, y repose. Dès 1802, une souscription est organisée par la marquise de Montagu pour acquérir l’ancien couvent des chanoinesses ainsi que les terrains avoisinant les fosses communes. Des familles dont les membres avaient été exécutés fondent le Comité de la Société de Picpus pour l'acquisition du terrain, afin d'y établir un second cimetière près des fosses. La Société de Picpus est composée en premier lieu de Mme de Montagu, née de Noailles, président, de Maurice de Montmorency, d'Aimard de Nicolaï, de Mme veuve Le Rebours, née Barville, de Mme veuve Freteau, née Moreau, de Mme la marquise de La Fayette, née Adrienne de Noailles, de Mme veuve Titon, née Benterot, Mme veuve de Faudoas, née de Bernière, Mme veuve Charton, née Chauchat, M. Philippe de Noailles de Poix, M. Théodule de Grammont. Bref, que du beau monde.

Dans les années qui suivent, des fouilles sont menées afin de délimiter précisément l'emplacement des fosses communes.

Parallèlement, les familles des fondateurs de la société commencent à se faire inhumer dans le cimetière qui est aujourd'hui le seul cimetière privé de Paris (avec le cimetière des Juifs portugais, dans le XIXe, où l'on ne peut rentrer que sur autorisation du Consistoire israëlite de Paris).


Quand vous entrez dans le cimetière, vous vous sentez tout chose : vous déambulez entre les tombes aux noms prestigieux, vous passez devant les plaques commémoratives qui rappellent comment de jeunes gens de bonne famille entrèrent dans la Résistance et moururent au combat ou en déportation. Gramont, Voguë, Lévis-Mirepoix, La Rochefoucauld, Montmorency...

Au bout du cimetière, vous apercevez l'emplacement des fosses communes dont vous ne pouvez vous approchez, mais vous savez que vous allez passer tout près des dépouilles de malheureux perdants de la Révolution...

Et tout au fond, vous entendez que résonne un bruit étrange. Si vous êtes tout seul, vous vous sentez même... un peu trop seul avec ce bruit. Vous vous approchez de la source, vous comprenez qu'il s'agit d'un roulement de tambour qui résonne en permanence auprès de la tombe de La Fayette, enterré là sous une terre rapportée des Etats-Unis, sous une floppée de drapeaux français et américains éternellement reconnaissants.

Je ne sais pas si c'est le petit air désuet, la dévotion patriotique mêlée d'un soupçon de kitsch, qui m'a le plus émue.

Je suis repartie sur la pointe des pieds, pour ne pas déranger cette auguste assemblée de morts.





2 commentaires:

  1. ...
    Un scélérat de moins rampe dans cette fange.
    La Vertu t'applaudit ; de sa mâle louange
    Entends, belle héroïne, entends l'auguste voix.
    Ô Vertu, le poignard, seul espoir de la terre,
    Est ton arme sacrée, alors que le tonnerre
    Laisse régner le crime et te vend à ses lois.

    Ce qui précède est la fin de "À Charlotte Corday", d'André Chénier, enterré au cimetière de Picpus.

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  2. Merci pour ce bel article !

    Je n'y suis jamais allée et pourtant, j'ai une ancêtre là-bas, à ce qu'on m'a dit dans la famille : à y faire un tour !

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Soyez gentils, faites l'effort de signer votre message - ne serait-ce que dans le corps d'icelui, si vous ne voulez pas remplir les champs destinés à cet effet - c'est tellement plus agréable pour ceux qui les lisent...